Monumental : Interview de l’auteur Matthew Dunstan et de Philippe Nouhra (Funforge)Coulisses

Monumental : Interview de l’auteur Matthew Dunstan et de Philippe Nouhra (Funforge)

Lors du festival international des jeux qui s’est tenu à Cannes fin février, nous avons pu nous entretenir avec Matthew Dunstan, auteur entre autres d’Elysium, de Professeur Evil et la Citadelle du Temps et plus récemment de Fairy Tile, et Philippe Nouhra, fondateur de Funforge. L’occasion rêvée pour discuter de l’industrie du jeu de société, mais également de Monumental, dont la campagne Kickstarter débute aujourd’hui. Il s’agit d’un jeu de civilisation et de conquête s’appuyant sur du deckbuilding. Chaque joueur contrôle une civilisation, dont la capitale est représentée par une grille de trois cartes sur trois. Une fois certaines cartes activées, le joueur récolte des ressources (militaires, scientifiques, etc.), qui lui permettra d’acheter de nouveaux bâtiments plus évolués. Le plateau modulaire, composé de plusieurs tuiles, sert de théâtre aux affrontements entre civilisations et aux conquêtes de territoire.

 


Monumental est assez différent des jeux que tu as créés jusqu’à présent, qui étaient plus légers…

Matthew Dunstan : Peut-être, oui. Mais prenons l’exemple d’Elysium. Je pense que les joueurs décèleront quelques similitudes entre ces deux jeux. Je viens de l’univers de Magic, j’y ai joué énormément et j’adore ce genre de jeux. Je pense que l’on retrouve un peu l’ADN de Magic dans Elysium et Monumental et donc un peu de moi également. C’est d’ailleurs pour cela que je n’ai pas travaillé avec Brett [NDLR : Brett J. Gilbert, co-auteur d’Elysium] sur ce jeu…

Philippe Nouhra : Tu ne voulais pas qu’il vienne tout gâcher…

MD : Il est vraiment nul à ce genre de jeux, je ne voulais pas le battre tout le temps ! Monumental retranscrit une autre facette de ma personnalité, je pense être capable de créer différents types de jeux, comme Professeur Evil et celui-ci, entre autres.

Tu utilises des mécaniques différentes à chaque nouveau jeu, on ne sait pas à quoi s’attendre avec toi !

MD : Tu sais, il y a un tel éventail de jeux aujourd’hui, je puise mon inspiration dans tout ce que je vois et dans le travail d’autres auteurs, j’ai envie de toucher à tout. Je pense que je m’ennuierais à force de faire toujours les mêmes choses. D’un point de vue personnel, j’ai toujours apprécié les jeux de cartes du type Race for the galaxy, qui fait partie de mes favoris. Je ferai tout pour créer régulièrement des jeux de ce genre.

Le deckbuilding est décidément très à la mode en ce moment, sous des formes différentes du deckbuilding pur, je pense aux jeux de course comme Flamme Rouge, aux jeux coopératifs comme Harry Potter, etc. Était-ce une obligation pour toi de proposer une nouvelle mécanique s’appuyant sur le deckbuilding, à l’image de cette grille de cartes présente dans Monumental ?

MD : À l’origine, le jeu ressemblait plus à un JCE [Jeu de cartes évolutif]. La licence Civilization appartient à Fantasy Flight Games et j’étais curieux de voir ce que donnerait un mélange des deux. La grille de cartes a été le point de départ, qui est venu compléter la base JCE. Après plusieurs versions, le format JCE a été finalement abandonné. La mécanique de deckbuilding est particulièrement intéressante car elle permet d’intégrer énormément d’éléments différents sans pour autant submerger les joueurs.

Le deck de cartes renferme un haut niveau de complexité, mais celle-ci est distillée à chaque tour de jeu. Par exemple, dans Dominion, tu disposes d’un deck d’une vingtaine de cartes, mais tu n’en as que cinq à gérer à la fois. Et dans Monumental, la principale innovation réside dans le fait que le joueur n’a pas de cartes en main. Toutefois, le deckbuilding est une mécanique un peu figée, qui limite parfois la réflexion pendant le tour de jeu. Je ne sais pas si vous avez déjà joué à Ascension. C’est un très bon jeu, mais dans lequel on se contente de jouer toutes ses cartes. Je tenais à créer un jeu avec de vrais choix stratégiques à tous les tours. C’est ce qui m’a guidé et j’espère y être parvenu.

Quel a été le rôle de Funforge dans tout cela ? Le jeu a beaucoup évolué de semaine en semaine, qu’est-ce qui t’as le plus attiré dans le jeu ?

PN : Comme l’a dit Matthew, le jeu s’apparentait à un JCE au départ et le prototype avait été présenté à d’autres éditeurs ; en l’occurrence Days of Wonder. Je les connais très bien, ils m’ont dit qu’ils ne le publieraient certainement pas et m’ont demandé d’y jeter un œil car il leur avait beaucoup plu. J’ai donc joué au prototype et j’ai été séduit par le système de « cross tapping », qui demande au joueur d’activer une ligne et une colonne de cartes. C’est une mécanique très intéressante car elle incite le joueur à réfléchir en amont à chacune de ses actions et non pas à jouer bêtement toutes les cartes qu’il a en main. Cet aspect du jeu m’a particulièrement convaincu.

