Five Tribes : La merveille de Days of WonderTest JDS

Five Tribes : La merveille de Days of Wonder

À raison d’un unique gros jeu par an, Days of Wonder a toujours privilégié la qualité à la quantité. Son cru 2014 ne fait pas défaut à cette philosophie puisqu’il s’agit de Five Tribes, un jeu signé Bruno Cathala, auteur prolifique qui présente ici une certaine éloge de l’opportunisme. Sur un plateau sans cesse changeant, chaque joueur devra constamment adapter ses tactiques pour engranger le plus de points et s’attirer les faveurs de cinq tribus à la recherche d’un nouveau sultan.

Pas de panique, ça va bien se passer.

Pas de panique, ça va bien se passer.

Contrairement à la thématique Milles et une Nuits qui invite au voyage et au dépaysement, la prise de contact avec Five Tribes reste plutôt intimidante. Même le matériel haut en couleurs, et d’excellente facture soit dit en passant, ne peut adoucir ce sentiment de chaos lorsque l’on s’assoit devant le jeu pour la toute première fois. Il y en a partout et on a beau chercher, il ne semble pas y avoir de logique dans ce qui passerait presque pour une flash mob de meeples* colorés. Et c’est normal, de logique, il n’y a pas, enfin pas vraiment. Les tuiles sont placées aléatoirement pour former une aire de 6 x 5 tuiles et les meeples sont distribués au petit bonheur la chance à raison de trois par tuile. Les neuf cartes du marché sont elles aussi tirées au hasard, de même que les trois cartes Djinns, des démons qui prêteront leurs pouvoirs à ceux qui parviendront à les invoquer. Évidemment, cet aspect complètement aléatoire offre une rejouabilité énorme pour Five Tribes. Il est d’ailleurs intéressant de noter combien le hasard, si important lors de la mise en place, s’efface presque totalement durant la partie pour mettre en valeur la notion d’opportunisme. En effet, une fois la partie lancée, tout le monde est mis sur un pied d’égalité, il n’y a plus de hasard ni de chance qui tiennent, seuls l’opportunisme et la capacité à trouver et réaliser le meilleur coup possible avant qu’il ne disparaisse entièrement du plateau permettront de départager les joueurs.

Le contrôle des tuiles n'est que l'une des voies menant à la victoire.

Le contrôle des tuiles n’est que l’une des voies menant à la victoire.

Grosso modo, chaque coup permet d’empocher des points et autant vous dire qu’il y a de nombreuses façons d’obtenir des points comme nous le verrons dans un instant. Par conséquent, même s’il est possible d’établir une stratégie globale, c’est plutôt sur la tactique de l’instant que tout se joue finalement. Dans un sens, Five Tribes nous oblige sans cesse à réévaluer nos options pour finalement retenir celle qui nous rapportera le plus de points en fin de partie. S’il serait trop long de détailler chaque élément indépendamment et les multiples façons de scorer, quelques notions de base permettent de comprendre toute la richesse du jeu. Il faut par exemple savoir que chaque tour de jeu suit le même rituel : déplacement, vérification du contrôle de la tuile, action de la tribu, puis action de la tuile elle-même. Lorsque vient son tour, un joueur commence donc par une phase de déplacement. Il lui faut pour cela choisir une tuile, s’emparer de tous les meeples présents sur cette tuile et les semer un par un sur les tuiles adjacentes. Les seules règles à respecter sont simples : les diagonales et les demi-tours sont interdits, et il faut impérativement que le dernier meeple posé puisse retrouver un autre meeple de sa couleur sur la tuile d’arrivée. Le joueur ramasse alors tous les meeples de la couleur concernée actuellement présents sur cette dernière tuile. Si cette action dépeuple entièrement la tuile, le joueur y place l’un de ses chameaux. Cette tuile lui appartient désormais, personne d’autre ne pourra s’en emparer et il marquera le nombre de points associés à cette tuile.

Neuf marchandises plus ou moins rares.

Neuf marchandises plus ou moins rares.

La prochaine phase concerne les meeples ramassés à l’arrivée. Selon leur couleur, chaque tribu déclenche une action spécifique. Les vizirs et les sages (jaune et blanc) viennent se placer devant le joueur ; ils rapportent simplement des points en fin de partie. Les bâtisseurs en bleu accordent pour leur part des points en fonction de leurs positions sur le plateau de jeu et des tuiles voisines. Les assassins en rouge sont capables d’éliminer un autre meeple sur ou en dehors du plateau, permettant notamment de tuer le dernier meeple d’une tuile pour y placer son chameau, tandis que les marchands en vert permettent de récupérer des cartes dans le marché. Vous l’avez probablement deviné mais les marchandises peuvent être stockées et revendues pour engranger de l’argent, et avant que vous ne posiez la question, oui, l’argent est également synonyme de points.

