Monumental : Interview de l’auteur Matthew Dunstan et de Philippe Nouhra (Funforge)Coulisses

Monumental : Interview de l’auteur Matthew Dunstan et de Philippe Nouhra (Funforge)

 

Philippe, tu as également travaillé dans l’industrie du jeu vidéo. Pour quelle raison as-tu changé de milieu ?

PN : Euh… Principalement, parce que je m’ennuyais. Lorsque j’ai commencé, j’étais particulièrement enthousiaste. Les entreprises étaient plus petites, les équipes également. Tout le monde était réellement impliqué dans son travail. Plus le temps passait, plus les entreprises et les équipes grossissaient. Tout devenait très cher et très complexe. Je n’étais plus qu’un petit rouage d’une énorme machine et cela ne m’intéressait plus. J’avais envie de créer ma propre entreprise.

Bien sûr, j’ai d’abord songé à continuer dans le jeu vidéo, mais cela demandait trop d’argent et comportait trop de risques. J’étais déjà passionné par les jeux de société à l’époque. Comme Matt, j’étais un gros joueur de Magic, j’y ai consacré énormément de temps et d’argent. J’ai senti qu’il y avait quelque chose à faire dans ce milieu. Lorsque j’ai lancé ma boîte, il y avait énormément de jeux très mal produits, contrairement à aujourd’hui. C’était de bons jeux, mais ils n’étaient pas beaux. J’ai donc pu m’appuyer sur mon expérience dans le jeu vidéo, qui m’a permis d’apprendre à faire de jolis jeux. Au final, migrer vers les jeux de société s’est fait très naturellement.

Ne crains-tu pas que l’industrie du jeu de société suive la même voie que celle du jeu vidéo ?

PN : Si, bien sûr. C’est quelque chose que je ressens déjà depuis des années. Asmodée, qui rachète de plus en plus d’entreprises, est un parfait exemple. La même chose s’est produite dans le jeu vidéo avec Electronic Arts ou encore Ubisoft. Il est évident qu’à partir du moment où de l’argent est en jeu, il est très facile d’entrer dans l’engrenage du toujours plus. Les entreprises rachètent d’autres entreprises, étendent leurs activités, se lancent dans la distribution. C’est un processus tout à fait classique dans toute industrie en pleine croissance. Cela ne me surprend pas du tout. C’est pourquoi nous avons saisi toutes les opportunités d’évolution, comme devenir distributeur.

J’ai toujours su qu’il fallait que nous gardions une certaine indépendance dans notre façon de travailler. Si nous n’avions pas fait cette démarche, l’entreprise n’existerait probablement plus, ou nous serions devenus un studio appartenant à une grande société. Je voulais éviter cela à tout prix, je voulais rester indépendant afin de mener des projets à notre manière. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles Kickstarter constitue un outil très intéressant pour nous. À partir du moment où les idées sont bonnes, correctement exploitées et bien mises en valeur, même une petite entreprise peut créer un produit solide. C’est de moins en moins le cas lorsque l’on passe par un réseau de distribution classique du fait de la concentration des acteurs de l’industrie.

En tant qu’auteur, quel est ton ressenti sur tout cela ? Le nombre grandissant d’éditeurs facilite-t-il ton travail ?

MD : Oui, il est probablement plus facile aujourd’hui de sortir un jeu qu’il y a dix ou quinze ans. Le marché est mieux installé, il y a plus d’éditeurs et la demande est plus forte. Les jeux sont aussi plus variés. Mais abordons le sujet sous un autre angle et attardons-nous sur le nombre de jeux vendus, leur durée de vie sur les étalages, leur cycle de vie tout simplement.

Cela ne fait que quelques années que je suis dans le milieu, mais je remarque déjà que la vie d’un jeu est de plus en plus courte. La plupart des joueurs ont tendance à les oublier rapidement. Il faut donc savoir se démarquer, que ce soit à travers les mécaniques du jeu, la production, la narration, afin de retenir leur attention et à partir de là, compter sur le bouche à oreille. Je suis assez admiratif de l’étendue de la gamme de jeux proposée, mais cela reste très difficile, quoique passionnant, pour quelqu’un qui souhaite un jour en faire son métier à plein temps.

PN : Le constat est le même pour les éditeurs. Nous travaillons dur sur chacun de nos produits en sachant pertinemment qu’il n’y aura certainement pas de suite et que leur cycle de vie sera de trois mois environ. C’est la dure loi de ce marché : vous travaillez un an ou un an et demi sur un produit et trois mois après sa sortie, il a pratiquement disparu, le premier batch est écoulé, le jeu n’intéresse plus personne et il faut passer au suivant. Il faut pouvoir accepter cela sur l’ensemble des projets menés.

Matt a absolument raison, il faut proposer quelque chose d’unique. Et sur tous les aspects, pas seulement les mécaniques, la production ou la narration. Le jeu doit être très bon, très solide, original. Il en est de même pour la production et pour tout ce qui tourne autour du jeu. C’est la raison pour laquelle tant de personnes travaillent sur Monumental et nos critères d’exigence sur la production sont si élevés. Tout doit être au même niveau de qualité que le jeu lui-même. Les joueurs sauront ainsi qu’ils achètent un produit abouti. De nos jours, si vous ne vous investissez pas complètement dans un projet, vous travaillez pour rien.

