Être un joueur : le rapport aux “autres”Opinion

Être un joueur : le rapport aux “autres”

Paranoïaque, persécuté, victimisé, le joueur devrait-il envisager de suivre une thérapie et cherche-t-il le confort rassurant d’une communauté illusoire ?

Laissez-moi vous raconter une petite tranche de vie afin d’introduire le propos, vous allez voir, c’est trépidant. Pris d’une nouvelle lubie, votre quidam favori s’est récemment mis en tête d’éplucher la toile au sujet des claviers mécaniques, engins mi-rétro mi-modernes aussi bruyants que coûteux mais que l’on dit parfaitement indispensables à tout bon gamer – et non je ne viens pas de les découvrir, vous me prenez pour qui ? Au cours de ce long périple numérique allant du site de test pro au petit blog technophile, il me fut une fois de plus donné de lire des commentaires ô combien déroutants, du genre : « ne pas connaître la différence entre les switches Cherry Brown et Cherry Blue et se prétendre gamer ? Laisse-moi rire ». Oh, comme j’ai ri moi aussi en lisant ces discussions à l’idée d’un fumiste ignorant si le seuil d’activation d’une touche nécessite une pression de 45 ou de 55 grammes. Forte fût l’envie de répondre à certains de ces experts qu’en pas loin de trois décennies de jeu dont 13 années d’activité professionnelle, j’ai passé un temps conséquent à tapoter de la membrane de prolétaire. Alors flûte, suis-je un vrai gamer ?

img_8624_1Contrairement à ce que mon avant-propos pourrait vous laisser croire, il n’est pas question de se lancer dans une dissertation sur l’intérêt du matériel gamer, et encore moins de philosopher sur le fait qu’un clavier à 160 euros ne fera pas plus de vous un joueur exceptionnel qu’une paire de baskets hors de prix ne vous aidera à sauter plus haut si vous n’avez pas de détente. Simplement, ce bref coup d’œil à des considérations passablement élitistes, minoritaires mais des plus visibles, m’a rappelé par un tortueux cheminement de pensée de tristes épisodes de l’année 2014 durant lesquels les questions de la définition d’un gamer, de la communauté des gamers et de leurs rapports aux “autres” se sont cruellement imposées à moi. Pourquoi revenir maintenant sur ces événements ? Parce que rien ne dit qu’ils ne vont pas se reproduire à la première occasion, parce que je me cherchais un nouveau clavier et parce que je vous en pose des questions moi ?

De l’éthique du Gamergate aux pensées de Laure Manaudou

GamerGate

Quelque part entre l’été et la rentrée 2014, une petite suite de psychodrames a secoué le monde du jeu vidéo, qui s’y connaît en la matière. Chacun a encore en tête l’infâme Gamergate, gloubiboulga de considérations pseudo-éthiques venues se greffer sur un fond nauséabond pour tenter de le masquer comme du déo sur une aisselle mal lavée, averse odieuse de haine, de bêtise et de complotisme qui a au moins eu le mérite de soulever accidentellement quelques questionnements pertinents, ce qu’un enfant de 3 ans est également tout à fait capable de faire. Suivant la loi des séries, vint le soulèvement indigné face aux propos d’Antoine de Caunes sur Canal + ou l’enfilade de lieux communs imbéciles de Nagui et Laure Manaudou sur France Inter. Épisode que l’on pourrait laisser passer s’il n’avait duré 6 bonnes minutes au lieu d’être une simple vanne plus ou moins foireuse.

Pourtant, cette brève séquence reste plus choquante parce qu’elle constitue un dérapage d’animation que par sa véritable teneur. Mais restons-en à son aspect jugé insultant pour mieux rappeler que le matin même de ce micro-drame, sur la même station, on pouvait entendre la chanteuse Juliette faire une magnifique glorification du jeu vidéo en pleine Matinale. De cette journée, une seule chose fut pourtant retenue : Nagui, contre qui je n’ai aucun grief particulier finalement, et Laure Manaudou, dont les opinions m’importent autant que l’impact gustatif de l’épeautre comparativement au boulgour, ont balancé un tas d’âneries sur le jeu vidéo.

