Comme toute activité sociale, le jeu de société est un peu compliqué à pratiquer quand on ne dispose pas de partenaire régulier. Il existe certes d’excellents jeux solo comme Onirim ou Détective Conseil, mais un vrai mordu ne peut pas en rester là. Que lui reste-t-il donc lorsque son club n’est pas ouvert, que ses amis ne sont pas disponibles et que sa famille préfère passer sa soirée devant la TV ? Voilà une problématique à laquelle Grégory Isabelli et Emmanuel Colin tentent de répondre avec Board Game Arena. Cette plate-forme permet de pratiquer en ligne, gratuitement et à toute heure, un nombre conséquent de jeux de société. Lancée en 2011, elle rencontre un succès croissant avec à ce jour pas moins de 550 000 utilisateurs inscrits. Nous nous devions d’analyser les raisons de cet engouement, tout en présentant le site à ceux qui ne le connaîtraient pas encore.
Un concept aussi simple que sophistiqué
Lorsque vous vous rendez sur http://boardgamearena.com, vous êtes d’abord invité à créer un compte et à le relier si vous le souhaitez à vos identifiants sociaux (Facebook, Google+). L’inscription étant gratuite, vous pouvez jouer librement à la quasi-totalité des jeux de la plate-forme. Mais vous avez aussi l’opportunité de devenir membre du club Board Game Arena pour le tarif de 4 euros/mois (réductible à 2 euros/mois en s’engageant pour un an) – un statut qui vous procure plusieurs avantages : la création de parties sur des jeux encore en cours de bêta-test, l’accès à des statistiques supplémentaires (dont le classement ELO de tous les joueurs), ou encore la suppression de l’affichage des bannières de publicité – qui se font toutefois presque aussi rares que sur Extralife, histoire de vous donner une idée !
Traduit dans une trentaine de langues – ce qui lui permet de fédérer des joueurs du monde entier – Board Game Arena adopte une architecture simple couplée à une navigation intuitive. Outre l’accès à l’actualité du site et aux outils communautaires, vous avez la possibilité de créer ou de rejoindre une partie d’un simple clic. Il y a une grande variété de jeux proposés, classés par catégories : des grands classiques (Échecs, Backgammon…), des best-sellers modernes (Dungeon Twister, L’Age de Pierre, Race for the Galaxy…), des jeux familiaux aux règles simples (Coloretto, Takenoko, Colt Express…) ou encore des titres complexes réservés aux joueurs avertis (Puerto Rico, Keyflower, Through the Ages…).
Lorsque vous rejoignez une session de jeu, vous retrouvez les autres participants dans un salon, où vous avez l’occasion de discuter et de consulter vos profils respectifs en attendant d’être au complet. Il n’est pas possible de se mesurer à une quelconque IA, mais le créateur de la partie peut fixer le nombre de joueurs à sa convenance. Autre option très appréciable : le choix entre le mode temps réel et le mode tour par tour. Le premier permet de jouer en direct, avec un temps imparti à chaque joueur pour négocier son coup. Le mode tour par tour fonctionne quant à lui de façon asynchrone : chaque participant effectue son tour de jeu dès qu’il en a l’occasion, et peut ensuite vaquer à ses occupations ; il sera prévenu dès que ses adversaires auront joué leur propre coup. Les parties peuvent alors s’étaler sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines, et vous pouvez si vous le souhaitez en mener plusieurs parallèlement.
La plate-forme gérant automatiquement les règles de chaque jeu (la triche y est impossible), vous n’aurez à vous préoccuper que de votre stratégie. Quel que soit le mode choisi, vous retrouverez invariablement, sur la partie gauche et centrale de l’écran, le plateau de jeu et son matériel, et sur la partie droite de l’écran, les informations utiles sur le déroulement de la partie (ressources, cartes en main, score actuel, etc.). En fonction des jeux, le plateau sera plus ou moins schématique – certains sont joliment détaillés. L’interface dite « responsive » s’adapte à la résolution de votre écran, mais une fonction permet de zoomer et de faire scroller le plateau pour davantage de lisibilité. Optimale sur PC, la jouabilité l’est forcément un peu moins sur tablette où la précision fait défaut (placer un canal d’irrigation dans Takenoko relève parfois de la gageure !). Une application dédiée n’est pas à l’ordre du jour, les responsables du site ne souhaitant pas se confronter au marché déjà existant des adaptations de jeux de société sur supports mobiles.
