The 7th Continent : Le Die and Retry dont vous êtes les hérosTest JDS

The 7th Continent : Le Die and Retry dont vous êtes les héros

Cela fait plusieurs semaines que cet article sur The 7th Continent me nargue sur mon éditeur de texte. Avec des tas de choses à dire sur le jeu, l’écriture bloque systématiquement sur la même problématique : comment trouver le bon angle pour rendre justice à ce mastodonte ? Le mieux est peut-être simplement de sauter à pieds joints dans le texte et de voir ce qu’il en sortira. Dont acte. The 7th Continent est un jeu coopératif d’aventure et de survie, un projet titanesque de jeu de société dont vous êtes le héros mené par les deux français qui forment le studio Serious Poulp. Suite à des années de développement, et grâce à une campagne Kickstarter couronnée de succès en 2015, le jeu est enfin entre les mains des joueurs depuis cet été. Après des dizaines de longues heures passées à explorer le maudit continent, il est temps de faire un premier point.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, posons quelques bases. Chaque partie de The 7th Continent demande aux joueurs de lever une ou plusieurs malédictions en fonction du niveau de difficulté souhaité par la troupe d’aventuriers. Réussir à briser une malédiction ne se fait pas comme ça. Il faut au préalable explorer le fameux continent pour y dénicher les indices qui nous indiqueront petit à petit comment s’y prendre, nous apprendre s’il y a des objets à ramasser en chemin et si oui ce qu’il faudra en faire et où les utiliser. Le terrain de jeu se compose de plusieurs centaines de cartes que l’on dévoile petit à petit en fonction de nos pérégrinations et de nos décisions, et toutes révèlent de nouvelles choses à faire au milieu de détails plus ou moins cachés à découvrir. Le jeu est d’ailleurs fourni avec une loupe pour scruter la moindre parcelle de terrain, c’est dire !

Que l’on soit seul, ou jusqu’à quatre aventuriers, la façon de pratiquer The 7th Continent reste la même. Il n’y a pas vraiment de tour de jeu établi, dans le sens où le groupe décide ensemble de ce qui semble être la meilleure chose à faire à ce moment-là. C’est alors au joueur concerné de réaliser une action. Cette manière de faire signifie qu’un même joueur peut être amené à jouer plusieurs fois d’affilée si telle est la volonté du groupe. Les actions qu’il est possible d’entreprendre sont directement liées à ce qui est représenté sur le bout de terrain où se trouve l’aventurier, sur les cartes d’événements adjacentes à ce terrain, sur l’inventaire du personnage ou même sur les cartes qu’il possède entre les mains. Le choix est donc généralement assez vaste, mais qu’il s’agisse d’une action d’exploration, de déplacement, de chasse, de repos, de craft, de recherche, de prière, de nage ou de n’importe quel autre type d’actions prévu, le processus reste toujours le même. Deux chiffres définissent l’action en question. Le premier représente l’énergie que l’action consommera et le second indique le taux de réussite à atteindre. Il est possible de manipuler ces deux valeurs en fonction des objets à sa disposition, pouvant alors accorder certains avantages dans des domaines précis, ou en réalisant l’action à plusieurs ce qui coûte généralement moins d’énergie, mais augmente aussi le seuil de réussite à atteindre.

Dans The 7th Continent, l’énergie est représentée par un unique paquet de cartes commun au groupe entier. Lors d’une action, le joueur actif devra piocher dans ce deck au moins autant de cartes que ce qui est exigé par ladite action. Sauf indication contraire, cela signifie qu’il est donc tout à fait possible d’en piocher davantage pour augmenter ses chances de réussite, mais en consommant forcément plus d’énergie. Les cartes sont ensuite révélées et le nombre d’étoiles qu’elles affichent indique le taux de réussite, qui doit au moins égaler celui requis par l’action. Encore une fois, tout un tas de facteurs permet de jouer avec les valeurs associées à l’action. Par exemple, une pelle réduira l’énergie consommée et apportera même quelques succès immédiats si le joueur se met à creuser. En cas de réussite, le ou les joueurs concernés par l’action devront obéir aux indications données par le cartouche blanc sur la carte, dans le cas contraire, ils devront subir les conséquences données par le cartouche noir. Généralement, il s’agit d’encaisser des blessures, ou des traumatismes psychologiques… Une dernière chose concernant les actions. En cas de réussite, le joueur actif, celui qui a entrepris l’action, a la droit de conserver l’une des cartes piochées dans le paquet d’énergie. La carte rejoindra alors sa main, pour lui donner d’éventuels autres bonus, ou même lui fournir de nouveaux objets à bricoler. Le tout en respectant la limite de cartes imposée pour la main et l’inventaire en fonction du nombre de joueurs.

