Pandemic Legacy : Le jeu coopératif en pleine mutationTest JDS

Pandemic Legacy : Le jeu coopératif en pleine mutation

Si pour vous chaque partie d’un jeu de société ressemble étrangement au jour de la marmotte, autrement dit à un éternel recommencement sans cesse réinitialisé et dans lequel vous finissez par prendre vos petites habitudes, c’est que vous n’avez pas encore goûté à un jeu Legacy. Par définition, un jeu Legacy n’offre aucun retour en arrière, laissant les joueurs seuls face à leurs choix qui affecteront non seulement la partie en cours, mais également toutes les sessions de jeu suivantes. Jouer à un jeu Legacy, c’est donc endurer jusqu’à la fin de ses jours les conséquences de la moindre décision, du moins jusqu’à l’achat d’une nouvelle boîte de jeu vierge de toute modification.

Quelques petits changements sur le plateau sont visibles.

Quelques petits changements sur le plateau sont visibles.

Risk Legacy a ouvert la voie il y a quelques années sous l’impulsion du designer Rob Daviau. Le classique jeu de conquête se transformait alors en véritable épopée évolutive avec des autocollants pour modifier le plateau et les forces en présence, et même des cartes à déchirer au fil des parties. En partant de ce principe, Rob Daviau a rejoint Matt Leacock, le designer de Pandémie, pour réfléchir à une nouvelle façon d’aborder le fameux jeu coopératif. Autant le dire, le fruit de leur travail ne bousculera pas les joueurs de Risk Legacy qui savent déjà plus ou moins où ils mettent les pieds. En revanche, Pandemic Legacy surprendra tous les autres en leur faisant découvrir un jeu de société en constante évolution, capable de suivre leurs exploits, et conçu dès le départ pour avoir un début et une fin. Parlons d’ailleurs rapidement de ce point, puisqu’il a vraisemblablement déjà fâché pas mal de monde. C’est indéniable, nous ne sommes pas encore habitués à ce qu’un jeu de société ne puisse être rejoué indéfiniment. Vous me direz que Sherlock Holmes : Détective Conseil ou plus récemment Witness et T.I.M.E Stories proposent tous des énigmes qui, une fois résolues, rendent chaque nouvelle partie aussi palpitante qu’un tournoi de bataille fermée. Pandemic Legacy n’est donc pas le premier jeu de société à “durée de vie” limitée, c’est vrai. Il est cependant l’un des premiers qui, une fois bouclé, est impossible à recommencer. Il ne s’agit pas simplement d’une perte d’intérêt lors d’un second run, mais bien de l’impossibilité à réinitialiser le plateau et à retrouver des cartes précédemment détruites. À condition bien sûr d’appliquer les règles à la lettre, voir l’encart à ce sujet.

Les maladies sont représentées par des cubes de couleur.

Les maladies sont représentées par des cubes de couleur.

En effet, un jeu Legacy se distingue par un matériel capable de s’adapter à ses joueurs. En plus des autocollants apposés sur le plateau, vous trouverez ici des stickers à coller sur les cartes elles-mêmes pour modifier leurs fonctions, ou même de nouveaux jetons à intégrer en cours de partie et à ajouter aux réserves de base. Nous restons volontairement le plus vague possible à ce sujet puisqu’une grande partie de l’intérêt repose justement sur l’élément de surprise, et l’impossibilité de savoir où nous conduira la suite des événements. La première partie de Pandemic Legacy démarre ainsi comme une partie de Pandémie tout ce qu’il y a de plus classique. De deux à quatre joueurs forment une équipe prête à affronter quatre virus éparpillés sur le globe ; chacun incarne un personnage doté d’une spécialité et se rend dans telle ou telle ville pour contenir un microbe, soigner la populace ou tenter de trouver les remèdes appropriés. Un joueur assidu remarquera l’apparition de quelques connexions retouchées facilitant généralement les déplacements d’un continent à un autre. Il verra également que la sécurité d’une ville peut se dégrader en fonction des événements. En effet, chaque éclosion fera grimper le niveau de panique de la ville touchée, entraînant des émeutes de plus en plus violentes. Impossible à réduire et reporté d’une partie sur l’autre, ce niveau de panique influence directement les transports puisqu’il sera de plus en plus difficile de se rendre vers ou de quitter une ville en crise. Si tout démarre donc plutôt tranquillement, les choses ne tarderont pas à évoluer et à dégénérer si on n’y prête pas attention. Au fil des parties, le jeu remplacera également vos objectifs de missions par d’autres, et ne se gênera pas pour modifier les règles en vigueur ou en ajouter de toutes nouvelles. On navigue ainsi de surprise en surprise sans jamais pouvoir prévoir ce qu’il peut nous tomber dessus. On sait simplement que la boîte renferme plusieurs documents et huit compartiments scellés à n’ouvrir qu’après en avoir reçu l’autorisation.

