Ceux qui jouent prendront le trainAnalyse

Ceux qui jouent prendront le train

Dans The Final Station, après une catastrophe nommée « First Visitation », l’humanité n’est pas en grande forme et des créatures sombres commencent à hanter tunnels et ruelles, attaquant tout ce qui entre dans leur champ de vision. Zombies qui s’ignorent, ces monstres obligent le gouvernement à prendre des mesures exceptionnelles, l’une d’elles étant de confier une mission unique à un pauvre conducteur de train. Quand on en vient à faire confiance à la SNCF c’est effectivement que la fin du monde est proche.

Entre le Transperceneige, Le Dernier Train pour Busan et ce Final Station, les voies ferrées opèrent un retour à la mode dans le post-apo, ou tout du moins dans l’apo qui se déroule, remarqué. Le fait de centraliser l’action d’un récit dans un train n’est en revanche pas nouveau et limité à ce contexte, ne serait-ce que dès les années 30 avec le roman « Le Crime de l’Orient Express » d’Agatha Christie ou avec une belle série de films allant des confidentiels The Cassandra Crossing et Europa en passant par le plus réputé Train de Vie. Outre une possible fascination de ces artistes pour le train en tant qu’objet de désir oblong, le fait de se servir d’un train permet avant tout de créer un huis-clos efficace. La raison veut qu’un avion, un bateau ou une maison puissent faire aussi l’affaire, mais le train a l’avantage de posséder le pouvoir signifiant des wagons, autant d’un point de vue métaphorique que de celui du game-design. Dans la BD de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette, la partie arrière du Transperceneige regroupe les pauvres, les parias, exclus de l’avant du convoi, réservé lui aux nantis et aristocrates qui imposent leur loi en vase-clos. Un environnement malade dans tout son spectre, déformation d’une société dans son plus abrupt fonctionnement. Chaque wagon est donc perçu comme une strate fonctionnelle à traverser permettant d’accumuler assez de connaissances sur la situation pour se former un jugement.

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resident-evil-zero-wii-137255Chacun peut également symboliser un niveau à part entière, avec ses codes propres et son énigme à résoudre pour passer au suivant. Dans un registre plus apaisé, de par sa stabilité et la présence de nombreuses zones de croisement, le train permet la rencontre de personnages et favorise la discussion. Il donne l’espace nécessaire à développer ce genre d’interaction à l’image des beaux échanges du film À bord du Darjeeling Limited. Mais par son cloisonnement et sa course sur une ligne dont il ne peut sortir, le train est un excellent terreau pour travailler l’angoisse du cheminement qu’il est impossible de stopper. Un mélange parfait entre possibilités narratives et enfermement qui peut soit jouer dans le sens d’un stress dû à l’exiguïté comme dans Resident Evil Zero, soit dans la construction d’une atmosphère lourde de fatalisme à l’image du Ghost Train de Final Fantasy VI. Si le premier utilise les difficultés de progression comme tension supplémentaire en jouant sur le level-design, le second agit lui sur la notion de voyage extrême, dans lequel le débouché est la mort. Deux visions d’un certain étouffement, qui génèrent dans le même temps une richesse d’émotions. L’extérieur avance, sans arrêt, à toute vitesse, tandis que le rythme interne est bien plus lent, complexe. D’où l’intérêt de la sortie – lorsqu’elle est possible – qui donne le sentiment au joueur de s’extirper d’une cabine certes, mais temporelle.

the-final-station-collectors-edition-download-for-freeC’est le propos de The Final Station, dont chaque arrêt projette dans un espace et un instant déliés. Le jeu de Do My Best Games fonctionne en deux phases, une se déroulant dans un train futuriste et une lors de l’arrivée dans une station, basée sur de l’exploration. Les moments sur rails, peu passionnants, se résument à des discussions avec quelques PNJ récupérés lors des passages en extérieur, et quelques menues réparations. L’intérêt du train repose donc sur l’idée de transition, de sauts vers une accélération des événements. Un emballement matérialisé à l’écran par des cuts violents, intervenant lorsqu’un élément du décor masque soudainement la vision du joueur. Il se retrouve alors dans un environnement très différent en une fraction de seconde, ce qui amène un questionnement sur ce qui va l’attendre à la descente du train. Le monde autour de lui a changé et même si la phase suivante repose comme à chaque arrêt sur la recherche d’un code face à des hordes de créatures étranges, ce voyage modifie la course du monde. A tel point que les divers instants de sécurité au sein de villes plus ou moins épargnées, amenuisent toute envie de remonter dans sa locomotive. Et pourtant elle est le seul moteur effectif du scénario, son arrêt – involontaire – signifiant l’arrivée en bout de ligne d’une vie, d’une histoire. La métaphore de fin du voyage est d’autant plus juste que le train est ici une extension du personnage principal, barrière physique face à un monde perdu. L’arrêt des battements de cœur réguliers que sont les chaos des rails, est aussi celui des occupants du train qui doivent désormais faire face à un nouveau statu quo, une certaine immobilité.

