7 Ronin : Duel asymétrique et opposition tactiqueTest JDS

7 Ronin : Duel asymétrique et opposition tactique

La Pologne est décidément un vivier de talents en matière de création ludique. Alors qu’Ignacy Trzewiczek triomphait à Cannes avec Detective, c’est un jeu de ses compatriotes Piotr Stankiewicz et Marek Mydel qui nous tapait dans l’œil sur le stand de Don’t Panic Games. Bel exercice de programmation asymétrique pour deux joueurs, 7 Ronin nous entraîne dans un Japon féodal animé du souffle épique de Kurosawa.

 

Doté d’un bel écrin illustré par Aleksander Karcz, 7 Ronin brille avant tout par sa contextualisation extrêmement réussie, qui oppose un gang de ninjas retranchés dans les montagnes à sept mercenaires engagés par des villageois pour protéger leurs réserves de nourriture. L’un des joueurs incarne les attaquants, dont l’objectif est de piller le village avant que l’hiver ne s’installe, tandis que l’autre prend le contrôle des défenseurs, bien déterminés à remplir leur contrat.

Il faut savoir que la thématique n’est pas un simple prétexte à l’opposition asymétrique que voulaient nous proposer les auteurs, mais qu’elle imprègne réellement la logique du déroulement. De fait, si la lecture des règles est sans doute un poil longue pour un jeu à deux dont la durée n’excède pas une trentaine de minutes, c’est surtout parce que chaque mécanique y est justifiée par une judicieuse mise en contexte. Et pour asseoir encore l’immersion, les deux opposants programment leurs actions derrière un paravent de bambous, sur un plan du village parcheminé côté ronins, et tracé dans le sable côté brigands – signe du soin particulier accordé à la production du jeu.

La particularité de 7 Ronin est de proposer une asymétrie totale. Chacun des sept samouraïs dispose d’un talent particulier qu’il pourra activer sous certaines conditions, tandis que les ninjas ne sont que des sidekicks indifférenciés sans capacité propre, qui se limiteront à déclencher l’effet des zones dont ils se seront emparés à la fin du tour. Le village est découpé en une dizaine de secteurs sur lesquelles l’attaquant ne peut déployer qu’un nombre limité de ninjas à chaque tour, tandis que le défenseur, qui doit deviner où les assaillants vont frapper, utilise en permanence tous ses ronins.

Concrètement, les deux joueurs déploient simultanément leurs forces lors de la phase de programmation. Une fois les paravents levés et les marqueurs reportés sur la map centrale, les ronins activent leur capacité ; certaines sont utilisables en zone libre, d’autres en zone contestée. On passe alors à la résolution des blessures : chaque ninja présent sur la zone occupée par un ronin est déplacé sur sa tuile pour figurer la perte d’un point de vie. Qu’ils aient éliminé ou non un ronin sur la zone en question, les ninjas restants sur une zone en déclenchent alors l’effet.

Un exemple de certaines capacités des ronins :
– S’il est en zone libre, Hayai peut chevaucher vers une zone occupée afin de bloquer les ninjas qui se seraient déployés impunément là vous ne les y attendiez pas.
– S’il est en zone libre, Taiko peut guérir un autre ronin en retirant une de ses blessures.
– S’il est en zone contestée, Yobu peut déplacer jusqu’à deux marqueurs ninjas vers les zones adjacentes, afin de disperser un déploiement un peu trop concentré, ou bien de renvoyer les brigands vers son comparse Kabe, véritable tank sur pattes.
Un exemple des effets de certaines zones du village, activables par les ninjas :
– Le passage permet de déplacer deux ninjas de la réserve vers une zone du village – des renforts imprévus susceptibles de surprendre le défenseur.
– Le marché augmente de 1 la limite de déploiement d’une zone au choix pour chaque ninja présent – une façon de frapper fort sur une zone le tour suivant.
– L’auberge permet de copier et d’utiliser l’effet d’une autre zone occupée – combos possibles à la clé !

L’objectif de l’attaquant est moins d’éliminer tous les ronins – ce qui reste une façon de remporter la partie – que d’essayer de frapper là où le défenseur ne l’attend pas, afin d’activer l’effet des zones et de viser la seconde condition de victoire : le contrôle de cinq zones à la fin du tour. Cet exercice de double guessing, que l’éditeur évoque plus élégamment comme de l’« intuition tactique », peut vite mettre vos nerfs à rude épreuve. Du moins en ce qui concerne le joueur ninja…

L ‘attaquant ne peut en effet déployer qu’un nombre limité de ninjas sur un nombre limité de zones, tout en étant contraint d’en utiliser un minimum à chaque tour, sans compter l’hémorragie régulière de ses forces à cause du froid qui s’installe et la nécessité impérieuse de remporter la partie avant la fin du huitième tour. Et si la capture de certaines zones lui permet bien d’outrepasser certaines de ces contraintes, il n’en reste pas moins que sa marge de manœuvre est extrêmement restreinte.

Le jeu se révèle moins exigeant côté ronins, pour qui la victoire sera plus fréquente et d’autant moins gratifiante. De ce point de vue, le défenseur a un peu le sentiment de n’être que le sparring partner de son adversaire, à qui il donnera plus ou moins de fil à retordre. C’est un peu dommage, car en dehors de ce souci d’équilibrage, ce petit jeu fluide, rapide, extrêmement tactique et bien produit est une agréable surprise.

L'avis d'extralife
  1. Auteurs : Piotr Stankiewicz & Marek Mydel
  2. Illustrateur : Aleksander Karcz
  3. Éditeur : Don't Panic Games
  4. Genre : Intuition tactique
  5. Nombre de joueurs : 2 joueurs
  6. Âge : À partir de 14 ans
  7. Durée de la partie : 30 minutes
  8. Date de sortie : 2019
  • On aurait bien aimé récompenser un peu plus l'audace et le raffinement de 7 Ronin. Cette proposition de gameplay asymétrique très thématisée regorge de mécaniques intelligentes et de choix tactiques déterminants. Néanmoins, impossible de faire abstraction de la difficulté de prise en main du clan ninja et de cette sensation d'inéquité, qui aura tôt fait de rebuter bon nombre de stratèges. Pour le joueur ronin, la partie se conforme hélas trop régulièrement au vieil adage cornélien : à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
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