Quand traduction ne rime pas avec contextualisationOpinion

Quand traduction ne rime pas avec contextualisation

sag_aftra_logo

La SAG-AFTRA est le syndicat en charge des acteurs et des comédiens de doublage

Si vous avez suivi nos deux premiers podcasts, vous n’êtes pas sans savoir que la SAG-AFTRA (Screen Actors Guild – American Federation of Television and Radio) tente depuis plusieurs mois de mener des négociations avec les ténors de l’industrie du jeu vidéo tels que Activision ou encore Electronic Arts, dans le but d’améliorer les conditions de travail des acteurs et comédiens de doublage du secteur. Face au refus des éditeurs, le syndicat a lancé un mouvement de grève, soutenu par près de 97 % d’acteurs syndiqués. Parmi eux, citons David Hayter (Solid Snake) ou encore Wil Wheaton, qui s’est longuement exprimé sur le sujet. Ces derniers réclament entre autres plus de transparence de la part des éditeurs : nom et type de jeu, public cible, conditions d’enregistrement des voix, etc. Une demande que je partage entièrement. Culture du secret, méconnaissance ou désintérêt du métier, manque de temps ? Impossible d’expliquer pourquoi ils agissent ainsi. Toujours est-il que nous, traducteurs spécialisés dans la localisation, en sommes également les victimes.

La traduction de jeux vidéo est affaire de précision, de rigueur et de respect du matériau de base (le texte source). Une erreur d’interprétation, un contre-sens et l’expérience du joueur en pâtit. Il est donc important d’avoir des précisions sur le contexte général dans lequel s’inscrit chaque élément à traduire. On peut facilement comparer ce métier à celui de chef cuisinier, dans lequel la recette, les produits, l’assaisonnement ou la cuisson doivent être parfaits pour élaborer un plat digne de ce nom. Malheureusement, il semblerait que bon nombre d’éditeurs privilégient la confidentialité au détriment de la qualité.

Le fameux "Dupliques-ça" de Metal Gear Solid 2, traduction de "Copy that", qui dans le contexte, signifie "Bien reçu"

Le fameux “Dupliques ça” de Metal Gear Solid 2, traduction de “Copy that”, qui dans le contexte, signifie “Bien reçu”

Dans le cadre d’un gros projet, par exemple un RPG, il arrive souvent que le texte reçu ne soit qu’une infime partie du jeu (par exemple, les cinquième et sixième chapitres, ce qui peut représenter tout de même plusieurs dizaines de milliers de mots), le reste étant attribué à d’autres traducteurs. Difficile alors de reconstituer la chronologie des événements, a fortiori sans aucune image du jeu ou vidéo, ni même une démo pour se plonger dans l’univers. Juste une liste sans fin de descriptifs de quêtes et de dialogues. À cela s’ajoutent des problèmes de style ou d’ordre grammatical : quel registre de langue employer ? Faut-il privilégier le tutoiement, le vouvoiement ou les deux (cette nuance étant absente avec “you” en anglais) ? Ce qui peut paraître un détail est pourtant primordial pour assurer la cohérence du projet dans son ensemble. En outre, comment identifier les interlocuteurs sans la moindre bribe d’informations à leur sujet (ne serait-ce que leur sexe) ?

Autant de questions qui ne se poseraient pas avec un simple document de référence décrivant l’histoire, les relations entre les protagonistes ou encore le contexte de chaque dialogue. Inutile ou presque de compter sur l’éditeur pour fournir une réponse, le décalage horaire ou le délai de livraison de la traduction généralement serré (il n’est pas rare de devoir travailler soir et week-end) obligeant le traducteur à continuer de progresser dans le noir, à se fier à son instinct et à son expérience de joueur, dans l’espoir que le résultat soit à la hauteur. Mais comment fournir un travail de qualité dans ces conditions ? Comment retranscrire la narration, véritable pilier d’un jeu de rôle, sans contexte ? Comment respecter son univers, fruit de l’imaginaire de ses créateurs, sans élément visuel ? Pour reprendre l’analogie avec la cuisine, c’est un peu comme si on présentait un certain nombre d’ingrédients bruts à un chef en lui demandant de deviner le plat à préparer, sans lui expliquer la recette. C’est possible, mais ce ne sont clairement pas les conditions idéales pour parvenir à un résultat optimal.

