La Suède, nouvel eldorado du jeu vidéoAnalyse

La Suède, nouvel eldorado du jeu vidéo

Depuis quelques années, le jeu vidéo suédois est en plein boom. Plus encore que les chiffres (aussi impressionnants soient-t-ils), quelques noms suffisent à l’attester : Candy Crush Saga, Battlefield, Minecraft, Just Cause, Star Wars Battlefront, Hotline Miami, Amnesia, le récent Unravel ou l’imminent Tom Clancy’s The Division… Voilà autant de titres majeurs produits en Suède. Et ce n’est pas un hasard si deux des figures les plus emblématiques de la scène vidéoludique actuelle – Notch et PewDiePie – sont elles aussi suédoises ! Nous avons donc voulu prendre la mesure de cette réussite, essayer d’en comprendre les raisons et dresser un état des lieux des principaux acteurs suédois du marché et de leurs projets à venir.

Une croissance exponentielle

La croissance du jeu vidéo suédois, par la Dataspelsbranschen

La croissance du jeu vidéo suédois, par la Dataspelsbranschen

ABBA et Ingmar Bergmann n’ont qu’à bien se tenir : en l’espace de quelques années, l’industrie vidéoludique est devenue le secteur culturel n°1 en Suède, de sorte que ce pays scandinave de 9,8 millions d’habitants seulement est aujourd’hui considéré comme l’un des plus gros producteurs et exportateurs de jeux vidéo au monde. Si, à l’heure où nous rédigeons ces lignes, les résultats financiers de l’année fiscale 2015 ne sont pas encore connus, les précédents sont déjà suffisamment éloquents. En 2014, les studios de développement suédois ont généré un chiffre d’affaires de 930 millions d’euros. Ce n’est, certes, pas encore comparable à celui du jeu vidéo français, qui s’établit à 2,7 milliards d’euros. Mais c’est tout de même 242 millions de plus que l’exercice précédent, soit une croissance de 35 %, là où celle de la France s’élève péniblement à 3% sur la même période (après plusieurs années de repli). De fait, si l’on considère son évolution depuis 2010, qui marque le début du boom de l’industrie vidéoludique suédoise (même si certains acteurs historiques comme DICE étaient déjà bien installés), cette croissance exponentielle donne le tournis puisqu’elle dépasse les 750 % ! Et c’est visiblement loin d’être terminé, puisque les analystes prévoient une progression continue du chiffre d’affaires de + 30 à + 40 % pour les années à venir. Les seules réserves tiennent à l’accès insuffisant aux subventions et aux capitaux, ainsi qu’à la pression fiscale jugée trop élevée, deux freins qui, selon les studios suédois, nuisent à leur compétitivité face à la concurrence.

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Hideo Kojima lui-même est bluffé par la créativité actuelle du jeu vidéo suédois.

Qu’ils s’appellent Battlefield, Minecraft ou Candy Crush, qu’ils soient issus de gros éditeurs ou de la scène indépendante, qu’ils soient orientés « gamers » ou grand public, qu’ils se pratiquent sur mobile (43 %), sur PC (27 %) ou sur console ( 9 %), les jeux suédois plaisent. Et pas seulement aux joueurs, puisqu’ils font aussi l’unanimité au sein de la profession : interrogés sur le pays qui conçoit actuellement les meilleurs jeux, les participants à la dernière édition de la Game Developers Conference ont plébiscité la Suède, désormais considérée comme l’un des plus gros hubs mondiaux dans le domaine. Depuis 2013, les développeurs suédois sont d’ailleurs sur-représentés sur les différents salons (Gamescom, E3, GDC) – ce qui, pour l’anecdote, a même suscité un tweet de Hideo Kojima himself, mesurant l’ampleur de cette réussite : « Question : qu’est-ce que Battlefield, The Division et Mad Max ont en commun ? Leurs studios sont basés en Suède. Il y a là-bas tout un tas d’excellents programmeurs dotés d’un vrai sens du design ». D’autres chiffres en attestent : il y a actuellement plus de 213 studios de création de jeux vidéo en Suède, soit moitié plus qu’en 2010, dans lesquels œuvrent 3117 employés de 30 nationalités différentes. Même si ces sociétés n’en sont pas toutes à pouvoir s’offrir des locaux comme ceux de King, elles se portent plutôt bien : leur valeur globale est estimée à 2,75 milliards d’euros, sachant que les plus importantes (King, Mojang, DICE, Avalanche et Starbreeze) sont excédentaires sur leurs derniers exercices fiscaux.

Un environnement favorable

Le FuturGames de Stockholm, un des nombreux viviers de talents suédois.

Le FutureGames de Stockholm, un des nombreux viviers de talents suédois.

