Dead in Vinland : Le jeu de la bourre et du hasardTest JV

Dead in Vinland : Le jeu de la bourre et du hasard

Souvent vus à tort comme de simples brutes assoiffées de sang qui occupaient leur dimanche aprem à chiller devant les corps en feu de leurs victimes, les vikings avaient aussi une sensibilité. Marchands émérites et habiles négociateurs, ils s’accaparaient des territoires pépouzes afin d’étendre leur influence. Mais parfois, quelques relations de clans dérapaient en sortie de virage et certains se retrouvaient dans le fossé du désespoir avec femmes et enfants. C’est l’histoire triste et velue de Dead in Vinland : de la violence et des fruits secs.

Le coup de pas de bol. Alors que Eirik et sa famille profitaient de leur vie de vikings dans la fleur de l’âge, des malandrins les chassent dans la mer déchaînée à grands renforts d’insultes qui impliquent les mamans. Blessés, affamés et perdus, les membres du clan échouent sur une maigre île, qui devient leur nouvelle demeure. Un horizon gorgé de verts pâturages s’ouvre alors à eux, avec comme seul souci une bande de guerriers surpuissants qui font la loi dans le coin. Vous ne connaissez pas le principe de la dîme ou de la gabelle, voire des impôts, vous allez vite comprendre avec un coup de hache dans la face. C’est ce qui se passe au bout de quelques minutes et apparaît par conséquent un double destin : survivre et payer son dû aux brutes. Car non, Eirik et les siens ne sont pas arrivés sur le rivage les bras pleins de shokobons ou de granola. Il va falloir dompter la nature pour espérer en tirer quelques maigres fruits, moins sucrés, mais meilleur contre le scorbut. Ne vous attendez pas à un RTS à la Northgard, Dead in Vinland est l’héritier direct de l’autre jeu des français de CCCP, Dead in Bermuda. La gestion se fait dans l’intime, la cellule familiale devenant monde, les états psychologiques des armées à abattre. C’est ce qui lui offre un attachement particulier, ce sentiment à la fois un peu voyeuriste et en majorité tragique de s’immiscer dans les espoirs de pauvres hères devant l’aridité d’un monde qui ne leur veut que du mal. Mais comme dans de nombreux survival, le joueur n’est pas le seul responsable du destin, soumis lui aussi aux variations du hasard. Une notion d’aléatoire poussée à bloc qui fait lever le poing devant tant d’injustice.

Chaque jour est une survie. Là n’est pas le credo d’un para ou d’un dépressif en bad, mais la leçon que donne Dead in Vinland dès les premiers jours passés sur l’île. Dans les faits, la journée type est composée de trois parties : une phase active scindée en deux, ainsi qu’une phase de repos dans l’abri à la nuit tombée. La première est fondamentale dans la logique de réussir à passer plus de trois jours sans gangrène, reposant sur la gestion du groupe à tous les niveaux.

Récolte de fruits, coupe de bois, fabrication d’armes, chaque personnage doit être affilié à une tâche dès le matin, puis une nouvelle fois l’après-midi. De bien belles activités de plein air , qui ont comme seul défaut de modifier les caractéristiques de chacun des membres du clan. En bien, comme en très mal. Petites choses fragiles, les différents héros subissent les effets de la fatigue et de la dépression en fonction de leur tâche, plus ou moins physique et source de stress. Petit sommet d’un immense iceberg de souffrance, cet ensemble de malus peut s’accompagner de blessures, de maladies, de déshydratation ou de malédictions. Si certaines de ces afflictions se révèlent mortelles dès qu’elles atteignent 100 %, comme la faim ou l’état mental au ras des pâquerettes, les autres se contentent de diminuer les statistiques, parfois de manière drastique.

Il est alors impératif de ne jamais laisser son groupe se détériorer sous peine de rentrer dans une spirale infernale dont il est compliqué de se sortir. 30 % de fatigue ne paraît pas énorme, quasiment le taux d’un bon lundi matin. Mais il impacte la vitesse de récolte, ce qui va avoir comme conséquence un manque de fruits en fin de journée et des carences alimentaires. Un effet boule de neige qui sabote petit à petit la résistance d’une famille qui n’a encore rien vu. Car il va falloir tous les x jours payer son dû au « gérant » des lieux (30 bois, 8 eau, etc.) ; coup de pression vicieux qui pousse à faire des sacrifices dangereux dans l’urgence. Puis, cerise empoisonnée sur le pudding à l’arsenic, des événements aléatoires viennent semer la discorde, comme le temps pluvieux qui certes, amène son lot d’eau bien pratique, mais aussi une propension à la dépression accrue.

Enfin, sublime coup du sort, s’avance l’exploration. Cette activité permet de se lancer dans une fouille minutieuse de l’île afin de découvrir du loot (objets de soin, nourriture, etc.) et d’autres habitants qui peuvent se joindre à vous – force de travail mais autant de nouvelles bouches à nourrir, dilemme supplémentaire. La majeure partie des actions est soumise à un système de RNG (Random Number Generator) qui va définir si, oui ou non, le personnage choisi va réussir à cueillir trois pauvres pissenlits. Le taux est indexé à la fois sur une donnée aléatoire invisible et le niveau des capacités détenues par les membres du clan. Par exemple, 70 en chasse pour la jeune Kari offre un pourcentage de réussite élevée lors de la traque d’un animal, ce qui n’empêche pas de pouvoir le louper. Ce qui entraîne dépression, blessure ou pire.

