Merlin : Salade de points pour la Table RondeTest JDS

Merlin : Salade de points pour la Table Ronde

Les contes et légendes ont cela de bien qu’ils nous permettent de raconter absolument ce que l’on veut, tordre la vérité et transformer ce qu’il s’est réellement passé pour donner de l’allure et de la carrure aux divers personnages impliqués. Vous pensiez donc que les légendes arthuriennes étaient peuplées de preux et nobles chevaliers prêts à défendre le royaume coûte que coûte ? Que nenni ! Autour de la fameuse Table Ronde, Lancelot, Perceval et les autres jouaient simplement aux chaises musicales à coups de dés et plaçaient le sort du royaume quelque part entre les mains bienveillantes d’un joyeux hasard plus ou moins manipulé…

Au cœur de Merlin, il y a un jeu de parcours, une sorte de jeu de l’oie dans lequel chaque joueur lance ses dés, les utilise pour avancer autour de la Table Ronde et effectue l’action associée à la case sur laquelle il atterrit. On répète le manège pendant six rounds, ponctués de trois phases de scoring, et le chevalier avec le plus de points est désigné vainqueur. Rien de bien excitant, vous dites ? C’est normal, décrit de la sorte, il serait facile de penser que Merlin se réduit à un bête roll and move, comme l’appellent les anglophones. Mais vous pensez bien que ce n’est pas le cas. D’une part parce que Merlin porte les signatures de Stefan Feld (Les Châteaux de Bourgogne) et de Michael Rieneck (Les Piliers de la Terre), et d’autre part, parce qu’en réfléchissant deux secondes, vous pensez bien qu’aucun éditeur ne se risquerait à publier aujourd’hui un pur roll and move sans transformer la formule ! Alors reprenons.

En début de manche, les joueurs lancent bien leurs dés. Quatre dés très précisément : trois à leur couleur, qui leur serviront à faire avancer leur chevalier autour de la table, toujours en sens horaire, et un quatrième dé blanc assigné à Merlin, seul personnage autorisé à se déplacer dans les deux sens. À son tour, le joueur choisi quel dé utiliser et déplace son chevalier ou Merlin en conséquence, pour ensuite activer la case d’arrivée. Notez déjà l’importance de l’ordre des dés utilisés durant la manche car jouer un 3, puis un 6 et enfin un 4 n’activera pas forcément les mêmes actions que si vous jouez un 4, un 3 puis un 6. Même si effectivement, vous arriverez finalement sur la même case en fin de la manche, vous ne serez pas passé par les mêmes actions intermédiaires. Et c’est là que beaucoup se joue puisque les actions sont assez nombreuses et demandent aux joueurs d’avoir l’esprit sur tous les fronts pour glaner des points à droite et à gauche. Stefan Feld est réputé pour ses jeux communément appelés des salades à points, et c’est encore le cas ici. On y retrouve d’ailleurs beaucoup de ses ingrédients fétiches dont les dés ou les différentes zones de couleurs sur le plateau toujours associées à des façons particulières de gagner des points, que ce soit directement ou selon un système de majorité en fin de manche.

Sans rentrer dans tous les détails, vous serez amené à envoyer vos serviteurs dans les différentes provinces autour de la Table Ronde pour récupérer des drapeaux, des boucliers, des matériaux de construction, ou y renforcer votre influence. Vous serez également conduit à bâtir des manoirs sur différents domaines, grâce aux matériaux précédemment acquis, et ici, plus grand sera le domaine, plus grande sera la récompense en points, mais plus grande sera également la convoitise des autres joueurs qui feront alors tout pour avoir plus de manoirs sur ces terres et remporter les points qui y sont associés. Les boucliers servent pour leur part à repousser des traîtres, qui viennent inlassablement attaquer le château de chaque joueur. Laisser un traître s’infiltrer, c’est trois points qui s’envolent durant le scoring. Autant donc s’efforcer de récupérer les boucliers correspondants pour ne pas subir de pénalités.

Comme souvent dans un jeu où il faut avoir la tête un peu partout, il peut être difficile de savoir par où commencer. C’est là qu’interviennent les quêtes, aléatoirement distribuées en début de partie, puis sans cesses renouvelées à mesure que des missions sont accomplies durant le jeu. Ces cartes fixent une ligne directrice en demandant par exemple de placer deux serviteurs dans une province précise ou de récupérer un drapeau spécifique. Certaines, plus complexes, vont jusqu’à demander d’avoir posé de l’influence dans une province, récupéré le drapeau d’une autre, et obtenu un matériau d’une troisième. Pas toujours faciles à réussir, les quêtes permettent aussi de grappiller des points de victoire. Détail hautement important, les éléments relatifs à la mission ne sont pas dépensés. Ainsi, le joueur garde ses boucliers, ses drapeaux, ses matériaux et l’influence déployée. Les quêtes sont donc de vrais points de repères que les joueurs sont libres de suivre ou pas.