Quelles sont les raisons de cet insolent succès ? Il faut d’abord savoir que la Suède bénéficie d’un savoir-faire désormais reconnu dans le domaine des hautes technologies. Le gouvernement suédois a notamment multiplié les investissements dans le domaine de la recherche et de la formation liées à l’industrie vidéoludique. Un cursus universitaire officiel intitulé « gaming » a été créé, puis soutenu par la fondation de plusieurs instituts dédiés, qu’il s’agisse du Futuregames de Stockholm, de la Game Assembly de Malmö ou encore du Playground Squad de Falun – tous accessibles sans aucun frais de scolarité comme le veut la politique suédoise en la matière. Les étudiants intéressés par cette filière, ceux-là même qui pianotent sur leur machine dès le plus jeune âge grâce au programme « Un foyer, un ordinateur » mis en place par le gouvernement dans les années 90, n’ont donc que l’embarras du choix, sachant que 90 % d’entre eux seront embauchés au terme de leurs études. Nul doute que l’absence de concentration géographique des potentiels recruteurs n’est pas non plus étrangère au plébiscite de cette vocation : moins de 2/3 des studios de développement se répartissent parmi les 3 plus grandes villes de Suède (Stockholm, Göteborg et Malmö), dont seulement 40 % dans la capitale. Nombre de développeurs suédois, très attachés à leur territoire, ont donc pu conserver un ancrage local, sans parler du cas des employés de Frictional Games, qui travaillent tous à domicile et ne se rencontrent qu’une fois l’an !

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La réception du jeu vidéo en Europe selon l’ISFE.

Les conditions climatiques qui sévissent en Scandinavie durant la période hivernale (longue, froide et obscure) expliquent aussi bien la popularité du jeu vidéo, loisir sédentaire par excellence pratiqué quotidiennement par 34 % des Suédois (record européen) que le besoin de connectivité des habitants. Ce constat n’a rien d’anecdotique puisqu’il a motivé un programme de développement des infrastructures numériques, ainsi que des décisions politiques favorisant l’accès au très haut débit à un tarif modique (en comparaison du coût élevé de la vie en Suède). Les résultats sont là : 90 % de la population suédoise est connectée à Internet, majoritairement via la fibre optique. Dès lors, on comprend mieux le succès d’un site de streaming musical comme Spotify, mais aussi la faible proportion de revendeurs physiques de jeux vidéo en Suède, où 70 % du marché est digitalisé (contre 52 % par exemple aux USA), ce qui place le pays au 2e rang mondial dans le domaine. On ne s’étonnera pas non plus du succès rencontré par le jeu en ligne, et l’e-sport en particulier : le festival DreamHack, l’un des plus grands événements mondiaux dédiés, rassemble deux fois par an plus de 26 000 pro-gamers dans la ville de Jonköping. Et s’il fallait une dernière preuve de ce contexte favorable au jeu vidéo, signalons qu’avec 68 % d’avis positifs, les Suédois estiment que ce média a des effets bénéfiques sur le développement des capacités de leurs enfants – à comparer avec les 46 % d’avis positifs de la part des Français, bons derniers du classement !

Des acteurs en bonne santé

DICE, le vétéran

Battlefield 4, à la pointe de la technologie.

Battlefield 4, à la pointe de la technologie.

En 1992, cinq étudiants originaires de Växjö, tous membres du groupe de démomakers The Silents qui sévit depuis quelques années sur la scène Amiga, décident de fonder Digital Illusions Creative Entertainment. Le studio se consacre alors au développement de jeux de flippers : les Pinball Dreams, Fantasies et Illusions, qui rencontreront un certain succès et lui permettront par la suite d’honorer quelques commandes pour le compte de gros éditeurs comme Psygnosis, Gremlin Interactive ou encore Microsoft. C’est à cette occasion que DICE se découvre une nouvelle spécialité : le jeu de courses. En 2001, afin d’accroître le réalisme de sa simulation automobile Rallisport Challenge, l’équipe décide d’utiliser le Refractor Engine de ses compatriotes de Refraction Games, qu’elle rachètera l’année suivante. Cette fusion offre les outils technologiques qui manquaient encore à DICE pour proposer son coup de maître : la sortie, en 2002, du FPS Battlefield 1942. Ce succès majeur, élu plusieurs fois jeu de l’année sur PC, fait entrer le studio suédois dans une autre dimension. Dès lors, tout se bouscule, avec notamment l’entrée au capital d’Electronic Arts qui, de 19 % des parts, finira par acquérir la société en 2006. Elle se spécialisera désormais dans le développement de jeux pour la série Battlefield, avec quelques bouffées d’air frais occasionnelles comme Mirror’s Edge en 2008 (un joli succès d’estime dont on devrait accueillir la suite cette année) ou encore Star Wars : Battlefront en 2015. Avec 560 employés basés à Stockholm, DICE est aujourd’hui le premier employeur suédois dans le domaine du jeu vidéo, et l’un des plus beaux fleurons d’Electronic Arts.

