The Witness : Le nouveau témoin du puzzle-gameTest JV

The Witness : Le nouveau témoin du puzzle-game

Avec son jeu Braid, développé en (presque) parfaite autonomie, Jonathan Blow est devenu bon gré mal gré l’un des fers de lance de la scène indépendante de la décennie précédente, allant même jusqu’à apparaître comme l’un des trois “héros” dans le documentaire Indie Game : The Movie. Mais depuis Braid, sorti en 2008, l’américain s’est fait plutôt discret. Cette mise à l’écart volontaire s’est faite dans le but unique de préparer son nouveau jeu : The Witness.

Cette fois, Jonathan Blow n’est plus seul et s’est entouré d’un petit studio pour réaliser ses ambitions. Jeu d’aventure dans la veine du grand MystThe Witness est un titre pouvant facilement se résumer en deux mots : puzzles et… puzzles. Le cœur du jeu est en effet comparable à un recueil d’énigmes à la difficulté croissante, et présenté dans le superbe écrin d’une île à explorer dans ses moindres recoins. À la manière de Myst, encore lui, The Witness ouvre les portes d’un petit bout de terre vraisemblablement abandonné, mais jonché de centaines de panneaux de contrôles correspondant à autant d’énigmes. Pas d’explications, pas d’introduction, le joueur est ainsi lâché dans cet environnement qu’il devra apprivoiser, guidé par sa curiosité, son sens de l’observation, et son esprit analytique couplé à une implacable logique pour lui permettre de comprendre et de résoudre chaque panneau.

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Les panneaux de contrôle se fondent dans le décor, comme s’ils faisaient partie intégrante de l’île.

Les énigmes de The Witness sont toutes basées sur une même problématique : tracer un chemin continu d’un point à un autre du panneau en respectant scrupuleusement différentes règles qu’il faudra déduire grâce aux panneaux précédemment résolus. On touche ici au génie du jeu qui, sans texte ni parole (ou presque, nous y reviendrons) parvient à transmettre les informations capitales à l’avancée. Dès les premières secondes, dès ce tout premier panneau minimaliste, il s’établit comme une communication entre le jeu et le joueur, un langage particulier que le titre nous enseigne pas à pas, panneau après panneau, en prenant toujours le temps de s’assurer que chaque règle soit correctement assimilée avant de passer à la suivante. Exactement à la manière d’un enseignant qui multiplierait les exercices pour veiller à ce que ces élèves puissent enregistrer de nouvelles règles de grammaire ou de nouveaux mots de vocabulaire, The Witness n’hésite pas à décliner le même type de puzzles en augmentant très graduellement la difficulté. Très didactique dans l’approche, cette façon de procéder traduit d’une certaine manière le jusqu’au-boutisme de son auteur. En se limitant à un seul et unique type de puzzles (relier un point à un autre sur une grille), Jonathan Blow tente tout de même d’aller aussi loin que possible. Rapidement, cet exercice de style imposé se transforme en tour de force lorsque l’on constate combien l’ensemble s’avère homogène durant l’intégralité du jeu au point d’effacer totalement la répétitivité qu’on aurait pu craindre. Pas de lassitude donc, mais des panneaux d’apprentissage qui se mélangent gracieusement à d’autres basés sur la logique pure où il est alors question de pousser sa réflexion parfois assez loin pour définir le trait parfait, celui qui permettra enfin d’activer le panneau, avec à la clé, l’ouverture de nouveaux passages pour s’aventurer vers d’autres recoins de l’île.

L'île n'est pas bien grande, mais propose une étonnante biodiversité.

L’île n’est pas bien grande, mais propose une étonnante biodiversité.

Maîtrisée à la perfection, la balance entre l’exploration et la réflexion offre toujours quelque chose à faire. Surtout au départ où des dizaines de panneaux n’attendent que nous pour être titillés. Et si l’un d’eux se trouve trop délicat à activer, il suffit d’aller voir plus loin pour en trouver d’autres peut-être plus abordables. On butine comme cela de puzzles en puzzles, en accumulant du savoir spécifiquement dédié à la résolution d’autres énigmes. Et avant même de le réaliser, nous nous trouvons immédiatement happés dans le monde de The Witness, fascinés par cette île petite en taille, mais gigantesque et généreuse en détails. Chaque section de l’environnement semble avoir été pensée avec la plus grande minutie pour définir le dosage parfait entre dépaysement et indices en tout genre. L’observation est indéniablement l’une des nombreuses clés pour apprécier et comprendre The Witness, un jeu où rien, absolument rien, ne semble avoir été laissé au hasard. Ce degré d’attention, ce souci du détail relève sans doute de la maniaquerie, mais il traduit surtout l’intention de son auteur de proposer un jeu complet, peaufiné de bout en bout pour former un tout cohérent et captivant que l’on peut d’ailleurs aborder à plusieurs niveaux.