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Le Dernier Train pour Busan utilise également cette idée, rajoutant un démantèlement du train parallèle à celui des groupes qui y sont enfermés. Il s’articule par accélérations et coups d’arrêt, tout au long d’un cheminement qui ajoute sans cesse une nouvelle station à l’horreur. Le temps de l’enfermement se distend et joue contre les héros. Et s’il y a bien un univers où la temporalité fluctue sans cesse, c’est le jeu vidéo. L’interaction entraîne un contrôle quasi total sur le mouvement et crée une danse complexe entre les oscillations d’un jeu et celles du joueur. La figure du train reprend ce mélange et permet de figurer l’absence de contrôle sur ce qui se passe hors des limites du level-design.

uncharted-2-train-shootoutLe meilleur exemple est Uncharted 2 qui propose une remontée de wagon en wagon constellée de bourre-pif et de mitraillages, le temps d’un voyage. Il peut être court, ou long suivant le temps passé à attendre la fin des hostilités, ou simplement celui passé à observer le paysage. Dans une architecture en niveaux fermés, cette avancée à bord d’un véhicule qui ne sortira jamais de la piste pensée pour lui a quelque chose de fascinant. Le joueur sait parfaitement que le décor qu’il voit défiler est une boucle, que la jonction visible arrivera forcément, mais Naughty Dog a réussi à masquer plus ou moins ce raccord. L’illusion du monde extérieur qui se déploie sans aucune possibilité d’action directe entraîne donc une sorte de chute vertigineuse dans un espace sans fin. La conclusion se décide une fois la séquence de gameplay terminée par le joueur et son rapport au jeu redevient donc mécanique, réel. Des vagues et des creux qui sont les accélérations et les moments de pause d’un shoot’em up, d’un jeu de plateforme, chacun possédant sa propre relation au rythme. Une zone fermée les condense et le mouvement parallèle leur permet d’exploser. La présence d’un tel moyen de locomotion est un vrai choix signifiant de game-design, allant de paire avec une volonté de mise en scène , bien entendu. Mais il confère au jeu une dimension supplémentaire, un éclairage sur ses propres mécanismes et ses astuces d’immersion. Il emmène quelque part et cache le voyage par du gameplay qui n’influe jamais sur sa direction finale. Car même dans le plus riche des jeux à choix multiples, se cachent toujours des rails et un conducteur.

Killy

Ayant longtemps pensé que le fait de passer ses après-midi dans les bois à chercher des animaux lui faisait gagner des points d'XP et des gils, Pierre a depuis compris qu'il pouvait faire la même chose sur un PC ou une console sans alerter la SPA ou se prendre la balle perdue d'un chasseur.

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3 commentaires

  1. Garrett
    Garrett
    24 septembre 2016 à 11 h 42 min

    Superbe analyse qui fait réfléchir. Personnellement je ne m’étais jamais interrogé sur la métaphore lié au train mais après avoir lu ce texte beaucoup d’idées me viennent en tête, à propos du film Mission Impossible de Brian De Palma par exemple, où le bout du train est le lieu de la révélation qui amène le héros à remonter entièrement l’engin en passant par le toit, comme s’il voulait retricoter l’histoire subie pour que la fin ne se passe pas comme l’antagoniste l’avait prévu.
    Après avoir lu ton analyse, Pierre, je peux dire que je ne regarderai plus jamais les trains de la même façon.

    1. Killy
      Killy
      24 septembre 2016 à 13 h 48 min

      Merci beaucoup : )
      Et très jolie idée pour Mission Impossible. J’ai pensé à le mettre au début de la rédaction de l’article mais je ne trouvais pas l’angle. Chapeau !

  2. Browarr
    Browarr
    24 septembre 2016 à 14 h 13 min

    Comme l’a dit Garrett, point de vue qui donne à réfléchir :) Je ne m’étais jamais intérrogé sur la nature métaphorique que peut représenter un train.
    Merci pour cet article ;)

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