Un intérêt réel pour le joueur régulier
Découvrir et tester de nouveaux jeux
Board Game Arena permet d’essayer une centaine de jeux de société, que ce soit pour élargir sa culture ludique ou dans l’optique d’un achat potentiel. Bien que certains aspects soient évidemment impossibles à retranscrire et donc à évaluer (qualité du matériel, ambiance autour de la table…), la prise en main d’une adaptation disponible permet au moins de répondre à une question essentielle : est-ce que la mécanique me plaît ? A l’appui, le site propose une version écrite et condensée des règles de tous les jeux en base, ainsi que des didacticiels et des exemples de parties en vidéo. Et si cela ne suffisait pas, n’oubliez pas les D’Entrée de Jeu de l’ami Jihem !
Pratiquer plus souvent ses jeux favoris
Quand on est mordu de jeux de société, et de certains titres en particulier, on a du mal à se satisfaire d’une partie de temps en temps. Board Game Arena vous permet de pratiquer vos jeux favoris quotidiennement et autant que vous le souhaitez. Dans cette optique, la plate-forme vous engage à lister vos jeux préférés, de façon à pouvoir visualiser d’emblée, à chaque connexion, les parties disponibles parmi les titres de votre sélection. Certains jeux sont si plébiscités qu’il s’en crée parfois plusieurs parties à la minute aux heures d’affluence. Vous aurez, a contrario, davantage de difficultés à trouver des partenaires sur les jeux les moins populaires, ceux-là mêmes qui, à l’instar de leur version physique, ont un peu de mal à « sortir du placard » !
Trouver des joueurs ayant les mêmes attentes
Il y a ces jeux qu’on aime beaucoup, mais qu’on n’ose pas forcément sortir et pratiquer avec son cercle de joueurs tant ils sont complexes et/ou génèrent des parties interminables (qui a dit « Through the Ages » ?). Board Game Arena permet de s’adonner à ces titres élitistes en compagnie de partenaires de jeu qui recherchent la même chose que vous. Vous bénéficiez également de la possibilité d’évaluer, système de réputation à l’appui, ceux avec qui vous avez pris du plaisir à jouer, de leur proposer une revanche immédiate ou de les inclure dans votre liste d’amis pour rester informé de leur activité. En cela, la plate-forme fait office de véritable réseau socioludique.
Viser la compétition
Votre revendeur local ou votre asso organise un tournoi ? En favorisant la pratique intensive des jeux disponibles, Board Game Arena vous donne l’occasion de vous y préparer et de vous perfectionner (ne serait-ce qu’en analysant le replay de vos parties !). Le site, qui permet lui-même l’organisation de compétitions, propose un classement ELO pour chaque jeu, qui évolue en fonction de vos performances. Votre niveau de joueur est également matérialisé par des « points de prestige » que vous obtenez en cumulant les parties – et notamment les victoires. Il a son importance, dans la mesure où il est possible de restreindre les parties et les tournois créés aux joueurs d’un niveau donné. Signalons enfin que si la plate-forme tolère la connexion de plusieurs comptes à partir de la même adresse IP (vous permettant en cela de jouer sur votre PC pendant que votre compagne le fait depuis sa tablette), elle le signale automatiquement, le cas échéant, aux autres participants, afin de les prévenir d’éventuelles possibilités d’entente.