Plus d'une vingtaine de Djinns aux pouvoirs tous différents.

Plus d’une vingtaine de Djinns aux pouvoirs tous différents.

Alors qu’il est parfois déjà bien compliqué de se décider parmi toutes les options qui se présentent à nous, Five Tribes ajoute encore une donnée dans cette recherche perpétuelle du meilleur coup : les actions de tuiles. En effet, que l’on ait ou non pris le contrôle de la tuile d’arrivée, une action spécifique se déclenche, cette fois liée à la tuile. Il y a ainsi des tuiles qui feront pousser des palmiers ou même des palais, accordant encore des points à celui qui contrôle ladite tuile. On trouve aussi des marchés qui autorisent le joueur à acheter des cartes ressources ou des lieux sacrés permettant d’invoquer des Djinns. Là encore, nous nous retrouvons à explorer une toute nouvelle branche d’options puisque chaque Djinn rapporte quelques points supplémentaires, mais donne également droit à des pouvoirs spécifiques. Parmi la trentaine de Djinn présents, il y a par exemple celui qui permet de placer un chameau sur une case vide, celui qui rapporte de l’argent à chaque assassinat, celui qui double la valeur des vizirs collectés, etc.

Qu’il le veuille ou non, le joueur se retrouve ainsi pris dans un tourbillon de décisions à prendre où chaque option peut lui permettre de faire grimper son score d’une manière ou d’une autre. A l’inverse, il peut aussi se montrer plus agressif et tenter de gêner ses adversaires. En effet, puisque la configuration des meeples change à chaque déplacement, il est fort probable que le joueur précédent chamboule complètement nos plans. Par exemple, s’il sème un meeple sur l’une des tuiles souhaitées et que le groupe de meeples que l’on espérait nous-même prendre compte désormais un meeple supplémentaire, il faudra inévitablement trouver un autre coup à jouer. Dès lors, puisqu’il n’est pas dit que le coup que l’on compte réaliser soit encore là lorsque reviendra notre tour, nous voilà forcés à multiplier mentalement les options, et à prévoir parfois trois ou quatre mouvements potentiels, juste au cas où. Évidemment, l’exercice est aussi délicat que stressant. On passe de longues minutes à attendre que notre tour arrive et à espérer que la position des meeples n’ait pas changé d’ici là, ce qui engendre une tension inattendue, mais réellement bienvenue dans l’expérience de jeu. Et tout cela fait évidemment ressortir cette fameuse notion d’opportunisme. Si un coup est disponible dès à présent, autant en profiter maintenant puisque rien ne dit qu’il sera encore là au tour suivant.

L'ordre de passage est déterminé par des enchères.

L’ordre de passage est déterminé par des enchères.

S’il est impossible de supprimer l’attente entre chaque tour (parfois très longue), il existe un moyen de prendre les devants pour rester confortable et gommer la nervosité d’entre tour. Ce moyen consiste tout simplement à payer pour pouvoir jouer avant les autres. Un système d’enchères est effectivement en place au début de chaque tour afin de déterminer l’ordre de passage des joueurs. Bien sûr, jouer en premier peut coûter cher (puisque rappelons-le, l’argent est converti en points) mais c’est également le moyen d’être sûr de griller tout le monde pour rafler le pactole si un coup convoité apparaît sur le plateau. Au passage, les enchères permettent aussi de planifier ses deux prochains coups en choisissant volontairement de jouer le dernier durant un tour, puis en payant le prix fort pour être premier le tour suivant. Cela permet ainsi de jouer deux fois d’affilée : le premier tour des deux servira à préparer le terrain, le second à exécuter un coup de maître. A noter que cette notion d’enchères, bien que toujours présente dans le jeu en duo, rend le titre assez bancal. Dans cette configuration, chaque joueur doit enchérir deux fois et en s’y prenant bien, il est tout à fait probable de jouer jusqu’à quatre coups à la suite ! A dire vrai, Five Tribes n’est pas forcément conseillé à seulement deux joueurs. Le jeu prend toute sa dimension à trois ou quatre joueurs.