translate_button

La traduction ne se résume pas qu’à un simple bouton

Évidemment, il convient de ne pas généraliser. Quelques éditeurs ne considèrent pas la traduction comme une étape secondaire, que l’on boucle en deux temps trois mouvements, quitte à ce qu’elle soit bâclée. D’autres disposent même d’une équipe de localisation en interne. Les traducteurs font partie intégrante du projet et peuvent directement s’appuyer sur les jeux pour produire un travail en parfaite adéquation avec leur univers. Un exemple à suivre ? Pourquoi pas, même si le choix des freelances demeurent pertinents, à condition de leur donner les moyens d’exprimer tout leur talent et leur passion.

A voir aussi

8 commentaires

  1. cKei
    cKei
    16 octobre 2015 à 18 h 48 min

    Sympa de donner ton son de cloche de professionnel. Peut-être serait-il bon d’expliquer plus en détail justement d’où tu viens (côté traduction s’entend) et ce que tu y faisais.

    Pour revenir sur ces difficultés, je ne peux qu’approuver ce besoin de matériel plus détaillé pour faire votre travail plus confortablement, ce qui devrait se ressentir du côté de joueurs. On a tous en tête des traductions calamiteuses (FFVII) ou juste étrange (Secret of Mana de sinistre mémoire), à ce niveau c’est surtout du fait des contraintes temporelles et financières mais c’est un tout.

    Sinon quand tu dis

    “La traduction de jeux vidéo est affaire de précision, de rigueur et de respect du matériau de base (le texte source). Une erreur d’interprétation, un contre-sens et l’expérience du joueur en pâtit. Il est donc important d’avoir des précisions sur le contexte général dans lequel s’inscrit chaque élément à traduire.”

    C’est vrai, mais j’ai l’impression que chez certains éditeurs on fonctionne un peu plus en synergie que de la simple traduction “clé en main”. C’est ce que j’expliquais dans mon dossier Xseed http://www.jeuxvideo.com/dossier/419602/xseed-l-editeur-petit-par-la-taille-grand-par-le-ceur/419814.htm

    Chez eux, certains traducteurs travaillent en aveugle ou presque puisque la somme de textes à traduire est particulièrement élevée pour pouvoir confier ça à une seule personne. On parle de plusieurs millions de caractères japonais par jeu. Du coup impossible d’avoir un regard global, sauf bien sûr quand le traducteur a directement joué au jeu. C’est là qu’interviennent les éditeurs qui travaillent sur les textes bruts traduits de façon à affiner le texte, mais aussi à l’homogénéiser.
    La traduction n’est donc qu’une étape de débroussaillage dans le grand œuvre de la localisation.
    Du coup pour le joueur, ça doit être assez transparent (et honnêtement en jouant à Trails in the Sky j’ai jamais trouvé de gros souci), même si évidemment ça peut poser un inconfort au traducteur.
    Le plus gros problème est en revanche le temps que ça prend.

  2. TankinatorFR
    16 octobre 2015 à 21 h 02 min

    Combien de fois me suis-je retrouvé sur un jeu-vidéo, en train d’essayer de deviner ce que voulait dire un texte sans queue ni tête ? Où à parler avec des traducteurs évoquant justement ce problème ?
    Des expressions se retrouvent traduites mots pour mots, faute d’avoir sut qu’expression il y avait, les figures de style se perdent parfois, dénaturant le texte, les émotions ne collent pas entre animation en jeu et voix du personnage (et je ne parle pas d’une mauvaise qualité de l’un ou de l’autre)…
    Je ne peux qu’approuver et souhaiter que cela s’arrange, dans l’intérêt de tous, à commencé par ceux qui travaille pour que les jeux soient disponibles dans d’autres langues et pour que les personnages aient une voix.
    Je peux comprendre la volonté des éditeurs d’accélérer les développements, mais au final ils y perdent car la qualité du jeu en est diminuée, tout comme l’opinion qu’en auront les joueurs.

