SOMA : À bout de souffleTest JV

SOMA : À bout de souffle

Cinq ans après avoir connu la consécration avec Amnesia : The Dark Descent, les Suédois de Frictional Games, qui ont entre-temps passé la main à The Chinese Room pour le second volet, sont enfin de retour avec un nouveau survival intitulé SOMA. Ce huis clos subaquatique entend plonger le joueur dans les abysses de l’horreur, mais se fend surtout d’un des pitchs les plus intéressants de ces dernières années.

Il est loin, le temps où Thomas Grip et Jens Nilsson sortaient de l’Université avec pour seule ambition de créer un jeu, et pour seul bagage une démo technologique de ce qui allait devenir Penumbra : Overture. Pourtant, une dizaine d’années plus tard, Frictional Games n’a guère changé. On retrouve aujourd’hui un noyau de 14 personnes travaillant toutes à domicile, parfois avec des obligations à côté, et ne se rencontrant qu’une fois l’an – bref, l’archétype-même du studio indépendant mû par un unique moteur : la passion. Cette petite équipe se voit logiquement contrainte de sous-traiter certaines composantes de ses jeux, comme la musique ou – plus surprenant peut-être – l’écriture. Ainsi, c’est le Britannique Tom Jubert (FTL, The Talos Principle) qui avait officié sur le scénario des Penumbra. Pour Amnesia, Thomas Grip avait décidé de faire appel à son compatriote Mikael Hedberg, dont le travail a suffisamment convaincu pour le voir rempiler comme narrative designer sur SOMA. Le choix n’est pas seulement judicieux, il est carrément providentiel, tant le nouveau jeu de Frictional Games offre un synopsis ingénieux et une narration brillante, donnant lieu à des séquences d’une grande puissance émotionnelle.

A l'instar d'Amnesia, SOMA se joue dans la pénombre, un casque sur les oreilles.

À l’instar d’Amnesia, SOMA se joue dans la pénombre, un casque sur les oreilles.

Si on vous dit ça d’emblée, et si on vous demande de nous croire sur parole, c’est parce qu’il nous serait impossible de vous dévoiler l’intérêt et la profondeur de l’intrigue de SOMA sans vous gâcher une partie de la découverte – ce que nous souhaitons éviter. Bornons-nous à préciser que vous y incarnez un certain Simon Jarrett, dont la particularité est de disposer d’une espérance de vie incertaine depuis qu’un accident de la route l’a laissé en proie à des troubles cérébraux. Contacté par David Munshi, un scientifique borderline et visionnaire, Simon accepte de se plier à une expérience consistant à scanner son cerveau afin d’en recréer un modèle artificiel à des fins de traitement. Mais à l’issue de ce scan, il reprend conscience dans une base sous-marine aux accents futuristes, laissée à l’abandon, où les seules traces de vie se résument à quelques robots salement amochés, infectés par une étrange matière biomécanique. Ne pipant mot à ce qui l’entoure, Simon devra explorer soigneusement les lieux afin de trouver les premières réponses à ses interrogations, que ce soit en écoutant quelques logs audios ou en se connectant aux ordinateurs encore en service. C’est d’ailleurs par ce biais qu’il fera la connaissance de Catherine, avec laquelle il nouera une relation aussi profitable que poignante. La narration, très éclatée et volontairement elliptique, n’est pas mise en avant dès le départ ; elle prendra corps sur le long terme au gré des découvertes de Simon.

Le scénario et les thèmes abordés rappellent le vieux Bioforge d’Origin Systems.

L’accent est plutôt mis d’entrée de jeu sur l’ambiance qui se dégage de ces tunnels subaquatiques oppressants, de ces salles figées dans le temps, de cette technologie trop avancée pour ne pas mettre mal à l’aise, sans parler du fluide étrange qui la corrompt. Et que dire de ces incursions suffocantes dans un océan de pois où vous avancez souvent à l’aveuglette ? À ce sujet, ne cherchez dans SOMA aucune référence à Bioshock comme vous avez pu les lire ici ou là (autant dire que Star Wars ressemble à Alien parce que les deux films se déroulent dans l’espace). La seule évocation valable est celle de System Shock, considéré de toute façon comme le père des jeux du genre. Pour le reste, l’approche se veut identique à celle des précédents titres de Frictional Games. On y retrouve ainsi une vue subjective épurée de tout élément d’interface, gage d’immersion, qui procure un haut degré d’interaction avec l’environnement. Le moteur physique, toujours aussi impressionnant, permet de saisir un objet, de l’examiner sous toutes les coutures, de le lancer ou de l’utiliser sur le reste du décor, certaines actions nécessitant de mimer l’action à la souris. Bien que vos objectifs consistent la plupart du temps à fouiller des réseaux de salles à la recherche des éléments permettant de progresser, SOMA n’inclut pas la moindre gestion d’inventaire. Les énigmes proposées sont de toute façon assez simples (peut-être un peu trop ?), l’intention n’étant pas de vous bloquer durablement.