Oui c’est vrai c’est énervant les gens qui parlent de ce dont ils ignorent tout, de leur propre aveu qui plus est, mais dans cette discipline, on voit des choses bien pires et qui méritent sans doute plus de vindicte populaire. En revanche, qu’une figure de la culture française, car qu’on l’aime ou pas, c’est un peu ce qu’elle est, balance du Fus Ro Dah en direct sur l’une des premières matinales de France, radio considérée comme intello, ça… et bien ça tout le monde s’en fout. On a préféré retenir, et par “on” j’entends une minorité bruyante de joueurs, que Laure Manaudou ne réfléchit pas beaucoup avant de parler. Eut-elle lancé une énormité sur la dette extérieure qu’on aurait tout juste rigolé une petite heure. Mais elle a eu l’outrecuidance de médire du jeu vidéo et ça, c’est in-ter-dit. Le jeu vidéo, tu l’aimes ou tu fermes ta gueule.

decaunesLes réactions ne se sont pas faites attendre, dans ce cas, dans celui d’Antoine de Caunes ou de quiconque a l’audace de donner un avis négatif ou de sortir une vanne sur le sujet épineux du jeu vidéo. Seulement voilà, le problème ne concerne pas que les propos idiots mais également tout ce qui peut être perçu comme une attaque. Un simple avis négatif, même bien étayé, est également rejeté avec violence. On peut ajouter à la liste le cas des journalistes dits “généralistes” s’efforçant d’aborder la question et qui paient le prix fort la moindre approximation dans le traitement d’un domaine qui fait pourtant tout pour être hermétique. Un torrent de haine et d’insultes inonde les réseaux sociaux. Amenant l’auteur de la bévue à présenter des excuses ou à lancer une opération de damage control. Des réactions souvent démesurées que l’on n’observe pas lorsqu’une personnalité publique se permet de dire qu’elle trouve que le foot est un sport débile. Seulement, on ne touche pas aux joueurs, on a le droit de rire de tout, de tout critiquer sauf le jeu vidéo. Est-ce que ces propos étaient très éclairés ? Non, certainement pas. Est-ce une raison pour faire preuve d’une telle indignation ? Non. L’indignation, mieux vaut la garder pour des choses un peu plus sérieuses. D’une part, ça n’est pas d’une maturité folle, d’autre part ça n’en vaut pas la peine. Au final, on ne sait plus vraiment qui blâmer, celui qui a commis une maladresse ou ceux qui le menacent pratiquement du bûcher.

Touche pas à mon joueur

On en vient à cet étrange constat : certains joueurs semblent souffrir d’un profond syndrome de persécution et d’un véritable complexe d’infériorité qui les poussent à rester sur la défensive et à constamment chercher à se justifier, quitte à farouchement défendre une identité qui s’ancre dans l’opposition aux autres, ceux qui ne peuvent pas les comprendre et les menacent. Ce qui est presque la définition de la lutte des classes selon un vieux barbu venu d’Allemagne… presque, faut pas pousser non plus, la classe ouvrirère, elle existait, elle. Une attitude qui, si on y pense, tient pratiquement d’une sorte d’héritage des générations précédentes qui ont en effet durant de longues années fait face à une opinion publique complètement ignorante de la pratique, voire hostile et recourant systématiquement aux clichés, faute d’autres références, pour catégoriser les joueurs. Un syndrome que les plus anciens connaissent sous le nom de “lâche un peu ta Nintendo et va jouer dehors”. Et peu importe que vous ayez déjà joué dehors pendant la moitié de la journée avec tout ce que cela comprend de croûtes sur les genoux.

