A Way Out : Le prix de la libertéTest JV

A Way Out : Le prix de la liberté

Depuis le sublime Brothers: A Tale of Two Sons, on attendait impatiemment le retour de Joseph Fares aux commandes d’un nouveau jeu. Cinéaste de formation, Fares a trouvé dans le jeu vidéo un autre moyen de raconter ses histoires en ajoutant les codes ludiques à tous ceux qu’il maîtrise déjà en matière de cadrage et de rythme narratif. Son parcours atypique semble aussi lui inspirer une vision un peu différente de l’industrie. Pour lui, le jeu est un nouvel espace où tout est possible et où il se permet donc d’essayer de nouvelles choses, tant que celles-ci servent le propos et impliquent émotionnellement les joueurs.

Dans Brothers, l’accroche était de livrer un jeu coopératif à jouer en solo. C’est-à-dire que le joueur dirigeait deux personnages en même temps, le long de toute une aventure faites d’entraide et d’interactions entre les protagonistes. Dans A Way Out, l’entraide et les interactions sont toujours de mise, mais à travers cette fois un jeu coopératif plus traditionnel, dans la mesure où le titre doit obligatoirement se jouer à deux, en écran partagé ou en ligne. Autrement dit, si vous êtes seul, vous pouvez passer votre chemin. Il faudra forcément trouver un partenaire pour suivre les péripéties de Léo et Vincent, deux prisonniers qui décident de se faire la malle pour se venger d’un ennemi commun. Inutile d’en dévoiler plus sur le scénario , qui se découvre toujours avec plaisir en dépit de ses innombrables incohérences. Nous y reviendrons.

Dans un sens, A Way Out est un jeu extrêmement classique. Chaque joueur contrôle son prisonnier et suit les missions et les objectifs clairement indiqués par des marqueurs jaunes à l’écran. Parfois, les deux héros sont appelés à se suivre pour réaliser la même chose ; le plus souvent, ils doivent se répartir les tâches pour arriver à un but commun. Par exemple, pendant que l’un distrait un garde, l’autre peut dérober un outil dans l’atelier. Nous sommes d’accord, cela ne va jamais chercher bien loin, mais force est de constater que ça marche. La coopération fonctionne vraiment bien et on se prend très rapidement au jeu, jusqu’à former un lien vraiment fort avec son compagnon d’infortune. Pour arriver à ce résultat, Fares utilise tout un tas d’artifices empruntés au cinéma, capables d’offrir une mise en scène irréprochable. Cela se traduit notamment dans l’utilisation toujours appropriée du split screen. Même en ligne, le découpage de l’écran est utilisé ce qui prouve bien son importance dans la narration. Le choix des cadrages et les mouvements de caméra participent aussi pleinement à l’immersion. On citera par exemple une mémorable course poursuite dans les couloirs d’un bâtiment, filmée en plan séquence où la caméra multiplie les acrobaties pour passer d’un héros à l’autre.

Pour nourrir le lien entre les deux héros, mais également celui qui unit le joueur à son personnage, Fares a également choisi de truffer A Way Out d’innombrables interactions toutes plus futiles les unes que les autres. Et c’est là où le jeu pose quelques problèmes. Autant il est facile d’embrasser le fait que Léo et Vincent n’ont rien d’autre de mieux à faire dans la cour de la prison que de parler aux autres détenus, ou de faire des tractions sur une barre pour passer le temps. Autant, ces à-côtés sont plus difficiles à justifier lorsque les deux sont en cavale et théoriquement pressés par le temps.

Quelques exemples fictifs pour ne rien gâcher et aider à mieux comprendre la déconnexion qui s’opère régulièrement entre le jeu et les joueurs. Imaginez la situation. Recherchés par toutes les forces de police du coin, Vincent et Léo n’ont qu’un créneau assez serré pour rendre visite à un ami gravement blessé et soigné aux urgences de l’hôpital. Que faire ? Les joueurs peuvent évidemment foncer voir l’ami en question… Ou bien flâner devant l’hôpital, parler aux vendeurs de journaux pour demander les nouvelles du jour, sans être inquiétés le moins du monde que leurs deux visages fassent déjà la une des quotidiens. Ils peuvent aussi jouer à Puissance 4 dans le lobby de l’hôpital ou même faire les pitres dans des fauteuils roulants pour savoir qui restera le plus longtemps en équilibre sur deux roues ! Évidemment, aucune de ces interactions n’est obligatoire, mais en tant que joueurs, comment résister à tous ces bouts de gameplay que l’on nous fait sans cesse miroiter devant les yeux ? Et ce n’est pas non plus comme s’il s’agissait simplement de petites animations ici ou là. Non, non. La plupart du temps, un compteur se met en place pour enregistrer le score obtenu aux fléchettes ou à la borne d’arcade du coin, ou encore le nombre de pompes effectuées sur le banc de muscu. Autant de distractions censées renforcer le sentiment de liberté et donc l’immersion, mais qui finalement nuisent à cette dernière. En clair, au lieu de nous aider à nous projeter dans l’état d’esprit des héros, le jeu nous encourage constamment à garder notre vision détachée d’un joueur qui, armé de sa manette ou de son clavier-souris, chasse la moindre interaction dans le décor pour tout voir et tout faire.