Prendre le temps d'observer. C'est la leçon à retenir.

Prendre le temps d’observer. C’est la leçon à retenir.

S’il est tout à fait possible de ne se focaliser que sur les puzzles, et par conséquence de prendre un malin plaisir à se tordre l’esprit, The Witness parvient aussi à parler à ceux qui prendront le temps d’écouter ce qu’il a à dire. Car au delà de son statut de puzzle-game géant, The Witness nous pousse bien souvent à réfléchir à autre chose qu’à ses multiples panneaux de contrôle. Il est par exemple possible d’écouter de nombreux enregistrements audio transposant plusieurs axes de réflexion empruntés à des personnalités pensantes du passé. Physiciens, mathématiciens, astronautes, philosophes guident ainsi notre esprit au fil de nos découvertes, et à travers eux on entend le goût prononcé de Jonathan Blow pour la science. On l’entend nous dire que ce n’est pas tant la résolution d’une énigme qui prime, mais bien le cheminement intellectuel qui nous a mené jusqu’à celle-ci. C’est exactement sur ce chemin que l’on aime se perdre dans The Witness.

Note : Quelques énigmes sont entièrement basées sur les sons ou sur les couleurs. Des problèmes d’ouïe ou de vision pourraient se dresser comme d’infranchissables barrières pour les personnes concernées.

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L'avis d'extralife
  1. Développeur : Thekla Inc.
  2. Genre : Aventure, Puzzle-game
  3. Date de sortie : 26 janvier 2016
  4. Supports : PC, PS4
  5. Site officiel : http://the-witness.net/
  • the_witness_0000Après un développement fleuve de près de sept ans, The Witness sort enfin, et alors tout devient clair. La minutie avec laquelle le jeu a été conçu n'est pas un simple caprice d'auteur, elle se met au service d'un propos global puisqu'avec The Witness, il n'est pas juste question de résoudre des énigmes, mais au contraire d'apprendre à les résoudre en observant autour de soi. En d'autres termes, la destination n'est pas une finalité. C'est le voyage qui nous y mène qui est important.
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Jihem

La découverte de BurgerTime aux débuts des années 80 aura clairement affecté la vie de ce grand bonhomme. Non seulement, Jihem a développé une passion pour les jeux vidéo, mais il a également choisi de s'installer au pays du hamburger. Sa mère est plutôt heureuse qu'il n'ait pas découvert les jeux avec Boogerman.

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5 commentaires

  1. Kazuhira
    Kazuhira
    8 février 2016 à 19 h 18 min

    The Witness : Le nouveau témoin du puzzle-game

    Witness, témoin, I see what you did there… B-)

    Franchement j’hésite quand même a y mettre 37€… Je vais peut-être attendre les soldes pour le prendre.

  2. Vactro
    Vactro
    8 février 2016 à 23 h 38 min

    J’ai hésité les premier jour de sa sorti à le prendre en me disant que ça pourrait être répétitif ou pas aussi captivant que ça.

    Au final j’ai regardé quelque stream très rapidement (pour voir du gameplay live) pas trop pour éviter de me spoil des énigmes ou autre et je me suis dit aller hop on le prend.

    Et ben putain (désolé ^^) ! Franchement dès que je lance le jeu, je ne le décroche pas avant d’avoir résolu quelque petites énigmes à gauche à droite. Et l’environnement est tellement magnifique je trouve en plus d’être intelligemment crée.

    Franchement pas déçu d’avoir mis plus de 35€ dans ce jeu car il vaut le coup et on voit très bien que rien n’a été fait au hasard dans ce jeu c’est fou.

    En tout cas un test intéressant à lire et qui donne parfaitement bien un avis sans spoil quoi que ce soit, et ça c’est cool ^^

    1. Jihem
      Jihem
      9 février 2016 à 14 h 54 min

      Le spoil, c’est le mal.

  3. Yorda
    Yorda
    9 février 2016 à 18 h 05 min

    Merci pour cet article Jihem. Toutefois, pour être tout à fait honnête, je suis très déçu de voir que l’intégralité des critiques portant sur le jeu (j’en ai lu des dizaines, à la fois en anglais et en français) semblent totalement passer à côté des enjeux philosophiques du titre, donc de sa raison d’être. C’était déjà le cas avec Braid à l’époque, dont on a souvent vanté — à raison — les qualités esthétiques et de game design, mais dont le propos et les mécaniques subtiles échappaient à de nombreux joueurs.