enemyIl existe ainsi une défiance des joueurs vis à vis des médias généralistes, des non-joueurs d’une manière générale, ennemis héréditaires qui ne peuvent que dire des bêtises ou avoir la volonté de nuire. Une réactivité épidermique qui touche parfois à l’absurde. Exemple : William Audureau du Monde s’était quelque peu fait malmener suite à la publication d’un article dont le sujet m’échappe (sans doute celui-ci : Non, les jeux vidéo ne forment pas des djihadistes, mais…). Les quelques attaques étaient classiques, celles adressées au généraliste qui ne sait pas de quoi il parle et pense que les jeux vidéo c’est le Mal. Ce que beaucoup ignoraient, c’est que William Audureau a fait son chemin, entre autre, dans la presse spécialisée et a signé une biographie de Shigeru Miyamoto. Pas vraiment le profil du journaleux qui veut se faire mousser en parlant d’un sujet qui fait du buzz.

This isn’t 1992 anymore

mortal_kombat

Si on se pose quelques minutes pour regarder les choses, en 2015, les grands médias n’ont jamais été aussi bienveillants envers le jeu vidéo. Les ondes de Radio France en traitent régulièrement, LeMonde.fr leur réserve une place quotidienne via la rubrique Pixels, on voit des documentaires sur Arte et j’ai moi-même pu brièvement animer une petite colonne modeste dans Direct Matin pour laquelle on me laissait toute liberté dans le choix des sujets avec option “te sens pas obligé de parler de CoD ou de Halo”. Plus modestement, il se fait une place dans les journaux, ce n’est pas toujours très adroit ou inspiré, mais au moins, ses seules apparitions ne sont plus liées uniquement à un tireur fou chez qui on a découvert une PlayStation.

Autant d’avancées difficilement imaginables il y a quelques années, qui vont de pair avec la démocratisation du jeu. À croire que les joueurs sont atteints d’une surdité sélective qui les empêche d’entendre le bon mais certainement pas de capter au radar le moindre avis défavorable. Comme une attitude héritée des plus vieux, ceux à qui on prédisait perte de la vue, épilepsie, rachitisme et sociopathie. Il est au passage notable que cette sélectivité se trouve inversée lorsqu’il s’agit d’une étude scientifique qui, le plus souvent, démontre que les jeux vidéo ne fabriquent pas des machines à tuer. On se gausse, on pavane, on la colle sous le nez de papy mais on ignore royalement qu’il n’est pas rare, si ce n’est fréquent, que l’étude signale aussi que chez certains sujets, on observe de fortes hausses de l’agressivité durant les sessions de jeu.

jeu-video-est-il-drogueEntendons-nous bien, on lit, entend et voit encore un paquet de choses douteuses, mais le jeu vidéo prend sa place dans l’espace médiatique et sort du seul carcan du sujet puéril traité avec mépris qui lui a longtemps été réservé. Les grandes rédactions changent, les vieux tauliers cèdent du terrain à des journalistes qui ont connu le jeu vidéo et réduisent le grand écart qui existe entre la réalité des pratiques et leur représentation. Sans même parler du fait qu’il devient plus rentable de s’adresser à ses pratiquants qu’à ceux qui en ont peur. Le jeu est pratiqué par une population de plus en plus importante, de plus en plus de “non-joueurs” connaissent des joueurs et l’image du geek dépourvu de vie sociale et abruti de panpan boum boum est sur le déclin, toujours présente, mais sur le déclin. Pour autant il y aura toujours quelqu’un pour s’appuyer sur ce cliché, ainsi que des reportages débiles sur TF1 bourrés de raccourcis, mais aujourd’hui, celui qui raisonne en ces termes, qui se lance dans un argumentaire à une heure de grande écoute pour expliquer que les joueurs sont de pauvres âmes perdues, se couvre tout seul d’une fine pellicule de ridicule à mesure que cette image s’étiole dans l’opinion. Sauf s’il devient la cible de la violence dont certains ont fait preuve, car c’est donner raison aux détracteurs du jeu vidéo et renvoyer une image absolument déplorable et infantile.