Un jeu qui propose le lean ne peut être que génial.

Un jeu qui propose le lean ne peut être que génial.

Il y a pourtant quelque chose qui vous contraindra à avancer prudemment, ce sont les mauvaises rencontres que vous ne manquerez pas de faire. La particularité de SOMA, qui était déjà celle des Penumbra et d’Amnesia, est de vous contraindre de les éviter à tout prix – vous ne disposez de toute façon d’aucune arme. Utilisez le lean à chaque bifurcation, apprenez à ne pas abuser de votre lampe-torche et veillez à ne pas heurter les objets qui jonchent (vicieusement) le sol. Si vous êtes repéré, dissimulez-vous dans un coin d’ombre ou derrière un obstacle, et acceptez de laisser passer ces choses près de vous, mais ne les regardez en aucun cas ! Le cas échéant, vous feriez grimper votre niveau de stress, qui altérerait drastiquement votre vision. Au programme : pixellisation de l’écran, filtres colorés, respiration haletante et battements de coeur, sans oublier les thèmes musicaux angoissants qui vont avec. Comme dans Amnesia, ces séquences de cache-cache éprouvantes fonctionnent sur des automatismes que vous finirez par identifier. Pour tout dire, elles pourraient même se montrer rébarbatives si elles ne survenaient pas qu’épisodiquement, et si, en vous invitant à explorer les différents sites d’une même base, Frictional Games n’avait pas tenu à varier au maximum les séquences de jeu (stressantes, contemplatives, réflexives, introspectives, claustrophobiques, pesantes ou aquatiques…) afin de ne jamais vous laisser de temps de vous lasser.

La façon de régénérer la vue évoque le eXistenZ de David Cronenberg.

Le rythme est donc soigneusement étudié. Et si SOMA souffre du même syndrome qu’Amnesia, à savoir une angoisse qui va de-crescendo durant l’aventure, le scénario suit cette fois la courbe inverse en prenant une consistance inespérée. À ceux qui argueraient que les concepteurs auraient pu se fendre d’un « simple » point’n click, on rétorquerait que c’est on ne peut plus faux. Rien que la vue subjective est d’une importance capitale que vous mesurerez au fil du jeu. Sans rien vous dévoiler des clés de l’intrigue, sachez que SOMA développe des thématiques comme la conscience de soi, l’intelligence artificielle, la subjectivité et le libre-arbitre. Ce dernier se voit exploré par le biais de quelques dilemmes qui ont le bon goût de ne se montrer en rien déterminants, mais de vous laisser seul avec votre conscience – ce qui est encore pire, et bien plus intéressant. On est également séduit par la cohérence remarquable qui lie le gameplay et le scénario. Ainsi, l’un de vos objectifs consistera à trouver le code d’activation d’un sous-marin, mais ce que vous devrez faire pour y parvenir prendra une forme totalement inattendue, donnant lieu à une séquence de jeu aussi ingénieuse que bouleversante qui vous amènera à réfléchir sur le sens de l’existence. Tout simplement brillant ! Même la scène finale, susceptible de décevoir dans un premier temps car sans doute moins surprenante qu’espérée, se révèle parfaitement adaptée quand on y réfléchit après coup.

Que peut-on reprocher sérieusement à SOMA ? Sa réalisation légèrement datée (graphiquement parlant, car le sound design est au top) ? Son optimisation perfectible ? Sa durée de vie limitée à une petite dizaine d’heures pour un prix de vente deux fois supérieur à celui d’Amnesia en son temps ? Ce ne sont que de menues broutilles face à l’expérience délivrée par le titre. Tout est affaire de subjectivité, dans SOMA plus qu’ailleurs, mais voilà incontestablement l’un des jeux de l’année pour l’auteur de ces lignes.

L'avis d'extralife
  1. Développeur : Frictional Games
  2. Editeur : Frictional Games
  3. Genre : First Person Sneaker
  4. Date de sortie : 22 septembre 2015
  5. Supports : PC, PS4
  • SOMA_box2SOMA est sans doute le meilleur titre de Frictional Games à ce jour. Moins angoissant mais bien plus maîtrisé qu'un Amnesia, il vous plonge dans un état d'oppression permanent pour mieux explorer les tréfonds de la psyché humaine à travers des séquences mémorables, d'une intensité émotionnelle rare. Bien plus qu'un simple jeu, voilà une véritable oeuvre de science-fiction susceptible de vous marquer durablement.
5

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16 commentaires

  1. Thanksmj
    Thanksmj
    5 octobre 2015 à 16 h 46 min

    Un jeu que j’avais prévu de faire, et du coup ça me donne encore plus envie :-)

  2. Alouxator
    Alouxator
    5 octobre 2015 à 18 h 07 min

    Le jeu me fait penser à Bioshock et j’aime BEAUCOUP la série Bioshock.