Ces distractions ne sont pas les seules fautives d’une immersion vacillante. Régulièrement, le scénario nous jette à la figure des situations difficiles à avaler et totalement incohérentes avec ce qui devrait réellement se passer lorsque deux évadés sont activement recherchés par la police. Vous me direz qu’il y a toujours une certaine part d’improbabilité dans la plupart des scénarios de jeux (ou de films, d’ailleurs). C’est juste. Mais puisque A Way Out fait tout pour que l’on se sente investi dans l’aventure, qu’on la vive à travers les yeux des deux héros, avec même régulièrement des décisions à prendre, c’est assez étrange d’être si violemment tiré de l’intrigue par des situations ubuesques. Juste un exemple, spoil mineur, une course poursuite sous les balles de la police qui se termine par une fuite en barque… à la rame… sur une rivière stagnante. Du coup, on rit beaucoup dans A Way Out. Le ridicule de certaines situations et des multiples interactions souvent inattendues provoque l’hilarité, comme cette fois où Vincent et Léo tapent un bœuf piano-banjo alors qu’ils n’ont que quelques minutes pour fouiller une maison et en sortir avant que les propriétaires ne rappliquent, ou qu’ils s’affrontent sur une borne d’arcade au lieu d’aider à la préparation d’une mission comme on le leur a demandé.

En fait, le jeu est ainsi pensé pour offrir ce genre de parenthèses aux joueurs, quitte à briser l’immersion au lieu de la renforcer. C’est juste dommage que ces moments de liberté fonctionnent le mieux lorsque les deux sont peinards en prison, à tuer le temps comme ils le peuvent et non en cavale avec la police aux fesses. Finalement, il faut juste accepter les écarts réguliers de A Way Out, qui donnent un ton très particulier à l’aventure, plus proche d’une comédie à la O’ Brother, que de La Grande Évasion par exemple. Ce qui ne lui empêche pas d’aborder des thèmes assez forts et de laisser un peu de place à des séquences réellement touchantes.

L'avis d'extralife
  1. Développeur : Hazelight
  2. Éditeur : Electronic Arts
  3. Genre : Aventure
  4. Date de sortie : 23 mars 2018
  5. Support : PC, PS4, Xbox One
  6. Site internet : https://www.ea.com/games/a-way-out
  • Suivant l'angle choisi, A Way Out peut être vu comme un enchaînement de maladresses scénaristiques, ou une aventure à vivre à deux. C'est probablement un peu les deux la fois et c'est ce qui rend le jeu attachant. En dépit de tout ce qu'on peut lui reprocher, A Way Out a surtout le grand mérite de proposer une vision bien à lui et de s'y tenir jusqu'à la fin. Le titre est aussi à saluer pour sa réalisation très cinématographique, qui se permet d'ailleurs de jolis clins d'œil à quelques grands films parmi lesquels Old Boy ou Scarface.
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Jihem

La découverte de BurgerTime aux débuts des années 80 aura clairement affecté la vie de ce grand bonhomme. Non seulement, Jihem a développé une passion pour les jeux vidéo, mais il a également choisi de s'installer au pays du hamburger. Sa mère est plutôt heureuse qu'il n'ait pas découvert les jeux avec Boogerman.

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2 commentaires

  1. Lauike
    Lauike
    3 avril 2018 à 14 h 22 min

    Bonjour extra bon test comme toujours juste une petite question pour toi jihem j’ai lu que écran été obligatoirement partager en deux que ce soit en ligne ou hors ligne et j’aimerais savoir si ça t’avait déranger en terme de lisibilité de action et en terme de gameplay ?

  2. Jihem
    Jihem
    4 avril 2018 à 14 h 31 min

    Salut Lauike, le split screen ne m’a absolument pas déranger pour la lisibilité. Pour l’immersion, j’aurai toutefois aimé ne pas systématiquement voir ce que faisait mon compère, mais aucun problème de jouabilité, non.

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