Qui se cache derrière DICE Los Angeles ?
Développeur historique de la série Medal of Honor, le studio américain Dreamworks Interactive est racheté en 2000 par Electronic Arts, qui le fusionne avec EA Pacific et Westwood Studios pour donner naissance à EA Los Angeles. Rebaptisée par la suite Danger Close Games, cette nouvelle entité, qui ne donne pas entière satisfaction, est fermée en 2013. L’opération provoque de nombreux licenciements, mais une partie des anciens sont transférés vers un nouveau studio où ils travaillent aux côtés d’employés de DICE venus de Stockholm. Ce nouveau studio, qui prend le nom de DICE Los Angeles, est chargé d’épauler le développement des jeux de la branche suédoise, et en particulier d’en développer les contenus additionnels.

King, l’ogre du social gaming

Les nouveaux locaux de King à Stockholm.

Les nouveaux locaux de King à Stockholm.

Avec son CEO italien, son siège social basé à Londres, son récent rachat par l’américain Activision et 1/4 seulement de ses 1600 employés travaillent à Stockholm, King n’est sans doute pas la plus suédoise des sociétés de Suède. C’est pourtant bien dans ce pays que Riccardo Zacconi fonde King.com en 2003. Avec ses puzzle-games au principe simple et au graphisme accrocheur, la société fait déjà recette en 2005. Mais il faudra attendre l’émergence des réseaux sociaux, dont elle fait sa clé de voûte, pour qu’elle prenne son envol. En adaptant le jeu-phare de son portail, Candy Crush, sur Facebook puis sur smartphones, King connaît un succès phénoménal (le titre rapporte 1,5 million de dollars par jour fin 2013) et devient le n°1 du social gaming. Auréolée de cette réussite, la société a offert l’année dernière 7000 m² de superbes locaux très colorés à ses employés de Stockholm. Une menace pèse néanmoins sur King, c’est de connaître un sort identique à celui de Zynga, qui s’est effondré au moment-même où la popularité de son Farmville s’est tarie. De fait, si la firme suédoise reste excédentaire, son chiffre d’affaires et ses bénéfices sont désormais en recul sur les deux derniers trimestres fiscaux, moins de 2,6 % des utilisateurs de Candy Crush Saga continuant à payer pour un jeu considéré « en fin de vie ». A côté de ça, ses autres franchises (dont Farm Heroes Saga) peinent à s’imposer. Voilà pourquoi King s’est résolu à rentrer dans le giron d’Activision en novembre dernier, pour la somme rondelette de 5,9 milliards de dollars. Nul doute que l’éditeur américain saura consolider les reins de sa nouvelle acquisition, tout en profitant de sa manne de 474 millions d’utilisateurs mensuels.

Mojang, la poule aux oeufs d’or

Fait de cubes et de gros pixels, Minecraft est le 3ème jeu le plus vendu de l'histoire.

Fait de cubes et de gros pixels, Minecraft est le 3ème jeu le plus vendu de l’histoire.

Il y a au moins trois points communs entre King et Mojang. Le premier, c’est Markus « Notch » Persson qui, embauché par le géant du social gaming pour créer des jeux web, démissionnera en 2009 pour se lancer dans un projet personnel : Minecraft, dont le succès croissant l’incitera à fonder Mojang Specifications. Le second point commun de ces deux sociétés, c’est qu’elle ont basé leur réussite sur un « one hit wonder » au concept simple mais à la rentabilité incroyable, qu’il leur faut désormais maintenir en vie en lui assurant un suivi digne de ce nom. Si Minecraft s’en sort plutôt bien en la matière, c’est grâce au processus de développement établi dès le départ : accès anticipé peu onéreux, mises à jour régulières décuplant peu à peu les possibilités de jeu, communauté impliquée favorisant un bon bouche à oreille… Le jeu de Mojang n’a pas seulement créé un genre, il a aussi institué un nouveau modèle économique, désormais adopté par une grande partie de la scène indépendante (au grand dam de certains). Il faut dire que les chiffres laissent rêveurs : depuis ses débuts en 2010, où il n’était encore proposé qu’en version alpha, Minecraft s’est vendu à 80 millions d’exemplaires tous supports confondus (PC, Mac, consoles, tablettes et mobiles). On en arrive donc au troisième point commun entre King et Mojang : si le premier a suscité l’intérêt d’Activision, le second a su taper dans l’oeil de Microsoft, qui l’a racheté pour 2,5 milliards de dollars en septembre 2014. Et si certains murmurent que la firme de Redmond a acquis une licence plus qu’un studio, le chiffre d’affaires généré par Mojang en 2014 – 219 millions de dollars, reste en tout cas une vraie performance propre à faire taire les mauvaises langues.