Dans une situation de détresse généralisée, où tout le monde comptait là-dessus pour ne pas crever, le ragequit obtient lui un jet de dé parfait, beau succès critique. Maintenant, vous devez voir quelques contours se tracer, ce brouillard encore un peu nébuleux qui cache la plus grande frustration de Dead in Vinland. Oui, la gestion de l’aléatoire pose problème. Bien entendu, l’échec à près de 80 % de réussite n’étonnera aucun rôliste, et encore moins les joueurs de X-Com, mais le systématisme de ces moments dans le jeu de CCCP sonne souvent comme une punition pure et simple. Ce qui pose le problème de l’intérêt de gonfler les stats dans un contexte aussi imprévisible. Le prochain patch (1.1) doit arranger en partie le souci, mais en l’état, ce déséquilibre peut vite torpiller une partie dans un fragile équilibre. Et ce, même s’il est possible de revenir quelques jours en arrière pour tenter de corriger le tir, une sauvegarde auto étant effectuée chaque journée de survie passée. Tous ces effets néfastes peuvent heureusement être plus ou moins amoindris par une bonne planification des rôles de chacun dans une partie gestion d’une grande profondeur.

Au fur et à mesure de l’avancée dans le temps et au gré des rencontres, il est possible de développer son camp. Après avoir mis au boulot un personnage à l’atelier, il suffit de lui indiquer quelle extension construire et cette dernière est effective en une ou deux journées. Zone de pêche, tente de soin, taverne, chaque ajout est un atout supplémentaire qui rend la vie plus facile, à condition de répartir les tâches avec intelligence. Couper du bois est une excellente occupation, mais garde à ne pas trop tirer sur les muscles du valeureux Knut. Déjà bien fatigué par son prénom, il le sera d’autant plus par le maniement de la hache et mettra peut-être plusieurs jours à récupérer si son sommeil n’est pas bon. Dead in Vinland impose un certain sens de l’horlogerie, où chaque rouage a une importance dans une fluidité générale dans laquelle la stabilité prime. Chaque jour est feuille de route, pas de start-up nation. Le hasard a déjà une place assez grande pour ne pas lui laisser de quoi planter ses dents.

Les parties s’enchaînent alors comme un chapelet d’agrumes, acides mais assez sucrés pour y revenir sans cesse. Malgré ce lourd défaut de RNG subsiste toujours cette confiance qu’il est possible d’aller plus loin, de sauver une situation en chute libre par quelques améliorations, une meilleure répartition des rôles ou l’utilisation plus à propos des objets qui buffent les statistiques. Les choix sont nombreux, la courbe d’apprentissage bien pentue et chaque partie est quasiment unique. D’autant que la bascule vers la disparition peut aussi avoir lieu au détour des combats à la Darkest Dungeon, surgissant quelques fois après une phase d’exploration. Batailles où le placement en arrière ou en avant modifie la palette des coups, ces dernières restent classiques dans le fond, avec un équilibre à trouver entre buff et débuff afin de maximiser ses chances de coups critiques. Si ces affrontements rapportent quelques babioles, ils risquent aussi de causer des blessures graves à certains personnages trop exposés, ce qui accroît le risque de leur inefficacité au camp. Beaucoup de leviers à actionner, à éviter, pour dessiner une destinée qui n’a de cesse de vouloir sombrer. Les rares moments de cohésion, d’attachement et de bonheur de ces robinsons sous l’égide de Thor n’en sont que plus motivants, décharge d’adrénaline vers une confiance retrouvée. La force de Dead in Vinland est d’avoir su rendre palpable cette fine frontière entre la vie et la mort, ce moment de non-retour où c’est au joueur de fermer les yeux sur le devenir de ces personnages qui ont tout donné. Même si Eirik devrait consulter.

L'avis d'extralife
  1. Développeur : CCCP
  2. Éditeur : Playdius
  3. Genre : Gestion/Survie
  4. Date de sortie : 12 avril 2018
  5. Supports : PC, Mac, Android, iOS
  6. PEGI : 12 ans et plus
  7. Site officiel : http://deadinvinland.com/fr/homepage-fr/
  • Injuste et frustrant par sa gestion bizarre de l’aléatoire, Dead in Vinland compense ces problèmes par une approche ciselée de la gestion de crise. CCCP est parvenu à trouver un équilibre fin qui oscille entre espoir et cris d’horreur sans tomber dans la difficulté crasse. Le jeu est un animal sauvage, dur à dompter, mais qui ronronne gentiment si l’on sait où le caresser. De longs essais sont nécessaires, des parties qui ne mènent à rien s’accumulent, mais par ses courtes séquences de jeu et la possibilité de s’en sortir toujours présente au coin de l'oeil, Dead in Vinland captive. S’il est dommage de ne pas avoir toutes les clés en main pour gérer les relations entre les personnages (à venir dans le patch) ou de ne pas pouvoir éviter les combats parfois trop handicapants, le plaisir pris à rire au nez d’un destin cruel est un petit bonheur en soi. Cela n’arrivera pas souvent, mais comme tout bon guerrier viking, la finalité n’est-elle pas de rejoindre le grand banquet au Valhalla dans l’espoir de revenir se battre une dernière fois ?
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Killy

Ayant longtemps pensé que le fait de passer ses après-midi dans les bois à chercher des animaux lui faisait gagner des points d'XP et des gils, Pierre a depuis compris qu'il pouvait faire la même chose sur un PC ou une console sans alerter la SPA ou se prendre la balle perdue d'un chasseur.

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