    Je copie une réponse que j’ai formulée il y a moins d’un an lors d’une discussion portant sur le jeu vidéo en tant qu’art et qui me permet de rebondir sur l’exemple de Jonathan Blow :

    “Le cas du jeu vidéo est intéressant. Il me semble que notre génération assiste ce à quoi les gens qui vivaient au début du XXème siècle ont assisté avec le cinéma : le développement d’un langage nouveau qui a été et reste aujourd’hui largement considéré comme un divertissement, un moyen de passer le temps. On associe encore très souvent au jeu vidéo un cahier des charges spécifique (durée de vie conséquente, quêtes à compléter, présence d’un scénario, de musiques, de donjons, de PNJ, objets à récolter, pouvoirs à acquérir, originalité, performances techniques, avoir un objectif défini, effets stylistiques attrayants, qui flattent l’oeil et qui sont souvent synonymes pour la presse et les joueurs de « poétiques, oniriques, artistiques » phénomène de surexploitation qui a d’ailleurs vidé ces mots de leur sens), et on continue à le penser comme un médium qui n’a pour vocation que d’amuser, distraire. Un dossier récent publié sur Jeuxvideo.com en témoigne. Ces codes sont dictés par une partie de l’industrie et à l’instar du cinéma, ils sont vus comme la norme par la grande majorité des joueurs. Il suffit de jeter un oeil aux nombreuses critiques portant sur la durée de vie d’un titre comme Journey, son rapport coût/durée de vie ou sur son manque d’objectifs définis et d’items à récolter (dans le cadre de Journey, ces choix ne répondent pas à une logique d’amusement mais servent un propos, une expérience intérieure) pour mesurer la fracture qui sépare aujourd’hui une partie des joueurs des aspirations nouvelles du média. C’est en cela que je trouve l’affirmation qui consiste à dire que le jeu vidéo doit par nature divertir et amuser dogmatique et éloignée de la réalité. C’est un cas d’autant plus intéressant ici que, même si l’on poursuit cette logique de coût/durée de vie (à laquelle je n’adhère pas, donc), on en trouve très vite la limite avec une oeuvre comme Journey, dont la raison d’être, l’âme véritable ne me semble pas reposer sur l’achèvement d’un objectif — quand bien même il en prendrait les formes : compléter un scénario, aller d’un point A à un point B — mais plutôt sur son invitation au renoncement, au don de soi et à la communion de deux âmes. En ce sens, la durée de vie de Journey ne saurait être évaluée en des termes objectifs (ceux issus du cahier des charges évoqué un peu plus tôt) mais plutôt sur sa capacité à émouvoir et créer de la pensée. L’émotion naissant ici de la rencontre, de l’échange, du don, d’une élévation spirituelle partagée, la durée de vie se retrouve donc potentiellement infinie dès lors qu’il y a des joueurs connectés.

    Dans une interview accordée au magazine Games, Jenova Chen, le créateur de Journey, expliquait ainsi sa démarche :

    « Le jeu vidéo n’est pas différent des autres médias comme les livres, la musique, les films. La finalité, c’est de communiquer une ambiance, un message critique, la volonté d’inspirer quelque chose… Mon obsession est la suivante : « Qu’est-ce que mon produit raconte aux gens ? ». Ceux-ci vont passer une demi-heure à deux heures d’affilée sur nos jeux, ce qui représente un temps dépensé (voire perdu) considérable à l’échelle de la planète. La nature du propos que je leur transmets est donc primordiale. Ce que je leur dis doit les soutenir au lieu de simplement les distraire. Plus nos jeux gagnent en popularité, plus nous savons qu’ils vont toucher du monde. Voilà pourquoi nous souhaitons aider les gens à grandir, à s’épanouir, à affronter l’existence avec un appétit de vivre toujours plus grand. »

    Ceci-dit, le jeu vidéo rencontre des obstacles importants dans sa quête d’autonomie. Le premier est celui qui voit son langage (l’interaction) être bloqué par l’influence grandissante des autres arts, et en particulier celle du cinéma qui impose de plus en plus la « cinématographie » comme maturité vidéoludique. S’il veut être considéré comme un art, le jeu vidéo doit résoudre l’équation qui légitime l’interaction — ou toute autre composante qui n’appartient qu’à lui — dans la fabrication d’un sentiment, d’un message critique, d’une idée qui le dépasse (et non plus la fabrication d’une satisfaction, d’un plaisir immédiat). C’est en cela qu’à mes yeux, un titre comme The Last of Us, sous ses contours de jeu adulte, asservit le jeu vidéo, le soumet et le met en danger, là où un titre comme Journey (dont l’interaction ne saurait être une fin en soi, à l’image de la caméra au cinéma, elle est au service d’une raison d’être, d’une cause supérieure), l’émancipe et le grandit. Je crois en une maturité vidéoludique qui ne vienne pas de la cinématographie, mais plutôt d’un langage neuf et indépendant mis au service d’une démarche artistique. Malgré un langage encore balbutiant, des auteurs comme Fumito Ueda, Jenova Chen et Jonathan Blow ont montré que cette voie était possible.

