Vincent Dutrait : « À défaut d’être le meilleur, rends-toi indispensable. »Coulisses

Vincent Dutrait : « À défaut d’être le meilleur, rends-toi indispensable. »

Artiste extrêmement prolifique, Vincent Dutrait a su imposer son coup de crayon et marquer le jeu de société de son style inimitable. Avec toujours des tonnes de projets en cours, l’illustrateur a tout de même trouver le temps de répondre à nos questions pour partager sa vision du dessin, des couleurs, et de leur importance dans l’élaboration d’un jeu.

 


Vincent, si nous étions là pour parler de ton actualité, nous y serions encore jusqu’à demain. Où trouves-tu toute cette énergie et cette inspiration pour mener de front je ne sais combien de projets ?

Je mène toujours plusieurs projets simultanément car mine de rien, même en étant Vincent Dutrait, j’ai besoin d’un roulement sur les projets pour gagner ma vie. La longueur des projets varient, il y en a pour lesquels c’est du court, moyen ou long terme, donc j’essaie d’enchaîner ceux qui ne se marchent pas trop dessus. Il se trouve que j’ai un bon environnement familial, assez tolérant, qui me laisse travailler le weekend et le soir quand il y a en a besoin. Ça aide énormément ! Une épouse impeccable qui a bien compris que tout cela participait à développer mon travail et ma carrière.

Je suis quand même arrivé à une forme de saturation il y a quelques temps. Cela faisait quand même beaucoup et je suis plus dans une phase où je lève un peu le pied. J’arrive à un point où je peux faire ce que je veux. Quand on me propose des jeux, je peux refuser, je peux choisir et donc me concentrer uniquement sur ce que j’ai envie de faire.

Justement, comment sélectionnes-tu les jeux sur lesquels tu veux travailler ?

La première chose est de pouvoir absolument y jouer. Je n’illustrerai pas quelque chose auquel je n’ai pas joué et auquel je n’ai pas eu plaisir à jouer. Donc je demande aux éditeurs soit de m’envoyer les fichiers, et alors je me fabrique le prototype moi-même, soit de m’envoyer le proto et j’y joue directement. À ce moment-là, on discute pour voir ce que je peux apporter au projet.

Il y a des projets que j’ai refusés et qui étaient intéressants, mais où il y avait une erreur de casting. Je ne pensais pas être la bonne personne pour faire ça. Je pouvais les faire, pourquoi pas ? Parce que je ne me m’impose pas vraiment de limite et me disant que je ne ferai pas ceci ou cela, mais il y a un moment où je me dis qu’il y a des choses qui ne sont pas pour moi. Il vaut mieux demander à untel qui est bien plus fort que moi là dedans. Il y a aussi des jeux où des choses ne me plaisent pas trop et que je n’ai donc pas envie de faire.

A contrario, il m’est souvent arrivé de tomber sur des éditeurs qui me contactent un peu comme ça en se disant qu’ils aimeraient bien avoir Dutrait sur leur prochain jeu. C’est le cas d’un petit éditeur américain qui m’a contacté récemment. Alors nous avons discuté sur Skype, on commence à parler du jeu et puis il me demande si ça m’intéresse. Je lui réponds que oui, je veux bien le faire. Il y a alors eu un grand blanc, j’étais un peu inquiet. Et puis il me dit qu’il avait tout préparé pour que je dise non, mais qu’il n’avait jamais pensé que je dirai oui ! Donc il a fallu continuer à discuter, parce qu’évidemment en terme de finances, c’était peut-être un peu lourd pour lui, mais je l’ai rassuré. Habituellement, un jeu comme celui-ci, je l’aurai fait en trois mois, je lui ai simplement demandé si je pouvais le faire en six mois, ce qui me permet de faire autre chose en même temps. Je ne vais pas que vers les gros éditeurs, que vers les gros projets. Je vais surtout vers ce que j’ai envie.

Que trouves-tu dans l’illustration de jeux que tu ne trouverais pas ailleurs dans un autre format tels que la bande dessinée par exemple ?