Une communauté devant et derrière la scène
Board Game Arena fourmille de fonctionnalités qui contribuent à rendre l’expérience presque aussi sociale qu’autour de la table : chat durant les sessions de jeu (à moins que vous ne préfériez communiquer via micro ou webcam), système de messagerie privée, forums de discussion… Ces derniers sont le lieu idéal pour commenter vos parties, discuter des adaptations disponibles, signaler d’éventuels bugs ou encore voter pour les jeux que vous souhaiteriez voir sur le site. Ce qui rend la communauté de Board Game Arena si solide et si active, c’est qu’elle est invitée à s’impliquer étroitement dans le développement du site, compensation à l’appui, que ce soit en contribuant à sa traduction (jeux, règles, interface) ou en participant elle-même au développement des adaptations proposées !
En effet, si certaines adaptations sont prises en charge par les éditeurs eux-mêmes, il faut savoir que la plupart ont été conçues par des utilisateurs volontaires. Bien entendu, une adaptation fidèle et convaincante n’est pas à la portée de tout le monde : outre une bonne connaissance du jeu en question, il faut posséder de solides notions de programmation. Les développeurs peuvent aussi s’appuyer sur une structure qui leur est dédiée, BGA Studio. Cet outil leur permet de créer de nouveaux projets d’adaptation à partir des licences disponibles, autorisées par les éditeurs. Les responsables de Board Game Arena doivent en effet obtenir l’aval des éditeurs avant d’ajouter un jeu à la liste des licences disponibles. Nous avons d’ailleurs souhaité en savoir plus sur la teneur des relations entre les responsables du site site et les éditeurs. Nous avons pour cela interrogé Grégory Isabelli, l’un des deux co-fondateurs de Board Game Arena, qui œuvre à plein temps à son développement.
3 questions à Grégory Isabelli, co-fondateur de Board Game Arena
Comment les éditeurs de jeux de société ont-ils accueilli l’idée de Board Game Arena ? Avez-vous senti des réticences, et le cas échéant, de quelle manière êtes-vous parvenu à les lever ?
Il y a eu autant de réactions différentes que d’éditeurs, mais d’une manière générale l’accueil qui est fait à Board Game Arena est très bon.
D’abord parce que le numérique et Internet ne pourront jamais être que des additifs au jeu “physique”, contrairement à ce qui s’est passé par exemple pour la musique ou le cinéma pour lesquels Internet a tout changé. Donc les éditeurs ne se sentent pas menacés – à raison – par ce que nous proposons.
Ensuite car nous vivons un “âge d’or” du jeu de société avec une multiplication des sorties qui fait qu’il est très difficile pour un jeu d’acquérir de la visibilité. Or justement nous proposons une visibilité exceptionnelle des jeux en direction de nos 550.000 inscrits, avec une approche originale qui permet aux jeux adaptés de se distinguer des autres.
Il y a donc peu de réticences de la part des éditeurs, d’autant qu’au fur et à mesure des années la plate-forme gagne en fonctionnalités et en maturité.
Comment vous y prenez-vous concrètement pour convaincre un éditeur de l’intérêt d’autoriser une adaptation d’un de ses jeux ? Les jeux très populaires, fortement demandés par la communauté, sont-ils les plus difficiles à obtenir ?
Là encore il n’y a pas de règle générale. Ce que nous ressentons surtout c’est que les éditeurs ne savent pas sur quel pied danser en ce qui concerne le numérique : ils voient certains acteurs leur annoncer que le numérique va doubler leurs revenus, mais les exemples de vraies réussites dans le domaine se comptent encore sur les doigts d’une main.
C’est tout à fait normal car d’une part les modèles du jeu de société numérique sont encore émergents, et d’autres part les éditeurs ont du mal à évaluer le potentiel des différentes plates-formes numériques qui ne se valent pas — et font parfois des choix qui les déçoivent et peuvent donner l’impression qu’il n’y a pas de débouchés pour ces adaptations.
