Interview au long cours de Simon Mesnard, le développeur de Catyph et de ASACoulisses

Interview au long cours de Simon Mesnard, le développeur de Catyph et de ASA

Le choix de l’autonomie

Pour commencer, j’aimerai que tu reviennes sur ce qui a du être un tournant dans ta vie : dans quelles circonstances as-tu créé Simon Says en 2009 ? Cette décision est-elle le fruit d’une longue et lente réflexion ou est-ce un élément déclencheur bien précis qui t’a poussé à la prendre ? Quel était ton objectif à ce moment-là ?

Un aperçu de l'interface de 3ds Max

Un aperçu de l’interface de 3ds Max

Lorsque cela s’est décidé, j’étais salarié dans une entreprise d’advertising dans le Nord de la France, où je faisais des rendus 3D de cuisines et salles de bains pour Leroy Merlin. Ce n’était pas mon rêve, en tout cas ce n’est pas ce que j’imaginais en me lançant dans l’apprentissage de 3ds Max ! Ce que je peux dire, c’est que dans cette société nous étions relativement peu nombreux pour accomplir beaucoup de travail, et les journées étaient très chargées. En contrepartie j’ai beaucoup appris à cette époque et n’ai donc aucun regret (je recommanderais même l’expérience à des débutants). Pendant cette période j’ai fait de gros progrès et rencontré des personnes très compétentes, pris des habitudes pour travailler vite, et cela m’a donné confiance en moi – chose que je n’avais pas vraiment en sortant de mes études. Ainsi j’ai pu prendre du recul, et en travaillant chez moi pendant mon temps libre sur un projet de court-métrage d’animation (Ecosystem), je me suis dit petit à petit qu’au-delà du fait de créer pour le plaisir, j’étais capable de produire des choses par moi-même, et que je devrais y songer sérieusement.

Quand j’ai pris la décision de me mettre à mon compte (en 2008 ou 2009, je ne sais plus exactement), le statut d’auto-entrepreneur venait d’être créé, et je me suis laissé séduire par cette idée d’indépendance “simplifiée”. Je crois que c’est l’arrivée de ce statut intéressant qui m’a décidé une bonne fois pour toutes. En tout cas si j’avais dû monter une société plus complexe, je ne me serais pas lancé.

Mon souhait le plus cher à ce moment précis était de retrouver une totale liberté de création et d’expression graphique : être le seul décideur. Après mes études à Pole IIID Roubaix, et ces années passées en tant que simple infographiste, le moment était venu pour moi de tenter une expérience plus solitaire, mais tout aussi passionnante.

J’ai comme un besoin vital de travailler sur de nouveaux projets régulièrement, et peu importe si le public ne suit pas forcément, ou si le projet échoue

simon_mesnard_biblio

Après toutes ces années, Final Fantasy n’est jamais resté bien loin…

Malgré ce besoin d’indépendance, c’était encore assez flou, et je n’avais vraiment pas décidé de faire des jeux vidéos – cela restait un loisir qui me prenait beaucoup de temps. J’avais surtout une grosse envie de faire des courts-métrages et des films en 3D, afin de raconter des histoires. M’étant beaucoup nourri de mangas et de J-RPG pendant mon adolescence, j’ai toujours eu envie de raconter à mon tour mes propres histoires. J’ai donc écrit quelques livres et réalisé un storyboard que j’ai montré autour de moi, mais je n’avais rien planifié. Avec le recul je me rends compte que c’était complètement fou. Tout est sans doute arrivé parce que, lorsque j’ai débuté la 3D en autodidacte (j’avais 15 ans environ, j’en ai 32), je voulais faire des films, je voulais faire des jeux, je voulais faire Shrek ou Final Fantasy (les gros succès 3D de l’époque). Ce rêve, on me l’a pris à un moment donné, alors j’ai dit “Stop. À mon tour de créer ! Et les gens penseront bien ce qu’ils voudront de mes travaux.” Je n’ai vraiment pas pris en compte l’aspect financier, qui ne m’intéressait pas du tout. Je travaille par passion, j’ai en quelque sorte ce rôle de créateur dans la peau : quoi qu’il arrive, j’ai comme un besoin vital de travailler sur de nouveaux projets régulièrement, et peu importe si le public ne suit pas forcément, ou si le projet échoue. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour être vraiment libre, indépendant. Ainsi lorsque je crée quelque chose, c’est vraiment très personnel. Et comme je suis persévérant, cela prend parfois des années, mais généralement je finis par aller au bout de mes projets.

Tu sembles très attaché à ta liberté de création, mais j’imagine que tu es tout de même contraint de te fixer des règles et peut-être des objectifs pour organiser ton travail. Tu ne peux jamais te retrancher derrière les décisions d’un supérieur hiérarchique et tu dois assumer seul le moindre de tes choix. Dans ces conditions, cette autonomie que tu recherches ne devient-elle pas parfois un frein au processus créatif ?

La liberté de création est très importante pour moi, que ce soit dans la façon de travailler (je suis mon propre chef) que dans mon cadre de travail (à la campagne). Mais c’est vrai que tout cela apporte des contraintes : financières, administratives, techniques, transports… et parfois de la frustration et de la démotivation. Parlons donc contraintes et autonomie :

Ce n'est pas toujours facile de travailler à partir de son coin de campagne.

Ce n’est pas toujours facile de travailler à partir de son coin de campagne.