Revenons un instant sur les jeux vidéo. On entend beaucoup parler en ce moment des jeux en tant que service, qui bénéficient de mises à jour régulières. Le jeu de société suivra-t-il ce chemin, avec des extensions toujours plus nombreuses ? Souhaites-tu suivre cette démarche ou cherches-tu le jeu qui n’aurait pas à s’appuyer sur cette méthode commerciale ?

PN : Il ne s’agit pas que d’une méthode commerciale. Évidemment, lorsqu’un jeu rencontre le succès, nous cherchons à capitaliser dessus et à le faire évoluer. Mais en tant qu’éditeur, les notions d’investissement personnel et d’intérêt intellectuel sont importantes. Lorsque vous consacrez énormément de votre temps à un projet et que vous y croyez dur comme fer, vous avez envie de le faire vivre le plus longtemps possible.

Nous parlions d’éventuelles extensions tout à l’heure. Nous ne savons pas encore si Monumental sera un succès ou non. Néanmoins, nous sommes particulièrement enthousiastes à l’idée d’ajouter de nouveaux éléments au jeu, d’imaginer de nouvelles choses. Nous sommes un peu comme un enfant qui tourne les pages d’un catalogue de jouets et qui souhaite avoir tout ce qu’il voit. Personnellement, en tant qu’éditeur, c’est ce qui compte le plus. L’argent passe après. Si nous pouvons allier les deux, tant mieux.

Matthew, est-ce que tu te retrouves dans cette image de l’enfant qui tourne les pages d’un catalogue avec Monumental ?

MD : Oui, tout à fait. On crée différents jeux tout en sachant pertinemment qu’il n’est pas possible de faire des extensions pour chacun d’entre eux. J’espère sincèrement que Monumental rencontre le succès, car il reste énormément de choses intéressantes à faire. Je crois fermement au système de jeu et à sa fluidité, il est capable d’offrir énormément de variété sans pour autant submerger le joueur. Il permet de vivre plusieurs expériences au fil des parties grâce aux différentes civilisations et aux différentes époques abordées dans le jeu. Nous ne sommes pas à court d’idées, ça c’est certain !

PN : Absolument. Et par expérience, c’est la preuve que le produit que vous avez entre les mains est solide. Lorsque les idées vous viennent rapidement, c’est que vous êtes en train de développer quelque chose de très intéressant, qui s’auto-alimente. Lorsqu’un jeu est mauvais ou tout juste moyen, vous en voyez facilement les limites. Il est très difficile de le faire évoluer et de le rendre plus attractif. Avec Monumental, tout coule de source. Je rejoins Matthew, sans forcément parler de l’aspect financier qui est bien sûr capital, j’espère que le jeu sera un succès, que l’on continuera à prendre du plaisir à y jouer et à le développer.

Ta ludographie s’étoffe de plus en plus. Existe-t-il une patte “Matthew Dunstan” ? Ou peut-être n’es-tu pas le mieux placé pour en juger…

MD : Je ne sais pas. Je pense qu’effectivement, il faudrait demander cela à quelqu’un d’autre. Au final, je cherche simplement à créer des jeux qui me plaisent. J’apprécie particulièrement la fluidité. Les règles peuvent être simples ou complexes, le jeu peut être court ou à l’inverse très long, mon but est de livrer une expérience fluide, qui conduit naturellement les joueurs à prendre les bonnes décisions. Mais en effet, c’est peut-être encore trop tôt pour parler de patte « Matthew Dunstan ». Et il est probable que mes prochaines sorties n’apportent pas de réponse claire et précise !

Revenons un instant sur Asmodée. Peux-tu nous parler un peu de ce qui va se passer suite au rachat de Mayfair et de Lookout Games par rapport aux éditions françaises de Patchwork, Agricola et autres ?

PN : Je vais être très direct. Funforge a conclu un accord de distribution avec Mayfair et Lookout. Rien ne va changer, en fait. Le fait qu’une entreprise soit rachetée ne met pas un terme aux contrats qui ont été signés auparavant. Tant que personne ne vient nous consulter à ce sujet, nous continuerons à produire et distribuer les jeux Lookout (Mayfair n’existant plus). Lorsqu’Asmodée viendra frapper à notre porte, nous discuterons. Pour l’instant, l’accord tient toujours et nous l’honorerons, tout simplement.

Matthew, nous avons eu vent des projets que tu mènes avec Bruno Cathala, peux-tu nous en dire un peu plus ?

MD : Bien sûr. Nous travaillons sur deux jeux. Le premier devrait sortir en début d’année prochaine, nous avons trouvé un éditeur. Nous sommes encore en train de développer le deuxième, qui est un jeu à deux. Vous allez très certainement y reconnaître la patte « Cathala », mais j’espère que j’ai pu y apporter ma touche personnelle. En tout cas, j’aime beaucoup travailler avec lui.

PN : Je n’étais pas au courant ! Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ?

MD : On cherche toujours un éditeur pour le deuxième jeu…

(Rire collégial)

Merci infiniment, messieurs.

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Jihem

La découverte de BurgerTime aux débuts des années 80 aura clairement affecté la vie de ce grand bonhomme. Non seulement, Jihem a développé une passion pour les jeux vidéo, mais il a également choisi de s'installer au pays du hamburger. Sa mère est plutôt heureuse qu'il n'ait pas découvert les jeux avec Boogerman.

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