L’ensemble de The 7th Continent tourne autour de ce principe d’actions permettant aux joueurs d’interagir avec le monde qui les entoure. Ce mécanisme paraît simple, mais il est important de souligner la perpétuelle tension intrinsèquement liée à ce système. Car plus les joueurs puisent dans leur énergie pour se faciliter une action, ou plus ils conservent de cartes pour fabriquer des objets et profiter d’avantages, et plus la réserve d’énergie encore disponible diminue comme peau de chagrin. S’il est possible de regagner un peu de santé en mangeant les proies chassées ou en se reposant, l’équilibre reste toujours précaire entre les actions nécessaires pour progresser et les réserves d’énergie généralement basses. Et on ne parle même pas de la curiosité qui vient systématiquement se mêler de tout cela pour toujours nous pousser à réaliser de nouvelles actions. Qu’y a-t-il au nord ? Je passe peut-être à côté d’un objet crucial si je ne fouille pas ce mystérieux talus… Tiens, une tombe. Et si je me recueillais un instant ? Toutes ces réflexions ponctuent sans cesse la partie et nous conduisent généralement vers la même conclusion : “tant pis si cette action brûle un peu d’énergie, je meurs d’envie d’en voir plus !”

Ce “tant pis” est cependant lourd de conséquences, puisqu’une fois complètement épuisés, les joueurs passent en mode mort subite, c’est-à-dire qu’au lieu de puiser dans leur énergie, ils piocheront maintenant dans la défausse. Et si par malheur ils tirent l’une des cartes de malédiction disséminées dans le paquet… Pouf ! La partie s’arrête instantanément. Game over. Il n’y a plus qu’à recommencer au début, en repartant les mains vides. Aucun objet, aucun bonus ne peut être conservé d’une partie sur l’autre. On reprend tout à zéro avec pour seul petit avantage, le fait de savoir un peu mieux où aller, et sous quel caillou fouiller pour peut-être trouver le parchemin, la pierre précieuse, ou la relique ancienne demandée pour contrer la malédiction. Et encore, rien n’est jamais acquis d’avance dans ce jeu régi par un système diablement pernicieux.

En effet, le binôme de Serious Poulp a visiblement pris un malin plaisir à multiplier les fausses pistes. Mais pas que, dans la mesure où la même action entreprise au même endroit peut tout à fait aboutir sur différentes conséquences. Afin de garder l’élément de surprise intact de parties en parties, le jeu propose parfois plusieurs cartes portant le même numéro. Aux joueurs d’un tirer une au hasard et de révéler un événement parfois diamétralement opposé à la partie d’avant. Là où il n’y avait aucun danger durant la précédente expédition se dresse peut-être désormais une grosse bébête peu accueillante, ou pourquoi pas un objet précieux. En plus de donner de la vie et d’apporter un voile de mystère au continent, ces surprises renouvellent sans mal l’expérience de jeu, nous obligeant à toujours rester sur nos gardes, même lors d’actions parfaitement anodines.

Il y a beaucoup de choses à dire sur The 7th Continent, sur les détails de son système de jeu et sur la multitude de petites surprises qui interviennent dans l’aventure, et tout cela serait important pour cerner parfaitement l’immense melting pot d’influences que renferme cette grosse boîte de jeu. On pourrait parler de son ingénieux système de sauvegarde, des points d’expérience à gagner pour débloquer de nouvelles cartes, du brouillard qui enveloppe les nouvelles zones à explorer, des extensions d’ores et déjà disponibles pour encore plus d’aventures…

On pourrait aussi s’attarder sur la somme de travail graphique et éditorial abattu pour donner vie aux péripéties, mais plutôt que de vous assommer par un trop plein de détails, mieux vaut rester en surface et tenter de répondre à la question essentielle : est-ce amusant ? Est-ce que The 7th Continent est un jeu que l’on a plaisir à découvrir ? La réponse la plus courte, forcément remplie d’une énorme part de subjectivité est “oui”. Oui, The 7th Continent est amusant. Oui, Serious Poulp remplit sa mission et tient les nombreuses promesses faites durant la campagne Kickstarter. En dépit d’un manuel peu intuitif lorsqu’il s’agit de gérer et de trancher sur les multiples cas de figures qui peuvent pointer le bout de leur nez, le mécanisme de base finit par s’apprivoiser pour devenir la véritable pierre angulaire d’un jeu à la durée de vie tentaculaire. En effet, le titre se montre extrêmement généreux dans ses possibilités et sa capacité à livrer des aventures scénarisées toutes différentes, bien qu’elles se déroulent toutes sur le même continent que l’on finit forcément par connaître presque par cœur.