Massive Entertainment, le joker d’Ubisoft

Ancien étudiant de la Game Assembly de Malmö, Johan Lindell travaille désormais chez Massive.

Ancien étudiant de la Game Assembly de Malmö, Johan Lindell travaille désormais chez Massive.

Avec ses 300 employés installés à Malmö, Massive Entertainment fait partie des plus gros studios de développement suédois. C’est aussi un véritable couteau suisse pour son propriétaire, Ubisoft, dont il honore les commandes les plus diverses. Après avoir conçu l’architecture de la plate-forme Uplay, le mini-jeu Desmond’s Journey pour Assassin’s Creed Revelations, les modes coop et multijoueur de Far Cry 3 et l’application Just Dance Now, Massive s’est enfin vu confier par Ubisoft le premier projet AAA dont il est le développeur principal : le jeu d’action en ligne Tom Clancy’s The Division, dont la sortie est imminente. L’ironie du sort, c’est qu’à sa création en 1997, Massive avait déjà débuté par un jeu de commande, une version mobile de Tetris. Mais c’est avec une création originale, Ground Control, que le studio s’est réellement fait connaître en 2000. La qualité de ce jeu de stratégie en temps réel avant-gardiste, acclamé par les joueurs et par la critique, a permis à Massive de mettre en chantier une suite, mais lui a surtout valu d’être racheté par Vivendi en 2004, avant que l’éditeur américain ne cède son acquisition à Ubisoft en 2008. Entre-temps, le studio suédois avait donné naissance à un autre STR tout aussi réussi, World in Conflict. Une décennie plus tard, The Division marque donc le retour « aux affaires » de Massive, qui a été secondé sur ce projet par d’autres entités d’Ubisoft (Red Storm Entertainment, Ubisoft Reflexions et Ubisoft Annecy), mais aussi par feu Southend Interactive (XIII, ilomilo, Sacred Citadel), un autre studio suédois dont il a absorbé les employés en 2013. En dépit des multiples reports du titre, gageons qu’il permettra à son développeur d’obtenir un nouveau succès.

Paradox Interactive, l’indé taille XXL

Crusader Kings II s'enrichira bientôt de sa onzième extension, Conclave. C'est ce qu'on peut appeler du suivi !

Crusader Kings II s’enrichira bientôt de sa onzième extension, Conclave. C’est ce qu’on peut appeler du suivi !

Paradox Interactive est un éditeur atypique, spécialisé dans les jeux de niche et de « grande stratégie ». Outre les titres conçus en interne (Europa Universalis, Hearts of Iron, Crusader Kings), il n’hésite pas à faire confiance à des productions assez peu mainstream (Mount & Blade, Magicka, Cities in Motion…) ni même à donner un coup de pouce à de plus grosses productions qui le méritent (Pillars of Eternity). Paradox fut aussi l’un des premiers éditeurs à mettre en avant la distribution digitale. Mais ce que l’on sait moins de cette société basée à Stockholm et à Umeå, c’est qu’elle éditait à l’origine des jeux de rôle papier, sous le label d’Aventyrrspel dès 1980, puis de Target Games à partir de 1991. Parmi les plus célèbres, on trouve Dragons & Demons, Mutant Chronicles ou encore Kult. En 1995, elle fonde Paradox Developement Studio, une filiale dédiée au développement de jeux vidéo. Mais elle connaît une banqueroute quatre ans plus tard, et se scinde alors en deux entités, Paradox Interactive et Paradox Entertainment. Contrairement à cette dernière, qui, détentrice des droits d’adaptation du Conan de Robert E. Howard, se fera racheter en 2011, Paradox Interactive a su conserver son indépendance, en dépit de ses 200 employés et d’un chiffre d’affaires non négligeable de 22 millions d’euros. Si la société a encore un peu de mal à percer aux Etats-Unis, elle a les faveurs de la communauté européenne des joueurs PC, qui apprécient sa politique de publication (absence de DRM, intégration du modding). Très attaché au PC, Paradox a tout de même ouvert en 2014 une succursale, Paradox Arctic, destinée à percer sur d’autres supports, et engagé pour cela quelques vétérans de DICE et de Starbreeze.

Avalanche Studios, des mondes et une expansion sans limites

Les employés d'Avalanche inaugurent leur nouveau studio new-yorkais.

Les employés d’Avalanche inaugurent leur nouveau studio new-yorkais.