Les dossiers cachent de véritables "game changers".

Les dossiers cachent de véritables “game changers”. Les autocollants, eux, adapteront le jeu à vos choix.

L’ensemble est orchestré grâce à un deck de cartes à effeuiller petit à petit et qui nous indique précisément ce qu’il faut ouvrir et à quel moment le faire. On retourne ainsi les cartes une par une en appliquant ce qu’elles nous demandent d’effectuer jusqu’à ce que l’une d’entre elles nous indique d’arrêter pour reprendre le cours de la partie. Ce sont ces cartes qui donneront du sel aux parties et les lieront entre elles en brodant une histoire autour de vos exploits. Sans rentrer dans les détails, le scénario nous entraîne dans une année particulièrement rude pour la sécurité sociale. De vilaines maladies se propagent sur les cinq continents et demandent une équipe de choc pour parvenir à les éradiquer. Les parties correspondent ainsi à un mois de l’année en nous faisant logiquement débuter par janvier pour nous conduire jusqu’en décembre. Si les joueurs manquent les objectifs du mois en cours, ils devront recommencer le mois en question et tenter de faire mieux ; s’ils échouent une seconde fois, ils passeront alors automatiquement au mois suivant. L’expérience complète de Pandemic Legacy comprend donc un minimum de douze parties et un maximum de vingt-quatre. Après cela, l’expérience sera terminée et comme on l’a dit plus haut, impossible à réinitialiser.

Il faut attendre la permission pour ouvrir ces boîtes.

Il faut attendre la permission pour ouvrir ces boîtes.

C’est justement cette impossibilité à rembobiner le cours des choses pour corriger une erreur de jugement ou une mauvaise coordination qui donne tout son sens à Pandemic Legacy et le distingue finalement d’un Pandémie normal et de ses multiples extensions. L’énorme poids qui pèse sur chaque action transforme véritablement le rapport que l’on entretient avec le jeu, haussant clairement les enjeux. Mais rassurez-vous, si certains événements vous feront maudire les designers, Pandemic Legacy n’est pas non plus un jeu cruel. Quand bien même il faudra assumer ses choix sur le long terme, il paraît impossible qu’un groupe de joueurs se retrouve totalement bloqué dans une voie sans issue. D’ailleurs, le jeu fait tout pour corriger le tir et ajuster la difficulté entre les parties. Ainsi, en cas de victoire, les autorités internationales considèrent que la situation est sous contrôle et réduisent votre budget pour la prochaine partie. Cela signifie que vous aborderez le mois suivant avec deux cartes d’aide en moins. À l’inverse, en cas de pépin, le gouvernement comprend qu’il vous faut plus de moyens et augmente les fonds disponibles. Et si cela n’est toujours pas suffisant, en cas de quatre défaites successives, le jeu vous demandera d’ouvrir une boîte spéciale renfermant… non, gardons la surprise.

La coordination entre les joueurs est essentielle pour vaincre les maladies.

La coordination entre les joueurs est essentielle pour vaincre les maladies.

