Fragments of Him : Banale tristesseTest JV

Fragments of Him : Banale tristesse

La lignée des jeux narratifs solidement ancrés dans le réel s’agrandit. Maladie, dépression, famille, filiation, le jeu vidéo se frotte de plus en plus souvent à des thématiques de la « vraie vie », avec plus ou moins de succès et sous des formes encore hésitantes. Fragments of Him, lui, se penche sur le deuil, la nostalgie et les regrets.

Will est un jeune-homme anglais bien dans sa peau, simple, pas franchement exubérant, que l’on rencontre un matin, perdu dans ses réflexions sur les petites routines du quotidien et son hésitation à demander en mariage son compagnon, James, encore endormi. Des pensées qu’il embarque avec lui en prenant sa voiture pour se rendre à ce travail qu’il aime tant. C’étaient là les dernières minutes de sa vie, percuté à un feu rouge, il n’ira pas plus loin. C’est à travers les souvenirs de ses proches endeuillés que Fragments of Him va tenter de dresser un portrait de Will, mais aussi d’eux-mêmes. Sa grand-mère, sa petite-amie de fac, avant qu’il ne découvre sa bisexualité et enfin son compagnon, James. Curieusement en revanche, ses parents sont totalement laissés de côté.

Une grand-mère aimante...

Une grand-mère aimante…

La seule chose qui bouge dans les décors de Fragments of Him, c’est vous, sorte d’entité spectatrice dont le rôle se résume à cliquer sur des objets ou personnages en surbrillance pour activer des lignes de dialogue ou des « actions » si l’on peut dire. Parfois, le personnage parlera de Will, parfois de lui-même, évoquant par exemple le sentiment de liberté et d’autonomie ressentie par une jeune femme lorsqu’elle emménage dans son studio d’étudiante. On devra aussi assez fréquemment enchaîner des clics successifs sans même avoir à déplacer le curseur pour faire du thé ou faire apparaître ou disparaître des éléments de décors comme si on reconstruisait le souvenir d’une scène.

... mais pas très progressiste.

… mais pas très progressiste.

En compagnie de la grand-mère de Will, on partagera les souvenirs de son enfance, on apprend que le gentil mais réservé petit Will a un jour pris la défense d’une fillette noire à l’école, que ses parents n’étaient pas très présents et qu’il aimait qu’on lui lise des histoires le soir. Plus important, on découvre que cette grand-mère voulait protéger son petit-fils et rêvait de le voir accomplir de grandes choses et mener la meilleure vie qui soit, qu’elle fut ravie de rencontrer à Noël sa petit amie qui ferait sûrement une bonne épouse. Tout allait bien jusqu’à ce jour où elle découvrit par hasard que Will fréquentait un autre homme. Mamie n’est pas très progressiste, la distance s’installe entre eux. Quittons mamie pour apprendre à connaître Sarah et entendre ce qu’elle a à dire de ses jours au bras de Will. Et tout cela en cliquant sur tout un tas d’objets… plein d’objets… beaucoup d’objets, dont certains ne déclenchent aucune réaction mais qu’il faut malgré tout activer, cliquer sur une dizaine de tables et de chaises pour reconstruire un pub et lancer le souvenir d’une conversation…

Sans doute l'une des scènes les plus "cliquantes", tables, chaises, décorations murales, des dizaines d'interactions pour une poignée de phrases.

Sans doute l’une des scènes les plus “cliquantes”, tables, chaises, décorations murales, des dizaines d’interactions pour une poignée de phrases.

Et c’est ainsi que toutes les bonnes intentions de Fragments of Him tombent complètement à plat, en générant tellement de répétitions, d’actions inutiles (cliquer sur une série d’objets pour réaménager une pièce, faire un petit déjeuner, sans résultat visible) que l’ennui devient un réel frein à l’empathie. Même les lignes de dialogues, pourtant bien écrites, souffrent de la structure du jeu, les idées développées se retrouvant fragmentées en une suite de phrases qui perdent à l’occasion le lien qui devraient les unir. Au lieu d’être empathique et émouvante la progression est mécanique, le joueur cliquant sur tout ce qui brille en attendant qu’il se passe quelque chose. Pire, tout au fond de soi, on se reprocherait presque d’avoir hâte d’en finir. Et à cette heure, je me demande encore quel était l’intérêt de ponctuer le jeu par une seconde (et identique) reconstitution de la séquence d’intro ou de s’attarder autant sur certains aspects d’une banalité déconcertante au détriment d’autres plus cruciaux.

La séquence finale de James, la plus courte, est de loin la meilleure.

La séquence finale de James, la plus courte, est de loin la meilleure.

Seule la dernière partie du jeu, celle avec James, sort réellement du lot parce qu’il ne s’agit plus cette fois de souvenirs mais du présent, de la violence du deuil et des petites et grandes choses qui hantent celui qui est toujours en vie, de comment on peut dépasser la douleur. Malheureusement, c’est la plus courte, à peine une petite demie heure sur les 2h30 que durent Fragments of Him. Trente minutes précédées par deux heures de détachement mécaniques et de thématiques évoquées mais jamais vraiment approfondies. Et le problème n’est pas de se poser la sempiternelle question qui accompagnent cette nouvelle vague de titres (« est-ce vraiment un jeu ? »). En dépit d’un joli travail d’écriture et de doublages, le jeu de Sassybot est tout bêtement plombé par sa construction et son rythme maladroit. On ne s’attache pas vraiment aux personnages, si ce n’est à James, celui qui est finalement le moins mis en lumière.

L'avis d'extralife
  1. Développeur : Sassybot
  2. Genre : Histoire interactive
  3. Date de sortie : 3 mai 2016
  4. Support : PC
  • logo_fragments_of_himTrouver la bonne formule pour animer un jeu essentiellement narratif puisant son inspiration dans le réel, avec pour ambition de susciter émotion et empathie est un exercice ardu que certains ont su maîtriser, avec un gameplay tout aussi minimaliste que le soft de Sassybot (tel que That Dragon Cancer). Malgré une écriture assez habile et une ossature scénaristique intéressante, Fragments of Him rate le coche. D'une part en abordant certains sujets de façon bien trop superficielle mais surtout en transformant le joueur en simple tourneur de pages éparses, dont bon nombre sont blanches, il peine à créer l'attachement, en dehors de sa dernière section. Trente minutes maîtrisées sur 2h30 à 20 euros, un peu raide.
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Dinowan

Blogueur beauté, Youtubeur megalol, Selfie addict, InstaFoodie

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