Christofer Sundberg et Linus Blomberg sont justement deux anciens de Paradox qui, en 2001, décident de fonder leur propre structure, Rock Solid Studios. Elle fermera hélas avant même d’avoir livré son premier jeu, la faute à un autre studio suédois, un certain Starbreeze, qui, intéressé par le moteur graphique qu’elle avait conçu (le RSS Engine), avait manifesté une volonté d’acquisition de la société, mais s’était désisté au dernier moment, provoquant au passage l’annulation de l’accord qui la liait à Universal. De ce gâchis, nos deux compères tireront au moins quelques enseignements. Ils fondent Avalanche Studios en 2003, et embauchent six employés pour mettre au point un nouveau moteur graphique – le Avalanche Engine – qui sera la base de leur jeu d’action en monde ouvert Just Cause. Publié par Eidos Interactive, le titre bénéficie d’un beau succès d’estime et connaîtra même deux suites. Avalanche œuvre parallèlement sur The Hunter, une franchise de jeux de chasse qu’il a acquise en 2010 et dont il a développé les fonctionnalités online en créant une structure dédiée, Expansive Worlds. En dépit de quelques licenciements occasionnels provoqués par des réorganisations de fins de projets, les effectifs de l’entreprise sont en constante augmentation. Elle embauche désormais 250 employés (dont 160 travaillent à Stockholm), ce qui l’a incitée à ouvrir un troisième studio à New-York, qui lui permet de multiplier les projets et de sortir avec trois mois d’écart seulement deux open worlds (Mad Max et Just Cause 3). Désormais soutenu par Square Enix (qui a racheté Eidos en 2009), Avalanche contribue actuellement au développement de Final Fantasy XV, preuve que ce studio a plus d’une corde à son arc.

Starbreeze Studios, la santé retrouvée

Brothers : A Tale of Two Sons a permis à Starbreeze de retrouver le succès.

Brothers : A Tale of Two Sons a permis à Starbreeze de retrouver le succès.

Tout comme DICE, les fondateurs de Starbreeze sont issus d’un groupe de démomakers qui officiait à la fin des années 90 sous le nom de Triton. Leur premier jeu, un RPG intitulé Sorcery, ne verra jamais le jour car son éditeur Gremlin Interactive est racheté entre temps par Infogrames qui décide d’annuler le projet. Afin d’avoir les reins plus solides, l’équipe fusionne avec ses compatriotes suédois d’O3 Games et prend le nom de Starbreeze. Sa première production, Enclave, rencontre un certain succès, mais suite à un rachat manqué, des problèmes financiers et un conflit avec son éditeur, la société se retrouve en grande difficulté en 2004, au moment où sort son FPS The Chronicles of Riddick : Escape from Butcher Bay, qui sera acclamé par les joueurs et la critique. Ses problèmes récurrents de relations avec ses éditeurs entraveront également le développement de ses trois projets suivants : The Darkness, The Chronicles of Riddick :  Assault on Dark Athena et le remake de Syndicate commandé par Electronic Arts, qui sera repris de zéro moins d’un an avant sa sortie et fera un flop retentissant. Cela poussera certains vétérans du studio à claquer la porte pour s’en aller fonder MachineGames. C’est du côté du jeu indépendant que Starbreeze retrouvera le sourire, avec l’acquisition en 2012 du studio Overkill Software (Payday) fondé par des anciens de feu GRIN (Ghost Recon Advanced Warfighter), puis en 2013 la publication du très apprécié Brothers : A Tale of Two Sons. Aujourd’hui, Starbreeze s’est refait une santé financière qui lui permet de générer 24 millions d’euros de chiffre d’affaires et de miser sur le développement de technologies de pointe comme le casque de réalité virtuelle Project StarVR.

Frictional Games et le jeu d’auteur

Thomas Grip est un programmeur très occupé !

Thomas Grip est un programmeur très occupé !

Dans le paysage du jeu vidéo suédois, Frictional Games est un cas à part. Derrière le développeur de Penumbra, d’Amnesia et de SOMA se cache un collectif de 14 personnes dont la création de jeux n’est pas toujours l’occupation principale. Toutes travaillent à domicile, parfois avec des obligations à côté (il arrive à Thomas Grip, le cofondateur du studio, de coder avec un bébé dans les bras), si bien que l’équipe complète ne se réunit généralement qu’une seule fois par an. Mais on a affaire à de véritables passionnés, qui partagent la même vision artistique de ce média qu’ils affectionnent, et ont notamment à cœur de mettre l’écriture au centre de leur productions, qu’il s’agisse de faire appel à un auteur professionnel (Tom Jubert pour les Penumbra) ou à un scénariste inspiré (Mikael Hedberg pour Amnesia et SOMA). Frictional Games a été fondé par Thomas Grip et Jens Nilson. Le premier codait déjà des jeux sur ca calculatrice Texas Instrument lorsqu’il était au lycée ; puis il a commencé à s’intéresser aux différents langages de programmation et à concevoir ses propres softs sur PC. À l’université, il rencontre Lens dans le cadre de son cursus d’ingénieur informatique, et tous deux décident de concevoir un jeu vidéo (Energetic) comme projet de fin d’études. Frictional Games nait en 2006 à Helsinborg, avec pour acte fondateur une démo technologique de ce qui deviendra Penumbra : Overture. Une décennie plus tard, le studio a conservé son charme de petite structure indépendante éclatée aux quatre coins de la Suède, loin de toute folie des grandeurs. Cela n’a pas empêché SOMA, sa dernière production, de bénéficier d’une version PS4 susceptible de populariser le travail du studio au-delà de l’univers PC.