Je parlais précédemment de ma vie à la campagne : je travaille beaucoup moins vite avec l’ADSL 512 Mo que si j’avais la fibre optique. Je le ressens tous les jours, lorsque je reçois mes mails, que j’envoie des pièces jointes, que je me connecte à tel ou tel site, ou qu’on me demande de faire un Skype. Le pire, c’est lorsque je dois mettre en ligne un court-métrage sur Vimeo, ou un jeu à sa sortie. J’ai mis 48 heures, après maintes reconnexions, pour uploader ASA en 2012. Je devenais fou. Et j’ai dû renouveler cette opération sur mon serveur (pour la bêta), sur mon FTP (pour partager le jeu final en privé), puis sur Desura et encore d’autres plate-formes où le jeu était disponible. Cela peut faire sourire les passionnés de technologie, mais c’est une réalité : je connais des villages qui n’ont pas encore l’adsl, qui vivent encore avec un modem 56k (années 90 !), et c’est pénible pour les gérants d’entreprises qui y vivent, qu’ils soient agriculteurs, artisans ou à leur compte. Et pourtant le monde tourne, cela n’empêche pas ces professionnels de vivre et de trouver leur place ! Tout le monde connait sans doute ce proverbe : l’herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin. Et c’est un peu vrai, alors si l’on passe son temps à envier ce que les autres possèdent, sans se contenter d’avancer avec ce que l’on a, alors on va droit dans le mur.

De la même façon, j’ai rencontré beaucoup de problèmes avec le statut d’auto-entrepreneur. J’ai choisi ce statut en 2009 parce que je pensais qu’il était relativement simple d’accès (et c’est le cas en comparaison d’une vraie société), mais j’ai quand même sous-estimé les démarches à effectuer et le côté prenant de la chose. Gérer une auto-entreprise, cela demande du temps et de la rigueur : tenir un carnet de comptes, déclarer ses revenus, ouvrir un compte bancaire professionnel, prendre une assurance responsabilité civile, s’occuper du marketing soi-même, communiquer avec les joueurs, etc. Ces petites choses toutes bêtes occupent une grande partie de mon quotidien et m’empêchent d’avancer autant que je le souhaiterais sur mes projets (sans parler du fait qu’un compte bancaire et une assurance professionnels, ça coûte cher !). Ce sont là des problèmes que je n’aurais pas, si j’étais dans une société avec un patron, une secrétaire, un commercial et un comptable, et mon rôle de graphiste/développeur serait nettement plus simple. Je n’ai pas ce confort, cette sécurité. Souvent je travaille tard le soir et tout le weekend, afin d’avancer sur mes jeux bien sûr, mais aussi pour régler ces différentes choses liées à la gestion d’entreprise. Je ne compte pas mes heures.

simon_mesnard_travailTout cela pour dire qu’effectivement, on trouve des freins partout et de toutes sortes, et dans le fond on pourrait philosopher sur des questions du genre : la liberté existe-t-elle vraiment ? Par chance pour tout le monde, je ne fais pas de philosophie, et je pars du principe que quoi qu’on fasse il y aura toujours des contraintes, des limites, des problèmes et des gens mécontents ou envieux. Et même mieux : chaque problème, chaque difficulté surmontée, est une façon d’apprendre, de progresser et d’aller de l’avant. Il y a cinq ans, je ne me serais jamais vu à la tête d’une société. Aujourd’hui, mon auto-entreprise ne fait quasiment pas de chiffre d’affaire, mais elle tourne, et je me sens capable de continuer, et j’en ai envie. En fait, cela me plaît d’avoir plusieurs “casquettes”, et je vois mon activité actuelle comme un tremplin vers quelque chose de plus sérieux peut-être, à l’avenir. Je n’en sais rien, tout dépendra du succès de mes projets actuels, mais cela a été une sorte de préparation pour l’avenir, une période pendant laquelle j’ai noué des contacts avec des personnes passionnantes, et j’ai pu développer mes projets de façon passionnante. Quand je regarde derrière moi le chemin parcouru, et tous les problèmes rencontrés, je me dis que je n’ai pas à rougir. L’espoir, la volonté de rester autonome quoi qu’il en coûte, l’envie de créer et de partager des images et des histoires : c’est ça ma vraie force pour avancer.

Mon objectif désormais, c’est de réussir à rentabiliser mes jeux (parce que ce sont des jeux de qualité qui me prennent beaucoup d’énergie et de temps, et de nombreuses personnes m’en ont dit beaucoup de bien). Et par ailleurs, j’aimerais renforcer le lien entre mon auto-entreprise, Simon Says : Play!, et mon collectif d’artistes The Icehouse, dont le but est justement d’apporter de la visibilité et du soutien à des petits développeurs tels que moi, qui se battent au quotidien et qui ont des projets passionnants, mais qui à côté de ça n’arrivent pas à obtenir la reconnaissance qu’ils méritent. C’est un projet qui me tient à cœur, et j’espère que dans quelques années nous pourrons en parler avec le sourire.

2 of 6
miniblob

Tombé sur Terre un peu par hasard, le blob dévore mollement tout ce qu'il trouve dans l'espoir de comprendre son environnement. Ne jugez pas trop sévèrement son appétit vorace ou vous risquez d'être au menu de son prochain repas.

Soutenez ExtraLife

A voir aussi

1 commentaire

  1. Galiat
    Galiat
    21 mai 2016 à 0 h 14 min

    Vraiment très bonne interview / biographie ! Bon, j’avoue, un poil long quand même ^^ ! J’ai sauté quelques paragraphes.

    En tout cas, je n’ai pas testé ASA, mais j’avoue que la vidéo de Catyph donne vraiment envie d’en savoir plus ! J’espère que tu trouveras le succès (ou tout du moins de quoi te permettre de vivre).

    Bon courage à toi, ton frère, et tes amis de l’association de soutien/entraide. J’espère vraiment que vous percerez dans le domaine qui vous passionne !

Réponse