La polémique des esclaves

five_tribes_esclave_fakirDans la première édition de Five Tribes, le marché permettait de récupérer neuf ressources différentes (épices, tissus, joyaux, etc.) mais également des esclaves. Ces derniers pouvaient servir à invoquer un Djinn, à augmenter la portée des assassins, ou à faire grimper le multiplicateur de scores pour les bâtisseurs. Même s’ils n’étaient pas considérés comme des ressources, ne pouvaient pas être revendus, et ne rapportaient aucun point en fin de partie, les esclaves, par leur présence, ont engendré une petite polémique. Bien sûr, Five Tribes n’est pas le premier jeu à inclure des esclaves et ce ne sera certainement pas le dernier mais il a forcément subit les foudres de joueurs mécontents et mal à l’aise avec l’idée de jouer avec des cartes à l’effigie d’hommes enchaînés. L’éditeur Days of Wonder a fini par plier et propose dès à présent une seconde édition du jeu où les esclaves ont été remplacés par des fakirs.

Même si nous n’avons fait qu’effleurer la surface de Five Tribes, vous avez certainement compris qu’il s’agit d’un jeu d’une grande richesse stratégique et tactique. Puisque chaque joueur retire obligatoirement quelques meeples du plateau à chaque tour, il s’agit également d’un jeu qui a la grande particularité d’offrir de moins en moins de possibilités au fil de la partie. Du coup, contrairement à bon nombre de titres de stratégie qui explosent littéralement de choix à mesure que le jeu avance, Five Tribes voit ses options se resserrer inexorablement et donc ses joueurs se battre pour avoir la chance d’obtenir les points encore restant sur le plateau. Parties après parties, on apprend de nouvelles manières d’aborder le jeu, on tente de nouvelles approches, et on se surprend toujours à constater combien l’équilibre est maîtrisé lors du calcul des scores finaux. Quelle que soit la méthode choisie, les résultats se tiennent généralement dans un mouchoir de poche, mettant une fois de plus en valeur cette fameuse notion d’opportunisme. Si un joli coup se présente, il faut clairement saisir l’occasion de marquer ces points, maintenant, tout de suite. Ce sont peut-être ces points qui feront toute la différence à l’arrivée.

* “meeple” est le terme générique employé dans les jeux de société pour désigner les pions, souvent sculptés comme de petits personnages. Il provient de la contraction des mots anglais My People, donc “Mon Peuple” ou “Mes Bonshommes” en français.

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L'avis d'extralife
  1. Auteur : Bruno Cathala
  2. Illustrations : Clément Masson
  3. Editeur : Days of Wonder
  4. Genre : Stratégie
  5. Date de sortie : 2014
  6. Nombre de joueurs : 2 à 4 joueurs
  7. Age recommandé : À partir de 13 ans
  8. Durée de la partie : 60 mn
  • five_tribes_boiteFive Tribes a cela de fascinant qu'il nous pousse à nous organiser dans une configuration de jeu modifiée à chaque tour de jeu. A l'image des cinq tribus qui errent dans le désert, nous sommes contraints à chercher notre chemin jusqu'au meilleur score possible dans une étendue de possibilités amenée à se réduire comme peau de chagrin à mesure que la partie avance. A chaque coup réalisé, d'autres disparaissent comme si une tempête de sable venait balayer la stratégie que l'on pensait balisée d'avance. Parfaitement huilé dans sa mécanique de jeu et servi par un matériel de grande qualité, Five Tribes s'adresse avant tout aux joueurs qui aiment réfléchir et qui savent reconnaître et saisir une opportunité lorsqu'elle se présente.
5
Jihem

La découverte de BurgerTime aux débuts des années 80 aura clairement affecté la vie de ce grand bonhomme. Non seulement, Jihem a développé une passion pour les jeux vidéo, mais il a également choisi de s'installer au pays du hamburger. Sa mère est plutôt heureuse qu'il n'ait pas découvert les jeux avec Boogerman.

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5 commentaires

  1. 18 septembre 2015 à 17 h 13 min

    “[…] mais également des esclaves. Ces derniers pouvaient servir à invoquer un Djinn…”
    Je n’ai pas pu m’empêcher de rigoler.
    Bon article !

    1. Jihem
      Jihem
      18 septembre 2015 à 20 h 22 min

      Ce n’était même pas voulu !

  2. Nostromo
    Nostromo
    18 septembre 2015 à 23 h 59 min

    Un tres bon jeux même si les tours peuvent être un peu long .. Les parties ne se ressemblent jamais grâce au système de tuiles amovibles. Des extensions de prévues ? ?

    1. Jihem
      Jihem
      19 septembre 2015 à 4 h 06 min

      Si, si. La premières extension Les Artisans de Naqala est sortie il y a quelques semaines. Elle ajoute une 6ème tribu avec des objets magiques, 2 nouveaux Djinns, et de nouvelles tuiles pour agrandir l’aire de jeu.

  3. cacadenez
    cacadenez
    7 octobre 2015 à 18 h 06 min

    Il donne bien envie ton article ! Alors que je me disais qu’il fallait que j’essaie un peu autre chose après Abyss mais ça semble quand même différent.

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