Sans oublier…
De nombreux autres sociétés, de plus ou moins grande envergure, attestent de la vivacité de la création vidéoludique suédoise. Du côté des structures « inféodées » à de gros éditeurs, on citera en vrac Tarsier Studios qui travaille en collaboration avec Sony Computer Entertainment, notamment sur la licence LittleBigPlanet, Ghost Games qui a repris le flambeau de la série Need for Speed pour Electronic Arts, Machine Games qui développe désormais des Wolfenstein dans le giron de Bethesda Softworks, Coldwood Interactive et son envoûtant Unravel qui plonge ses racines dans la culture et les paysages suédois, sans oublier l’antenne de Rovio basée à Stockholm, qui a développé le million seller Angry Birds 2. Les studios indépendants ne sont pas en reste, que ce soit Fatshark (KRATER, War of the Roses, Warhammer – The End Times : Vermintide), Dennaton Games (Hotline Miami), Arrowhead Game Studios (Magicka), SimBin (GTR, RACE), Coffee Stain Studios (Goat Simulator), Senri (Leo’s Fortune) ou encore Illwinter Game Design et ses Dominions. On n’oubliera pas non plus de citer Erik Svedang, dont le Blueberry Garden a remporté le prestigieux grand prix Seumas McNally lors de l’Independent Games Festival 2009.

Deux success stories à la suédoise : Notch et PewDiePie

Markus « Notch » Persson

Notch et son désormais célèbre chapeau.

Notch et son désormais célèbre chapeau.

L’histoire de Notch, c’est un peu Grandeur et Décadence à la sauce geek. Elle débute en 1979 à Edsbyn près de Stockholm, où Markus Persson naît d’un père suédois et d’une mère finlandaise. Fasciné par le Commodore 128 de son père, il commence à programmer dessus dès l’âge de sept ans, créant pour l’occasion son premier jeu, une aventure textuelle. On le retrouve sur la démoscène suédoise à la fin des années 90, parallèlement à son travail de programmeur dans une entreprise de conception de sites web. Il participe dès 2003 au développement de Wurm Online, un MMORPG sandbox qui préfigure déjà ce que sera Minecraft, mais quittera le projet avant son lancement. En 2005, Notch fait de sa passion un métier en entrant chez King, où il crée des jeux flash tout en prenant part à des concours de programmation comme le Ludum Dare, LD12 et la Java 4K Game Programming Contest. Il quittera la société en 2009 pour rejoindre Jabum, un service d’hébergement de photos, tout en travaillant à ses heures perdues sur un petit jeu sandbox codé en Java, inspiré de Dwarf Fortress et d’Infiniminer, qu’il intitule Cave Game. Notch perçoit tout de suite l’intérêt des joueurs pour ce titre codé en moins d’une semaine, qu’il renomme Minecraft et dont il approfondit par le suite le développement « afin de gagner assez d’argent pour créer un autre jeu » (à l’instar de ce que fit Richard Garfield lorsqu’il créa Magic the Gathering pour financer RoboRally). Pour cela, il fonde en 2009 Mojang Specifications avec deux associés, Jakob Porsér et Carl Manneh.

La MineCon 2015.

La MineCon 2015.

Le jeu est proposé en mai 2010 dans sa version alpha, disponible à l’achat en accès anticipé pour un tarif de 9,99 euros ; il s’écoulera à 1 million d’exemplaires en moins de six mois. L’effet boule de neige est décuplé par une communauté très active dont les retours sont systématiquement pris en compte, assurant à Minecraft un bouche à oreille favorable et une popularité inespérée. Il passe en version bêta au mois de décembre 2010, jusqu’à sa sortie définitive le 18 novembre 2011. Moins de 5 ans plus tard, Minecraft s’est écoulé à 80 millions d’exemplaires tous supports confondus (il a été porté sur un nombre considérable de systèmes), ce qui en fait le troisième titre le plus vendu de l’histoire derrière Tetris et Wii Sports. Une convention annuelle réunissant les fans du jeu, la MineCon, a même été créée. Entre temps, Notch a décidé de confier les rênes du développement de Minecraft à Jens Bergensten, préférant se consacrer à d’autres projets (Scrolls et 0x10c). Mais le créateur reste très populaire sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter où il s’avère très prolixe avec ses 3,5 millions d’abonnés, commentant l’actualité du monde vidéloludique avec un mélange très apprécié de franchise et de modestie. Régulièrement traqué par les médias, qui analysent et commentent chacune de ses prises de parole comme si elles venaient d’un homme politique, Notch commence à se lasser de cette exposition, au moment où sa position de CEO et le recul pris avec Minecraft l’amènent à perdre progressivement sa relation privilégiée avec la communauté.