  3. Demystificator
    Demystificator
    17 octobre 2015 à 1 h 28 min

    Mouais. Je trouve la transition de la grève des doubleurs aux problèmes de traduction un peu maladroite.

    Ensuite, je ne suis pas complétement d’accord ou plutôt, il me semble qu’une problématique importante est oubliée.

    On ne peut pas donné tout un jeu à traduire à une seule personne. Certes, on aurait un résultat plus cohérent mais je pense que ça poserait problème vu la quantité de travail que cela peut représenter.

    Et, donner tout le texte, n’enlèverait pas certaines traductions hasardeuses de certains mots qui ont un double sens ; sans le contexte il sera impossible de déterminer la meilleure traduction.

    Finalement, la meilleure solution serait de carrément jouer au jeu fini et de traduire au fur et à mesure. Mais encore une fois, ça représenterait beaucoup de travail pour une seule personne et cela prendrait énormément de temps, temps pendant lequel il faudra continuer à payer la dite personne.

    Et je dirais aussi qu’il est un peu facile de rejeter la faute sur les éditeurs comme ça. En fait, je n’ai aucune idée de comment ça se passe mais j’imagine qu’il existe des boîtes spécialisées là dedans, au moins pour l’écrit. A partir de ce moment là, dur dur de savoir si la flemme vient de l’éditeur ou du studio qui avait trop de boulot, ou simplement pas d’inspiration, ou encore errare humanum est… (L’argument tient aussi pour le freelance, rien ne garantit que la personne va te fournir un bon boulot et c’est difficile de juger si tu ne parles pas du tout la langue).
    Je veux dire, peut on blâmer un studio américain qui connaît 2 mots d’allemand, de laisser passer une traduction chaotique dans la langue de Goethe ? A moins de faire appel à une autre personne qui va tout vérifier (donc encore du temps et des sous), impossible…

    Le doublage audio pose encore un autre problème. La traduction aussi bonne soit elle, pourra toujours être gâchée par un acteur peu convaincant ou peu inspiré.

    On est cependant (tous) d’accord pour dire que les traducteurs et une partie des doubleurs ne travaillent pas dans des conditions optimales. Je pense qu’il faudrait vraiment une nouvelle approche de cette problématique pour dégager une meilleure solution pour tous ; l’équipe interne étant à mon sens la plus intéressante mais évidemment, cela sera réservé à des jeux AAA ou qui ont des mises à jour régulièrement, histoire de rentabiliser ces équipes. Surtout que si un jeu est traduit en français, il devrait au moins être traduit en espagnol et en allemand ; donc on ne parle pas d’un ou deux postes (surtout encore une fois, vue la masse de travail sur certains jeux)…

    J’aimerai finir par un point positif ; certaines traductions non contentes de retranscrire convenablement le jeu, lui ajoute une plus-value. L’exemple qui me semble évident est Borderlands car il y a quantité de blagues qui sont ajoutées et absentes de la version originale. C’est normal pour les calembours mais par exemple, en français les méchants dans le 2 disent “Mettons nous d’accord sur notre désaccord”, référence à Men In Black 3, et ça c’est uniquement en VF. Aucune allusion à MiB3 dans la VO. Il en était de même dans Warcraft 3 avec le fameux “il peut faire l’historique de la louche au travers des âges ?”.

    Donc parfois, c’est nul, parfois c’est la faute à l’éditeur mais il arrive que la traduction soit remarquable et se permette d’ajouter du petit bonus au jeu sans le dénaturer.

  4. marmot84
    marmot84
    17 octobre 2015 à 10 h 03 min

    De nos jours ou certains jeux sortent avec une histoire complexe et dense, des cinématiques de dialogues qui n’ont rien à envier au cinéma la traduction a une très grande importance ! Bien sur le doublage joue un très grand rôle mais il est sensé être la pour apporter toutes les nuances au texte ou ici la traduction.
    Je ne m’étais jamais posé la question sur la difficulté de traduire un texte mais j’en ai saisie quelques subtilité grâce à la préface du recueil les contrées du rêve de H.P. Lovecraft rédigé par David Camus le traducteur qui explique toutes les difficultés rencontrées à retranscrire ce que l’auteur à voulu exprimé dans son texte.