Dans cet environnement nous avons toujours eu un discours de vérité, en expliquant aux éditeurs que l’apport essentiel de la quasi totalité des adaptations numériques est de la visibilité et de la prolongation de l’expérience de jeu en ligne : un joueur qui rentre dans une boutique et qui a le choix entre une centaine de jeux achètera le jeu auquel il a joué sur BGA, car il en connait les règles et qu’il a pris du plaisir avec. Des mois plus tard, alors qu’il aura joué quelques fois à la version physique, il prendra du plaisir en allant affronter des joueurs du monde entier — et avec un niveau très relevé — en ligne sur Board Game Arena. Au final, l’expérience ludique et la valeur du jeu — qu’il soit physique ou numérique — est décuplé.
Évidemment en règle générale, plus les jeux sont populaires plus les éditeurs sont exigeants, ce qui est tout à fait naturel. Vis à vis de ça nous avons une attitude très simple : nous nous adaptons à chaque éditeur, nous ne promettons pas la Lune, et nous livrons à l’heure. Les éditeurs le savent et c’est pour cela qu’ils nous font confiance.
Le succès croissant de Board Game Arena pourrait-il vous permettre, à l’avenir, de collaborer de façon encore plus étroite avec les auteurs et les éditeurs de jeux de société ?
Collaborer avec les auteurs et les éditeurs est notre principale source de motivation pour Board Game Arena, donc c’est évidemment notre souhait !
Cela étant dit, ce que nous souhaitons avant tout c’est que les auteurs et les éditeurs se concentrent sur ce qui savent faire le mieux : nous concocter des pépites ludiques. C’est la raison pour laquelle nous faisons en sorte que le développement des adaptations sur BGA prenne le minimum de temps aux éditeurs — 80% des adaptations sont validées dès le premier test avec l’éditeur — et c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles les éditeurs nous confient leurs jeux.
On sent bien dans le discours de Grégory Isabelli que Board Game Arena n’a aucunement la prétention de se subsister à une pratique « physique » du jeu de société, mais souhaite plutôt s’inscrire en complémentarité avec elle. Cette raison, entre autres, explique le succès de la plate-forme, qui répond à une vraie demande suscitée par la popularité croissante des jeux modernes. Si le concept reste évidemment perfectible (l’auteur de ces lignes regrette notamment, à titre personnel, la faible présence des jeux coopératifs et l’absence d’application dédiée aux supports mobiles), il s’apparente déjà à une jolie réussite, que ce soit en termes d’ergonomie et de fonctionnalités, de catalogue disponible ou d’émulation communautaire. Parmi les projets à venir, on retiendra la volonté de concevoir rapidement des adaptations de jeux en cours de crowdfunding, de façon à permettre aux utilisateurs de tester leurs mécaniques et de mesurer concrètement leur potentiel avant même de passer à la caisse. Une excellente idée de plus à mettre au crédit de Board Game Arena.
5 commentaires
Supsup
27 mai 2016 à 23 h 35 minGreat, merci pour l’infos ! Il manque juste “La Vallée des Mammouths” et “Stratego” et j’y passerai mes soirées.
alioth
29 mai 2016 à 3 h 49 minMerci pour la découverte !! Je vais découvrir ça ces prochains jours… :)
Esska
29 mai 2016 à 4 h 12 minWaouw, super, je découvre grâce à vous cette alternative pour les JDS !
Ce genre d’articles changent des torchons disponible sur certains autres sites…
Galiat
1 juin 2016 à 0 h 41 minSuper site en effet ! Par contre, j’ai pas trouvé l’option pour jouer sur un seul et même PC à deux joueurs !
cacadenez
20 juin 2016 à 14 h 43 minOui alors bon, responsive si on veut hein :) Il y a des jeux (un peu tous en fait) injouables ou presque sur tablette et pire encore smartphone, ce qui est fort dommage car en partie tour par tour, on est amené à jouer dans le train, en marchant, etc. Les grosses boulettes sur Race for the Galaxy, c’est rageant :)
J’avais fait des suggestions légères pour que ce soit un peu mieux (notamment arrêter d’utiliser uniquement le :hover puisque ce n’est pas possible sur interface tactile) mais je ne crois pas qu’ils en aient tenu compte (je ne vais plus sur BGA depuis… 200 jours !)