Vous vous dites sûrement que tout cela est bien beau, mais que si finalement tout est décidé par les dés, il doit être compliqué, voire impossible d’imposer ses choix durant la partie et donc d’avoir une réelle incidence sur le cours du jeu. Évacuons déjà la grande question. Effectivement, il est délicat de suivre une stratégie globale, décidée par avance. Vous aurez toutes les peines du monde à décider en début de partie si vous vous concentrerez cette fois sur les manoirs en ne vous occupant pas des traîtres. Si les dés ne coopèrent pas, ce sera même irréalisable. En fait, Merlin penche bien plus du côté tactique que du côté stratégique. C’est-à-dire que vous chercherez généralement la meilleure option dans l’instant, et pas forcément celle qui servira dans le long terme puisque justement, vous n’êtes pas certain de pouvoir atteindre ce but à long terme. Il faudra donc sans cesse réadapter ses calculs et ses prévisions pour se dépatouiller.

Cela étant dit, Merlin offre quelques outils aux joueurs pour leur donner plus de contrôle sur le déroulement de la partie, et donc sur leurs décisions. Déjà, il y a la présence des pommes, denrées rares dans le jeu, mais capables de transformer un dé en n’importe quelle autre valeur. Chaque joueur part avec un fruit, mais le fait de récupérer le Graal sur le plateau ou de le voler à un autre joueur permet d’obtenir une deuxième pomme. Au passage, le Graal est aussi capable de briser les égalités d’influence, ce qui n’est pas négligeable non plus ! Merlin dispose aussi de trois bâtons qu’il peut utiliser à la fin de son tour pour répéter l’action qu’il vient d’exécuter. Il peut donc construire deux manoirs en un tour s’il le souhaite.

Et puis il y a les drapeaux, associés aux provinces et synonymes de capacités spéciales bien pratiques. Le drapeau bleu permet ainsi de déplacer son chevalier dans le sens antihoraire, tandis que le gris permet de valider deux quêtes en un seul tour, ce qui est normalement interdit. Le violet permet de retourner un dé sur sa face opposée, le orange de copier l’action d’un autre chevalier, le marron de se retrouver de l’autre côté de la Table Ronde et le noir de repousser toute une pile de traîtres portant le même sceau. Entre les pommes, les bâtons et les drapeaux, il y a donc de quoi faire pour garder un peu de contrôle et tout de même se sentir un tant soit peu maître de sa destinée. Cela n’enlèvera jamais la part de hasard intrinsèquement liée aux dés, mais multipliera au moins les options pour vous débrouiller et engranger autant de points que possible durant les six manches.

Et force est de constater que tout cela fonctionne étonnamment bien. Pour preuve, les scores toujours très serrés témoignent d’un équilibrage assez épatant dans un jeu pourtant nourri par des jets de dés. Pour peu que l’on considère attentivement les quelques options qui se présentent à nous à chaque tour, il est donc possible d’optimiser son parcours et de s’armer pour contrer un éventuel coup du sort à la manche suivante. Et si cela ne suffit pas, sachez qu’une extension est directement incluse dans le jeu pour permettre à chaque chevalier de bâtir son petit arbre de compétences. Il faudra pour cela remplir une quête, mais snober ses points pour gagner un pouvoir actif durant le reste de la partie. Parmi ces derniers, on note l’option de pouvoir marquer un point supplémentaire pour chaque quête accomplie dans un certain type, ou encore le fait d’éliminer un traitre sans nécessairement posséder le bouclier approprié. L’extension reste franchement dispensable, mais autant l’inclure pour que ceux qui souhaitent l’utiliser, puissent le faire, et que ceux qui n’en veulent pas, l’ignorent pour marquer leurs points de quêtes normalement. Et puisqu’on évoque les différents joueurs, sachez pour terminer que les interactions entre chevaliers sont plutôt minimes et concernent surtout des histoires de majorités d’influence ou de manoirs dans les domaines. Il n’y donc pas réellement de coup bas ou de crasses directes à se faire, autre que renvoyer un serviteur adverse dans un château, ce qui fait perdre un point à son propriétaire. Donc rien de bien méchant.

L'avis d'extralife
  1. Auteurs : Stefan Feld et Michael Rieneck
  2. Illustrateur : Dennis Lohausen
  3. Éditeur : Queen Games
  4. Genre : Jeu de dés, Parcours
  5. Nombre de joueurs : 2 à 4 joueurs
  6. Durée des parties : 60 - 75 mn
  7. Âge recommandé : 14 ans et plus
  8. Sortie : fin 2017
  • Au delà de ses qualités ludiques qui obligent les joueurs à sans cesse surveiller le plateau pour décider d'un plan d'action avec les dés à leur disposition pour la manche, c'est surtout l'équilibrage général qui impressionne. On pourrait penser que tout est laissé au hasard, qu'il n'y a donc que la chance qui prime, mais ce n'est qu'une impression puisque tout le plaisir de Merlin réside dans sa palette d'outils pour manipuler ses dés. Jouer à Merlin, c'est sans cesse chercher des chemins détournés pour parfois arriver au même résultat, mais le plus souvent aussi déboucher sur des voies tout aussi juteuses en points que le plan initialement concocté. Cet équilibrage minutieux est la preuve évidente du savoir-faire des deux auteurs, qui livrent là bien plus qu'un simple roll and move.
4
Jihem

La découverte de BurgerTime aux débuts des années 80 aura clairement affecté la vie de ce grand bonhomme. Non seulement, Jihem a développé une passion pour les jeux vidéo, mais il a également choisi de s'installer au pays du hamburger. Sa mère est plutôt heureuse qu'il n'ait pas découvert les jeux avec Boogerman.

Soutenez ExtraLife

A voir aussi

Réponse