Plus embêtant, la durée de vie, indéniablement excellente, est aussi couplée à une réelle difficulté capable d’engendrer des sommets de frustration. Quand, après une partie de plusieurs heures, voire d’une bonne dizaine d’heures dans certains cas, la malchance du tirage ou tout simplement la curiosité de suivre une voie que rien ne signalait comme étant une fausse piste, vient brutalement mettre fin à la partie, il y a de quoi être bien, bien, bien énervé. Croyez-moi, dans ces cas-là, l’envie de reprendre absolument tout depuis le début ne sera pas forcément évidente à trouver dans le fond de son cœur meurtri. Le game over est même subi comme une trahison de la part d’un jeu qui jusque-là se montrait si généreux. En fait, The 7th Continent est égal à un buffet à volonté où il faudra apprendre, après quelques douloureuses indigestions, à se contrôler pour mieux l’apprécier. Et en cela, quelques aides de la part des auteurs n’auraient pas été de trop pour y parvenir. En fait, la seule parade actuellement trouvée pour rendre la pilule plus facile à avaler est l’application de règles maison permettant par exemple d’autoriser les aventuriers à conserver au moins un objet dans leur besace ou même à repartir d’une position déjà connue. Sans cela, le jeu laisse un goût bien amer lorsqu’il oblige à vraiment tout recommencer. Ce qui veut dire aussi recommencer à explorer chaque recoin, même lorsque l’on sait déjà par où passer. Malgré les surprises, le plaisir de jeu n’est donc pas toujours évident à apprécier… En fait, c’est l’absence de vrais réglages de la difficulté qui chagrine le plus dans un jeu pourtant bourré de détails en tout genre. Serious Poulp propose bien d’ajouter plus ou moins de malédictions, ou même de partir avec une carte spéciale pour rendre le jeu plus facile ou plus difficile selon les envies, mais rien n’est finalement prévu pour contrer, ou même limiter les effets de cette mort subite froide et cruelle.

Du coup, on en revient à ce que l’on disait plus haut. Il est important, primordial même, de savoir à quoi s’attendre en ouvrant la boîte du 7ème Continent. Si de prime abord, le système d’exploration carte par carte rappelle le bon vieux temps, lorsque nous explorions pour la première fois les contrées d’Hyrule dans Zelda 1, la dure réalité ne tarde pas à nous rattraper. The 7th Continent emprunte moins à l’aventure épique de Zelda qu’au chemin de croix d’un Dark Souls. L’aspect Die & Retry prononcé est omniprésent, transformant l’émerveillement en réelle frustration suivant les cas. En somme, un bon “oui, mais” qui ne demande qu’à être attendri au moyen notamment d’un système de progression moins rude, et plus chaleureux.

Pour ceux qui auraient loupé la campagne Kickstarter, une seconde campagne débutera le 26 septembre.

L'avis d'extralife
  1. Auteurs : Ludovic Roudy et Bruno Sautter
  2. Illustrateur : Ludovic Roudy
  3. Éditeur : Serious Poulp
  4. Genre : Aventures, Coopération, Survie
  5. Nombre de joueurs : 1 à 4 joueurs
  6. Durée de la partie : de 5 mn à plus de 10 heures
  7. Date de sortie : Août 2017
  • Que l'on soit bien d'accord, The 7th Continent est un jeu rempli de qualités, une véritable prouesse ludique capable de surprendre les joueurs d'une aventure sur l'autre grâce à un bon millier de cartes à découvrir. Bien sûr, un jeu ne doit pas être jugé par le volume de son matériel, mais la quantité de cartes témoigne ici du grand soin apporté à l'aventure, ou plutôt aux différentes aventures proposées. Les deux auteurs sont parvenus à rassembler une ribambelle d'idées et à mettre sur pied un jeu réellement unique et captivant. Ceci dit, tout en applaudissant la générosité de l'ensemble, il convient aussi de souligner combien le jeu peut se montrer brutal et intransigeant dans sa manière de gérer la fin de partie. Obliger les joueurs à tout reprendre depuis le début en cas de game over augmente peut-être la tension et les enjeux, mais bride aussi à notre sens le plaisir général.
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Jihem

La découverte de BurgerTime aux débuts des années 80 aura clairement affecté la vie de ce grand bonhomme. Non seulement, Jihem a développé une passion pour les jeux vidéo, mais il a également choisi de s'installer au pays du hamburger. Sa mère est plutôt heureuse qu'il n'ait pas découvert les jeux avec Boogerman.

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