Avant de faire du jeu, et puis un peu en parallèle, j’ai fait beaucoup d’illustrations jeunesse. J’ai fait du jeu de rôle aussi. Par exemple, sur l’illustration jeunesse, même si sur le marché du livre, il y a des milliers de livres, des milliers de formats différents, on reste mine de rien toujours un peu dans du carré et du rectangle. Et puis on est toujours sur du papier. J’ai participé à quelques livres pop-up à un moment, des livres animés. Mais c’est pareil. On reste tout le temps sur du papier.

Dans le jeu, finalement, à l’échelle d’un seul jeu, on peut se retrouver à travailler sur des figurines en plastique, à travailler sur des tokens en carton, sur des cartes en papier, sur une boîte, sur du volume… ce qui permet d’avoir une variété de supports et de formats qui est très enrichissante et qui peut permettre de s’exprimer sur plein de supports différents. Je trouve ça passionnant.

C’est une sacrée gymnastique aussi parce qu’il faut savoir s’adapter. Moi, comme j’aime bien m’impliquer dans les projets, je vais jusqu’à contacter l’imprimeur pour voir comment ce sera fait, pour pouvoir m’adapter et faire en sorte que ce soit imprimé le mieux possible par la suite.

Tu as un style très marqué, en tout cas facilement identifiable. Est-ce que tu prends cela comme un compliment ?

Oui, oui, parce que c’est quelque chose que je cherche et que je développe. J’ai étudié avec des grands maîtres de l’illustration qui me disaient : « À défaut d’être le meilleur, rends-toi indispensable. » Ils me disaient que ça ne sert à rien d’être le meilleur si tu n’as pas de boulot. Par contre, si tu crées quelque chose où tu es, entre guillemets, le seul à le faire, et à le faire bien, tu auras du boulot toute ta vie. Et on viendra te chercher pour ton univers, pour ce que tu proposes et on ne viendra pas te chercher que pour une technique, ou des visuels, ou des couleurs. On viendra te chercher pour quelque chose de plus complet.

Et qu’est-ce que les éditeurs viennent chercher lorsqu’ils te contactent ?

Là, on voit justement l’erreur de casting ou pas. Un éditeur qui me contacterait alors que je décèle qu’il vient uniquement me chercher pour ma technique parce qu’il a bien aimé Medici et qu’il a envie d’avoir le même genre de visuel sur son jeu… Est-ce que c’est très intéressant ? Est-ce que j’ai envie de “refaire la même chose” une nouvelle fois ? Ce n’est pas sûr. Par contre, un éditeur qui vient me chercher en me demandant, et c’est ce qui m’arrive aujourd’hui, si ça me dirait de faire “autre chose”.

Cela ne veut pas dire faire des trucs complètement enfantins, ou du collage, ou je ne sais pas quoi, ce n’est pas forcément technique d’ailleurs, mais si on me propose d’aborder des sujets que je n’ai jamais abordés, dans lesquels on ne m’a jamais vu par exemple, et qu’il y a un jeu qui pourrait correspondre. Ça j’adore ! Parce que ça force à me remettre en question, à développer de nouvelles choses, et ça me permet d’éviter une routine. Même s’il y a toujours un effet domino-boule de neige.

Quand j’ai fait le jeu New York 1901, il y a pas mal d’éditeurs américains qui m’ont contacté pour Tramway Machin Truc… c’est normal. Il y a des fois des choses très intéressantes. Et puis il y a des choses dont j’ai moins envie.

Et je me méfie pour l’avenir étant donné que dans le jeu de société, on n’a aucune visibilité sur l’avenir, on ne sait pas du tout où on va, contrairement à d’autres secteurs où on arrive à déceler parce qu’on a plus de recul. Je préfère avoir plusieurs cordes à mon arc et ne pas m’enfermer dans un seul style, un seul univers. J’en viens même à discuter avec les éditeurs pour leur demander ce qu’ils veulent que je fasse pour eux : uniquement les illustrations ? Les illustrations et le graphic design ? Ou tout ? Ce qui est encore différent.

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Jihem

La découverte de BurgerTime aux débuts des années 80 aura clairement affecté la vie de ce grand bonhomme. Non seulement, Jihem a développé une passion pour les jeux vidéo, mais il a également choisi de s'installer au pays du hamburger. Sa mère est plutôt heureuse qu'il n'ait pas découvert les jeux avec Boogerman.

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