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La nouvelle demeure de Notch à Beverly Hills.

À la fin de l’été 2014, le Wall Street Journal évoque une rumeur de rachat de Mojang. Le 15 septembre, Notch confirme qu’il vient de céder sa société à Microsoft pour la somme de 2,5 milliards de dollars, dont environ 70 % lui reviennent. Les employés de Mojang sont absorbés par la multinationale américaine, ce que la plupart ne lui pardonneront pas bien que Notch se soit toujours montré généreux envers eux (en leur reversant par exemple 3 millions d’euros des dividendes de la société en 2011). Notch débute sa nouvelle vie de milliardaire en acquérant, pour la bagatelle de 70 millions d’euros, une somptueuse villa californienne qui était convoitée par Jay-Z et Beyoncé. Il se vante de cette acquisition sur les réseaux sociaux en publiant quelques photos élogieuses de son bien. D’autres clichés le montrent en train de faire la fête à Ibiza ou à Monaco, des destinations qu’il rejoint en jet privé depuis sa demeure de Beverly Hills ou son luxueux appartement de Stockholm. Bien qu’il multiplie par ailleurs les dons à des oeuvres caritatives, Notch commence à subir des attaques de toutes parts, aussi bien de ceux qui jalousent son mode de vie que de ceux qui estiment simplement qu’il a « changé ». Son mariage avec Elin Zettterstrand, qui travaille elle aussi dans le milieu du jeu vidéo, ne tiendra pas plus d’un an. Aujourd’hui, Notch exprime régulièrement son mal-être sur Twitter, où il se lamente sur la solitude et la mélancolie de la vie de milliardaire, ce qui ne fait que susciter moqueries et indignation. Qui a dit que la réussite faisait le bonheur ?

Felix Arvid Ulf Kjellberg, alias PewDiePie

PewDiePie à la PAX 2015.

PewDiePie à la PAX 2015.

Zlatan Ibrahimović en sera pour ses frais : PewDiePie a récemment été élu personnalité suédoise la plus populaire chez les ados, et le Time le classe même parmi les 30 acteurs les plus influents du web. Ce vidéocasteur aux 11 milliards de vues et aux 41 millions d’abonnés, qui déclare ne pas courir après la célébrité, reste à ce jour la star la mieux payée de Youtube. Avec 7 millions d’euros de gains par an, acquis essentiellement grâce à la publicité et aux placements de produits, le Suédois est parvenu à se constituer, à l’âge de 26 ans seulement, un véritable empire financier. PewDiePie est même lié à Disney depuis le mois de mars 2014, où la firme a racheté son network Maker Studios pour la somme rondelette de 950 millions de dollars. Bref, l’avenir s’annonce serein pour celui qui, il n’y a pas si longtemps, vendait des hot dogs pour financer ses vidéos ! Né à Göteborg, ce passionné de jeux vidéo crée sa chaîne Youtube en 2010 alors qu’il étudie l’économie industrielle et le management à l’école polytechnique Chalmers. Sous le pseudo de PewDiePie, il se lance dans une série de let’s play sur des titres comme Amnesia : The Dark Descent, où il peut affirmer sa façon personnelle – très expressive, et parfois même quelque peu hystérique – de commenter ses sessions de jeu. Grâce à son excellente maîtrise de l’anglais, à l’accessibilité de ses vidéos, qui privilégient l’humour à des réflexions pointues sur le gaming, mais aussi à un rythme de publication soutenu, il se constitue très vite une base de fans conséquente.

Mais ses moyens financiers limités, qui lui permettent à peine de louer son petit appartement universitaire, l’empêchent d’acquérir le matériel nécessaire à la réalisation de vidéos plus ambitieuses. Il décide alors d’interrompre ses études, au grand dam de ses parents, afin de pouvoir vendre des hot-dogs et financer ses achats avec l’argent obtenu. Ce sacrifice s’avère payant, puisqu’en juillet 2012, sa chaîne passe le cap du million d’abonnés, puis des 2 millions au mois de septembre de la même année. Dès lors, tout s’accélère, puisqu’il fonde dans la foulée sa propre société, PewDie Productions, et signe un contrat dès le mois de décembre avec le network Maker Studios, dont il devient très vite la vedette. La croissance de sa chaîne devient alors exponentielle, le propulsant en peu de temps au rang de star incontestée de Youtube. Parfois critiqué pour ses réactions excessives (comme la fermeture des commentaires sur ses vidéos en 2014, une décision sur laquelle il reviendra quelques semaines plus tard), parfois loué pour ses actions caritatives (il s’est à plusieurs reprises investi dans des oeuvres de charité), PewDiePie expérimente aujourd’hui les bons et des mauvais côtés de la popularité. À noter que son succès fulgurant coïncide avec le redéploiement des budgets des annonceurs publicitaires, traditionnellement alloués à la presse en ligne, vers les leaders d’opinion que sont aujourd’hui les vidéocasteurs.