Vous avez certainement compris l’idée. Pandemic Legacy est un jeu intense, plein de surprises, et s’appuyant sur les bases de Pandémie pour transporter les joueurs dans une expérience en mutation constante. En somme, voilà le jeu parfait pour tout amateur de la série, n’est-ce pas ? Pas forcément. En fait, si l’aspect Legacy en lui-même est très intéressant et joliment exécuté, la thématique globale abordée par le scénario ne plaira certainement pas à tout le monde, tandis que la fin complètement ratée laissera à coup sûr un goût amer. Après plus de quinze heures d’investissement total de la part des joueurs, les auteurs pensent-ils vraiment s’en tirer avec seulement une ligne et demie de texte sur une carte ? On frôle l’indécence. En marge de tout cela, l’accumulation de règles fait également débat. Si celles-ci s’intègrent parfaitement dans le scénario, et ont du sens vis-à-vis des mesures à prendre pour sauver le globe, elles finissent aussi inexorablement par ternir l’élégance et la simplicité du game design qui font tout le charme de Pandémie. Plus les mois passent et plus l’impression de se noyer sous une marée de petites règles se fait forte. Dans un jeu normal, on ne s’en inquiéterait pas plus que cela. Oublier une petite règle n’est pas si grave, on s’en souviendra la fois prochaine. Mais Pandemic Legacy n’est pas un jeu normal. S’il est fréquent pour nous d’oublier une règle, le jeu, lui, n’oublie rien et poursuit donc sa constante fuite en avant. C’est certain, bien des joueurs décrocheront en cours de route. Mais bon nombre d’entre eux profiteront pleinement du voyage, et l’apprécieront pour ce qu’il est, à savoir un aller simple en partance de Pandémie vers l’inconnu.

Vraiment impossible à réinitialiser ?

De base, un joueur de jeu de société aime et prend soin de son matériel. Mieux, il aime en prendre soin. Forcément, quand un jeu lui demande de défigurer son plateau ou de déchirer des cartes, il ne le prend pas toujours très bien. C’est évident, bien des joueurs tenteront de contourner les règles de Pandemic Legacy en mettant simplement de côté leurs cartes au lieu de les déchirer, en scannant des feuillets pour écrire dessus à loisir, et en bidouillant tout un système pour pouvoir coller puis décoller les autocollants, le tout pour se laisser l’option de réinitialiser une partie s’il le faut. Pour avoir suivi ce chemin pendant les quatre premières parties, je peux témoigner qu’il est en effet possible de trouver des astuces pour s’en sortir. Je peux également vous assurer que ces méthodes détruisent clairement l’intérêt de Pandemic Legacy. Le but des développeurs n’est certainement pas de vous faire racheter une boîte — de toute manière, une fois l’aventure terminée, les surprises sont connues et il n’y a aucun intérêt de la reprendre de zéro. À l’inverse, la volonté des concepteurs est plutôt de confronter les joueurs à des décisions difficiles à prendre sachant que les choix seront finaux et irréversibles. Alors oui, vous pourrez toujours trouver des combines pour conserver le matériel mais vous passerez un peu à côté du sujet. Ce serait comme jouer à un point and click avec la solution sur les genoux. Ça marche, mais où est l’intérêt ?

Deux boîtes sont proposées pour Pandemic Legacy. En dehors de leurs visuels et de la couleur, bleu ou rouge, rien ne change.

L'avis d'extralife
  1. Auteurs : Matt Leacock / Rob Daviau
  2. Illustrateur : Chris Quilliams
  3. Éditeur : Filosofia
  4. Genre : Coopération
  5. Date de sortie : 8 octobre 2015
  6. Nombre de joueurs : 2 à 4 joueurs
  7. Âge recommandé : À partir de 14 ans
  8. Durée de la partie : 60 mn (Entre 12 et 24 parties au total)
  • pandemic_legacy_redPandemic Legacy est le rejeton un peu rebelle de la série. Il commence en suivant sagement ce qui a fait le succès de la famille mais bifurque rapidement pour suivre sa propre voie. Même si au final, il peut difficilement cacher ses origines, le feeling général se transforme au fil des parties pour s'éloigner toujours un peu plus de la pureté du jeu de base. La cible visée n'est donc pas si évidente à cerner. Une chose est certaine, si vous n'aimez pas Pandémie, il y a peu de chances que vous changiez d'avis ici. En revanche, rien ne garantit que l'ensemble des fans du titre original se retrouvent pleinement dans cette mutation de leur jeu fétiche. Cela n'enlève rien à la qualité globale de l'expérience, très agréable et encore atypique dans le monde du jeu de société.
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Jihem