En outre, les jeux de civilisation sont tellement riches par essence et donnent toute latitude pour créer quelque chose de magnifique, en l’occurrence les merveilles, les technologies, les héros, etc. Il me manquait juste l’aspect « conquête » du jeu. On a donc commencé à travailler ensemble pour intégrer cet élément au jeu de sorte à offrir de vraies récompenses aux joueurs. C’est là que nous avons ajouté les jetons Barbare qui permettent de récolter des ressources, les points de victoire après avoir conquis les territoires, etc. Nous songeons également à donner encore plus de profondeur au jeu et aux éventuelles extensions, avec des avant-postes, par exemple.

Au départ, c’est vraiment ce système qui m’a le plus attiré. Puis, à force de travailler dessus, j’ai perçu tout le potentiel du jeu, la manière dont il pouvait évoluer, les éléments à ajouter, comme des nouveaux héros. Vous n’avez pas pu le voir, mais nous travaillons actuellement sur des cartes spéciales de héros. Il y aura des stretch goals à débloquer durant la campagne Kickstarter, des figurines, mais également des personnages qui s’apparentent aux seigneurs de guerre, à la différence près que ce ne seront pas des unités militaires.

MD : Des figures emblématiques de l’histoire telles que Albert Einstein, etc. N’importe quelle civilisation pourra les utiliser.

PN : Ils seront disponibles dans la rangée centrale, les joueurs pourront donc les acheter avec des ressources ou de l’or, comme les bâtiments. Il faudra donc les payer pour bénéficier de leurs effets. Le jeu est particulièrement évolutif, nous pouvons très facilement ajouter de nouveaux éléments.

Monumental est différent des jeux que Funforge édite habituellement, il semble beaucoup plus complexe…

PN : Oui, absolument. Le nom du jeu est très parlant, il est… monumental ! Sous tous ses aspects, la production, etc. Il est vraiment gigantesque. La version finale sera énorme, elle comportera un grand nombre de figurines, de tuiles, de cartes, etc. En termes de production, c’est un sacré défi, beaucoup de personnes sont impliquées dans ce projet. Mon objectif est de faire en sorte que n’importe quelle carte puisse servir d’illustration pour la boîte du jeu. Il faut donc qu’elles soient toutes parfaites et pour cela, il est crucial de s’entourer des bonnes personnes, de les motiver et de les faire avancer dans la même direction.

MD : En effet, le jeu est complexe, mais au final, nous mettons tout en œuvre pour livrer l’expérience la plus fluide possible. Le tour de jeu n’est pas divisé en plusieurs phases, il suffit juste de choisir une ligne et une colonne de cartes sur la grille, et c’est tout. C’est à la fois simple et varié.

PN : C’est ce qui fait tout le sel de Monumental. Il s’appuie sur des mécaniques de combo, la profondeur de jeu vient des choix que vous devez faire et des décisions que vous devez prendre à chaque tour, il n’y a pas de règles complexes parfois difficiles à retenir. Les règles de base sont très simples, il est possible de les expliquer en une dizaine de minutes et de lancer ensuite une partie. Néanmoins, chaque partie sera différente grâce au système de combo. C’est aussi un aspect qui m’a particulièrement séduit dans Monumental.

La campagne Kickstarter sera lancée le 14 mars. Le financement participatif était-il un passage obligé ? As-tu songé par exemple à ouvrir des précommandes sur le site officiel ?

PN : Ce type de production, qui comporte énormément de figurines, d’artworks et autres coûte beaucoup d’argent. Il est donc indispensable de trouver rapidement un groupe d’acheteurs potentiels, ce qui n’est possible que via Kickstarter ou presque. Les joueurs utilisent déjà cette plateforme et sont à la recherche de ce type de jeux. Nous n’avons pas les mêmes moyens qu’Asmodée ou Fantasy Flight Games, il est pratiquement impossible pour nous de réunir un tel groupe d’acheteurs via une phase de précommande. Kickstarter était la voie la plus logique.

Funforge a lancé une campagne Kickstarter pour l’édition Deluxe de Tokaido. Les joueurs se sont plaints des retards dans la livraison…

PN : C’est encore le cas !

As-tu retenu des leçons de cette mésaventure ?

PN : Oui, évidemment. Tokaido Deluxe a accusé autant de retard à cause du temps nécessaire à la peinture des figurines. Au vu du prix proposé, ce fut un sacré défi à relever. Tout revient toujours à la fameuse équation temps/argent/qualité et aux sacrifices qui en découlent parfois. Nous ne voulions pas vendre un produit trop cher. En revanche, nous tenions à proposer des articles de qualité. Il a donc fallu prendre plus de temps. C’était une situation très difficile à gérer. C’est pourquoi Monumental n’intégrera pas de figurines peintes. C’est la première leçon que nous avons retenue de la campagne Tokaido. La deuxième concerne notre communication. Nous n’avons pas suffisamment échangé avec la communauté. Nous avons beaucoup appris de nos erreurs et nous espérons que la campagne Monumental se passe beaucoup mieux. C’était une expérience complètement nouvelle pour nous. Parfois, il faut foncer droit dans le mur pour apprendre à l’éviter ensuite.

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Jihem

La découverte de BurgerTime aux débuts des années 80 aura clairement affecté la vie de ce grand bonhomme. Non seulement, Jihem a développé une passion pour les jeux vidéo, mais il a également choisi de s'installer au pays du hamburger. Sa mère est plutôt heureuse qu'il n'ait pas découvert les jeux avec Boogerman.

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