  3. Karha
    Karha
    5 octobre 2015 à 19 h 12 min

    A ce point? Pourtant j’étais bien parti pour faire l’impasse sur celui-là, n’ayant pas vraiment accroché à A Machine for Pigs, que j’avais trouvé à l’époque trop peu interactif et à la mise en scène maladroite, pour ne citer que les plus gros défauts.
    Bon ben on va se laisser tenter alors…

    1. Clément Le Hyaric (Pixelpirate)
      Pixelpirate
      5 octobre 2015 à 20 h 42 min

      J’ai moi aussi été assez déçu par A Machine for Pigs, mais nous ne sommes pas les seuls, puisque thomas Grip a également déclaré ne pas avoir apprécié le manque d’interactions du titre. Si SOMA brille davantage par son scénario que par son gameplay, il faut tout de même reconnaître qu’il a conservé le haut degré d’interactivité des précédentes productions Frictionnal games.

    2. Olbius
      Olbius
      12 octobre 2015 à 16 h 42 min

      Oy ! Petite précision, Machine For Pigs n’est pas un jeu Frictional mais Thechineseroom (studio récemment crédité sur Everybody’s gone to the rapture). On ne peut donc pas tenir rigueur aux développeurs de SOMA !

  4. Oncle-Tan
    Oncle-Tan
    5 octobre 2015 à 19 h 27 min

    Merci pour cet excellent test Clément !

    J’ai joué environ une heure, et l’univers mis en avant dans SOMA est vraiment captivant !

    Et en lisant ton test, j’ai hâte de poursuivre l’aventure (si j’ai le temps de jouer un peu), et personnellement, je n’ai pas eu l’impression de jouer à Bioshock, ce sont deux jeux totalement différents pour ma part.

    Et le thème abordé dans SOMA me fait vraiment penser à l’excellent film Blade Runner, on y retrouve ces questions humaines fondamentales.

  5. MajestikTheOne
    MajestikTheOne
    5 octobre 2015 à 19 h 33 min

    Test très bien rédigé, ça fait plaisir à voir !

    J’étais resté un peu déçu et sur ma faim après Amnesia, mais SOMA à l’air très prometteur d’après ce que je lis à gauche et à droite !

    Je me laisserai probablement tenter à 15€ :)

  6. Yahla
    Yahla
    6 octobre 2015 à 18 h 33 min

    Je viens de le terminer il y a quelques minutes et la fin ma vraiment ému, le scénar et la mise en scène sont exceptionnelle…

  7. Erwann44220
    Erwann44220
    7 octobre 2015 à 1 h 10 min

    Est-ce que il y a un éditeur de niveau comme dans Amnesia ?
    Vous ne l’avez pas mentionner à moins que mes yeux me fassent défaut.

    1. Clément Le Hyaric (Pixelpirate)
      Pixelpirate
      8 octobre 2015 à 10 h 42 min

      Tu fais bien de poser la question. Je n’ai pas vu d’éditeur de niveaux dans SOMA, et j’ignore si les développeurs ont l’intention d’en implémenter un à terme.

    2. Erwann44220
      Erwann44220
      8 octobre 2015 à 16 h 23 min

      Ok merci de ta réponse Pixel, dans Amnesia ca rallongait réellement la durée de vie et faisait même presque plus peur que l’histoire de base parfois, dans SOMA que je compte bientôt faire c’est surement plus délicat aussi vu l’architecture différente des niveaux à ce que j’ai pu voir dans le test.
      Il y a de l’exterieur sous-marin déjà.

    3. Clément Le Hyaric (Pixelpirate)
      Pixelpirate
      9 octobre 2015 à 20 h 13 min

      Bon, apparemment je t’ai dit des bêtises. Il y aurait bel et bien la possibilité d’éditer des custom stories dans la version PC de SOMA. Par contre, je ne sais toujours pas comment on accède à l’éditeur je ne vois l’option ni dans le menu du jeu, ni dans les extras sur GOG Galaxy :(

    4. Erwann44220
      Erwann44220
      10 octobre 2015 à 0 h 29 min

      Ce qui est bizarre c’est que personne n’y fait allusion pas même JVC, pourtant le studio a toujours mis à disposition les kits de developpement de ses moteurs (plutot simples à utiliser d’ailleurs, encore faut-il être créatif mais pas besoin de savoir coder pour créer un niveau Amnesia donc accessible) gratuitement, pourquoi ce serait différent ici.

  8. clubspawn
    clubspawn
    12 octobre 2015 à 21 h 13 min

    Toujours sous blister sur un tas de jeux…

    Courage, pourquoi m’a tu abandonné ?

  9. Lancien
    Lancien
    20 octobre 2015 à 0 h 04 min

    Frictional Games est véritablement hors norme!
    C’est avec une brio sans égale qu’ils arrivent à retranscrire les angoisses les plus profonde.
    Proche d’une philosophie “lovecraft’ienne”, une approche novatrice de la peur dans le monde du jeu vidéo!

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