Ci-dessous : Amnesia : The Dark Descent, l’un des plus célèbres let’s play de PewDiePie.

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9 commentaires

  1. EddieTheDust
    EddieTheDust
    4 mars 2016 à 17 h 50 min

    Wow ! Excellent dossier ! Merci Pixel ! :)

  2. Galiat
    Galiat
    4 mars 2016 à 19 h 25 min

    Massive Entertainment, mon entreprise de jeux vidéo préféré ! Eh oui, je suis un fan de Ground Control 1 et 2, et surtout World in Conflict. J’y rejouais encore en fin d’année dernière. Ils devaient couper les serveurs, mais devant la motivation des joueurs, ils ont laissés ouvert quelques mois de plus. Je ne sais pas si ils ont réussi à trouver une solution pour pérenniser le multi. J’irai refaire un tour !

    Bref, ils ont revendu la licence Ground Control, c’est bien dommage. Pourquoi pas un World in Conflict 2 qui reste pour moi la référence de STR fun / non prise de tête, et impressionnant graphiquement. Mais Ground Control était un peu plus technique et offrait une large palette de possibilité.

    Sinon, concernant l’article, très bien écrit ! Des dossiers comme cela, c’est vraiment bien. Continuez comme cela !

  3. rlmtruffo
    rlmtruffo
    5 mars 2016 à 12 h 01 min

    Très bon dossier, super intéressant !

  4. CptObvious
    CptObvious
    6 mars 2016 à 11 h 53 min

    Dossier très sympa en effet, merci Clément. Je n’avais jamais fait le rapprochement entre le climat nordique et la popularité des jeux vidéo, mais ça paraît logique (même si ça a ses limites : il me semble que les JV sont de plus en plus populaires au Brésil, pourtant ils ont le soleil et la plage :D ).
    À noter que PewDiePie a eu les honneurs d’un épisode de South Park en 2014, ce qui est pour moi le summum de la consécration ! Quand la série parle de quelque chose, c’est qu’il s’agit véritablement d’un phénomène de société (bon OK pas seulement lui, il représentait le monde du streaming en général).

    1. Clément Le Hyaric (Pixelpirate)
      Pixelpirate
      7 mars 2016 à 15 h 15 min

      Salut J-M :) Il est vrai que ce genre de rapprochement est toujours très délicat, mais disons qu’il a déjà été fait avant moi. Peut-être qu’au Brésil, c’est justement la chaleur qui pousse les jeunes à rester au frais apprécier un bon jeu vidéo ? ;)

  5. Lancien
    Lancien
    6 mars 2016 à 12 h 00 min

    Un très bon dossier et complet!
    Je note la période (pour ma part) de l’Amiga ou les Suédois ont été très prolifique (donc novateur). D’ailleurs les meilleurs au monde dans le conception des démos pour l’époque!
    C’est aussi le moment ou je vois la France pays totalement en retard sur les filières!
    On s’enorgueillit d’être au top (avec Ubi et des développeurs qui ne travaillent même plus en France)) mais en fait on prend du retard sur des pays qui recentrent leur développement sur les tendances ainsi que les nouvelles technologie.
    Avec leur programme scolaire, ils sont en trains de crées des armées de développeurs de très haut niveau, parce que le “savoir-faire” à la Suédoise existe réellement.

  6. Nadalito
    Nadalito
    7 mars 2016 à 15 h 00 min

    J’ai adoré lire ce papier, bravo !

  7. TheElkantor
    TheElkantor
    7 mars 2016 à 15 h 26 min

    Très sympa comme article, merci pour le partage. Ça serait intéressant de faire un petit “tour d’horizon” des pays grimpant dans le domaine du jeu vidéo, et ceux qui sont au top depuis plusieurs années.
    Dans le même genre que al Suède, je pense que parler de la Pologne serait vraiment intéressant, car c’est aussi là-bas que sortent depuis peu bon nombre de bonnes productions, en dehors des énormes Techland et autre CD Projeckt ;)

  8. Clément Le Hyaric (Pixelpirate)
    Pixelpirate
    7 mars 2016 à 17 h 36 min

    Gamekult a sorti il n’y a pas si longtemps un excellent article sur la création vidéoludique actuelle en Belgique. Pour ce qui est de l’Europe de l’Est, il y aurait en effet beaucoup à dire, on y pensera.

    En tout cas, merci pour vos retours :)

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