    Un autre obstacle est celui qui voit le média souvent réduit à des considérations superficielles. J’évoquais un peu plus tôt quelques uns des adjectifs qui reviennent régulièrement dans les critiques des joueurs et testeurs. Dans la quête d’indépendance du jeu vidéo, la question de notre rôle en tant que joueur et critique se pose nécessairement. J’ai le sentiment que l’on associe encore trop souvent certains stéréotypes (bucoliques notamment : champs de fleurs, envolées d’oiseaux, rayons de soleil) et certains effets aguicheurs (visuels : lumière, couleurs, angles de caméra ; sonores : sons, musiques) à la poésie. Une poésie du visible, formatée par la norme aujourd’hui en vigueur au cinéma et dans le jeu vidéo, et qui n’a plus aucun mystère. En réduisant le « poétique », « l’onirique », « l’artistique » au champ du visible, la critique a fini par desservir les jeux qu’elle tentait de défendre. En qualifiant Journey de « poétique » pour ses rayons de soleil, ses envolées de particules de sable et certaines de ses sonorités musicales, en éclipsant l’invisible au profit du visible, la critique a peut-être vidé le titre de son âme, de sa poésie véritable. Cet obstacle induit en fait une question supplémentaire : un joueur/critique n’ayant aucune connaissance culturelle autre que vidéoludique est-il capable de mesurer les aspirations nouvelles du média, l’acte par lequel il s’affranchit ? Il semble aujourd’hui que ce soit le cas. Il n’est en tout cas pas surprenant de voir que les critiques et universitaires qui ont réussi à dépasser ces considérations sont ceux ayant été capables de replacer le jeu vidéo dans un contexte plus global, en tentant d’abord de comprendre ce qui a construit la maturité et l’indépendance des autres arts, tel que le cinéma.

    Quant à l’appellation « jeu vidéo », peut-être faudrait-il que l’on repense le vocabulaire utilisé (vocabulaire instauré lors de la naissance du média et qui ne semble aujourd’hui plus correspondre à son évolution et une partie de ses aspirations). Il me semble difficile aujourd’hui d’ignorer que certains créateurs ne cherchent pas à amuser ni à passer le temps, mais plutôt à faire ressentir, à poser des questions intimes, personnelles, à inviter le joueur/acteur à se questionner (sur son rapport au monde, aux autres, au bonheur…).”

    Il en va évidemment de ressenti personnel, mais Braid avait ceci de beau qu’il construisait un propos en utilisant le prétexte de mécaniques vidéoludiques. Chaque élément de gameplay trouvait un écho dans la narration et le message critique de l’oeuvre. Chaque choix était nécessaire, donc juste. Braid n’était en fait moins un jeu de plate-forme rétro un peu plus exigeant que la moyenne que la description poétique de la décomposition d’un couple et des aspirations et regrets d’un être humain suite à cet échec. De son aspiration au bonheur, à l’amour, à la plénitude spirituelle. A la manière d’un Silent Hill 2, il s’agit moins d’une résolution d’énigmes que d’une plongée dans l’âme humaine. Par ailleurs, on y trouve également une dimension critique très marquée de la course à la technologie (et en particulier à la bombe), de ce désir de vérité et de maitrise au détriment de la foi, qui annihile tout mystère dans chaque chose. Ce sont des concepts qui renvoient aussi bien à Nietzsche qu’à Tarkovski, qui est d’ailleurs — ce n’est pas une coincidence — explicitement cité dans The Witness (cf. la salle de cinéma).

    Bref, je me suis attardé sur Braid et Journey en particuliers parce qu’ils sont deux titres sur lesquels nous avons plus de recul aujourd’hui — et parce que je n’ai pas encore fini The Witness — mais aussi et surtout parce qu’ils me permettent d’ouvrir cette parabole à propos du dernier né de Jonathan Blow, et qui semble une fois encore, malheureusement, souffrir d’un manque de recul critique (et je ne vise pas ta critique en particulier, je pense que c’est un phénomène global, structurel duquel je fais aussi partie et qui concerne 99% des critiques) qui ne permet pas de mesurer l’importance du titre dans le paysage vidéoludique.

  4. Itazu
    Itazu
    15 mars 2016 à 15 h 10 min

    Je viens de découvrir que Jonathan Blow est désormais en train de bosser sur un langage de programmation qui a beaucoup de bonnes idées. Le concept me semble vraiment intéressant, je me demande ce que ça va donner.

    Présentation des idées pour son langage :
    https://www.youtube.com/watch?v=TH9VCN6UkyQ

Réponse