La découverte de BurgerTime aux débuts des années 80 aura clairement affecté la vie de ce grand bonhomme. Non seulement, Jihem a développé une passion pour les jeux vidéo, mais il a également choisi de s'installer au pays du hamburger. Sa mère est plutôt heureuse qu'il n'ait pas découvert les jeux avec Boogerman.

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6 commentaires

  1. Clément Le Hyaric (Pixelpirate)
    Pixelpirate
    30 novembre 2015 à 18 h 29 min

    Merci beaucoup pour cet avis éclairé, Jihem. J’aime beaucoup Pandémie, et sans même y avoir joué, j’apprécie déjà la prise de risque de cette version évolutive, qui – effectivement – risque de donner quelques sueurs froides aux joueurs les plus conservateurs. Il me tarde déjà d’ouvrir les petites boîtes, comme pour un calendrier de l’avent ^^ Reste à voir si la complexification des règles ne me gênera pas trop, car au-delà de son potentiel stratégique, j’apprécie aussi Pandémie pour la simplicité de ses mécanismes et la fluidité de ses parties.

  2. Jihem
    Jihem
    30 novembre 2015 à 19 h 02 min

    De rien. C’est toujours un plaisir de parler jeux de société ^^
    Hâte de connaître ton avis sur le jeu.

  3. ZoidbergForPresident
    30 novembre 2015 à 19 h 02 min

    Mmh, l’obsolescence programmée appliquée au jeu de plateau (d’ailleurs aucun prix n’est indiqué, je l’ai vu à Louvain ce weekend mais j’ai pas fait attention) ? Je ne peux qu’être contre. Même si je vois bien l’idée derrière (je comprends le “saison 1” et m’en gausse car je n’adhère pas souvent au principe des séries non plus), je n’aime pas cette exécution.
    Qui plus est comme c’est indiqué dans le test, on est “bloqué” avec les mêmes joueurs pour 12 à 24 parties? Continuer avec d’autres n’aurait pas de sens et s’ils abandonnent en cours vous vous retrouvez avec un bon gros tas de papier et cartons inutiles, puisqu’impossible à revendre.

    Détestable, désolé mais c’est le premier mot qui me vient à l’esprit. Notez que je ne suis pas expert en jeu de plateau cela dit. :P

    1. Jihem
      Jihem
      30 novembre 2015 à 19 h 52 min

      En fait, nous ne sommes pas forcément bloqué avec les mêmes personnes de bout en bout. Rien n’empêche de varier les joueurs. Ma femme a choisi d’abandonner au mois d’avril. J’ai poursuivi en jouant pour elle.

      Ceci dit, l’expérience s’apprécie davantage avec un groupe soudé jusqu’à la fin.

      La question du prix revient souvent, mais cela dépend vraiment du magasin (physique ou en ligne). Sans compter que le prix aujourd’hui ne sera pas forcément le même l’année prochaine. Je me dis qu’un joueur intéressé par le jeu ira voir de lui-même combien il coûte et évaluera en son âme et conscience si ce prix lui convient. C’est en tout cas comme ça que je fonctionne.

    2. ZoidbergForPresident
      2 décembre 2015 à 10 h 19 min

      @Jihem. Merci pour la réponse. Je crois que je vais rester campé sur ma position sur le concept, même si c’est original, je reste contre. :P

      Pour le prix je comprends bien aussi mais, comme pour les jeux vidéos, il doit bien y avoir un prix conseillé, non? Ca reste une information importante selon mon humvble avis.

      Peace,

    3. Jihem
      Jihem
      2 décembre 2015 à 17 h 43 min

      Oui, je pense qu’il y a un prix conseillé. Mais cela n’empêche pas les éditeurs de baisser ce prix dans un an ou deux. Il faudrait alors repasser chaque article pour corriger l’information…

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