  5. SilentSib
    SilentSib
    17 octobre 2015 à 20 h 53 min

    Cet article me rappelle de l’époque pendant laquelle j’ai travaillé chez un éditeur spécialisé dans les MMOs coréens. On devait s’occuper de la traduction d’une certaine partie du jeu sans même savoir à quoi le texte correspondait vraiment et où il allait s’afficher in-game. Aussi, on travaillait à partir d’une traduction très approximative du coréen qu’on appelait chaleureusement entre nous “coranglais”.

    Autant dire que quand nos textes ont été rajoutés au patch du jeu, on a pu voir le bordel que ça avait occasionné de bosser sans contexte et à partir de textes sources d’une mauvaise qualité. Aujourd’hui, cela dit, j’en garde un souvenir plus amusé qu’autre chose. Mais à l’époque, c’était souvent assez pénible de recevoir ces fichiers excel à traduire !

  6. Yodathrawn
    Yodathrawn
    18 octobre 2015 à 22 h 50 min

    C’est pour cela que je préfère jouer en version anglaise que traduite, trop de fois la traduction est lamentable, sans parler de l’interface qui est trop petite pour des textes en français.
    Pour les acteurs je suis entièrement d’accord, c’est quoi ces méthodes de travail ?

  7. clubspawn
    clubspawn
    22 octobre 2015 à 9 h 41 min

    Intéressent <3

  8. gillux
    gillux
    25 octobre 2015 à 11 h 43 min

    Je travaille également dans la traduction de jeux vidéo et je partage tout à fait ton avis. Notamment sur le manque de contexte et la parcellisation du travail. Je travaille pour une boîte de traduction qui travaille elle-même pour des éditeurs.

    En ce qui concerne la mise en contexte, le problème est à mon avis complexe, car cela nécessite un engagement et un travail de la part de l’éditeur pour fournir des éléments de contexte sur son jeu, en plus des textes à traduire. Si ça n’a pas été pensé dès le départ, j’imagine que c’est techniquement compliqué de dire où et à quel moment chaque texte s’affiche à l’écran une fois que le jeu est fini. En tout cas, ça a un coût que peu sont prêts à fournir. Peut-être aussi que certains éditeurs ont peur qu’il y ait des fuites ou je ne sais quoi. Personnellement, je pense que la localisation dans son ensemble est juste sous-estimée par les décideurs qui font au moins cher. Moi, le mieux qu’on m’ait donné, c’est quelques captures d’écran des menus. Pour le reste, c’est débrouille-toi. On se retrouve alors, si on le veut bien et que le jeu est déjà sorti dans sa version originale, à glaner des infos sur le net, comme des wikis des communautés ou des let’s play youtube, voire même télécharger le jeu soi-même. Ou alors, si on n’a pas le temps (et c’est plus souvent ce qui arrive), on fait une traduction approximative en se disant « tant pis pour eux, ils avaient qu’à me donner plus d’infos ».

    En ce qui concerne la parcellisation du travail, il est clair que les jeux avec beaucoup de contenus ne peuvent pas être traduits que par une seule personne. Mais encore faut-il donner aux traducteurs les moyens de travailler en équipe. Quand ils sont tous en freelance éparpillés dans le monde, au contraire, personne ne se connaît et on travaille chacun dans notre coin sur un bout de chapitre perdu au milieu de l’histoire. On ne communique qu’avec le chef de projet qui distribue à chacun sa partie. Bref, que de la communication verticale et aucune communication horizontale. Même si parfois, ces chefs de projet font des efforts pour apporter de la cohérence (par exemple en fournissant des infos sur le jeu, quelques règles sur le registre à employer, le script original complet, etc.), cette organisation du travail limite gravement la cohérence globale.

Réponse