brwuSi le Gamergate m’avait déjà empli de honte, en particulier lorsqu’il est entré dans l’espace médiatique, la virulence des réactions à des “outrages” ne m’a pas loupé non plus. Le dernier clou fut enfoncé lorsque les cibles de ces attaques ont présenté leurs excuses… à la “communauté des gamers”. Communauté à laquelle, de fait et sans me demander mon avis, je me suis trouvé associé, à mon plus grand désarroi, me sentant pointé du doigt comme sexiste, puéril, rageur, plein de vindicte et ne souffrant aucune critique. Car ne nous leurrons pas, les jeux vidéo ont des aspects tout à fait critiquables et sujets à débat, discussions et interrogations. Ils ne sont pas au-dessus du cinéma ou de la littérature. Or, si un développeur a le droit de dire que la majorité des jeux AAA sont sexistes, un journaliste ne le peut pas et sera d’emblée accusé de ne pas savoir de quoi il parle. J’étais finalement bien plus embarrassé d’être associé à cette saleté de Gamergate ou à un flot d’insultes, que par le déballage de clichés dont personnellement je ne sens plus le besoin de me défendre depuis longtemps, pas plus que je ne pense qu’un joueur se doive de posséder un clavier mécanique hors de prix.

En somme, les joueurs ont jeté la honte sur eux-mêmes, tout seuls, en faisant une montagne d’une souris. Enfin, les joueurs… Non, une partie des joueurs considérée à tort comme représentative d’un ensemble des plus hétérogènes. Et c’est là la plus grande erreur que commettent encore les médias généralistes, employer l’expression vide de sens de communauté des gamers, expression également revendiquée par les joueurs eux-mêmes. Une communauté floue, qui voudrait réunir des pratiques diverses et met dans le même sac le joueur lambda et l’addict aux MOBA. A-t-on déjà eu l’idée de parler de communauté des gens qui vont au cinéma ?

À suivre : Un écran pour les réunir tous… et après ?

Dinowan

Blogueur beauté, Youtubeur megalol, Selfie addict, InstaFoodie

Soutenez ExtraLife

A voir aussi

32 commentaires

  1. Nono
    Nono
    9 novembre 2015 à 12 h 13 min

    Le cinéma s’est toujours adressé à toutes les tranches d’âge.
    Le jeu vidéo avait pour public cible de départ les ados.
    La communauté de départ était donc différente, et traitée avec un respect différent par les médias généralistes. Je dirai même plus : à l’origine les médias généralistes communiquaient dans les cinémas. On ne mord pas la main qui vous nourrit…

    La reconnaissance évolue à mesure que le jeu vidéo sort de son carcan “trucs pour gamins”.
    Le problème, c’est que d’un côté, la communauté des gamers reste morcelée, et les efforts de vente sont tout de même fortement concentrés sur les ados. D’un autre côté, entre les ados qui manquent de recul, et les anciens exarcerbés par des années de conscendance, on n’a pas forcément les meilleurs représentants qui soit (et malheureusement ce sont les plus bruyants).

  2. Nono
    Nono
    9 novembre 2015 à 12 h 15 min

    Il fallait lire “condescendance”, vous l’aurez compris.

  3. SherlockHolmes
    SherlockHolmes
    11 novembre 2015 à 10 h 27 min

    Encore un article intéressant. C’est typiquement pour ce genre de sujets que je me suis inscris sur ce site. Merci !

  4. Shoyu
    Shoyu
    12 novembre 2015 à 11 h 15 min

    J’ai enfin pris le temps de lire l’article qui n’a heureusement pas été noyé par une montagne de news en une journée !
    Je trouve qu’il ressort bien d’un côté certains de ces “gamers” qui se désignent et s’isolent ainsi afin de gonfler leur égo, et de l’autre les grands médias qui utilisent de façon polémique la communauté de “gamers” dans l’unique but de faire gonfler leur audimat.

  5. Zed
    Zed
    10 décembre 2015 à 20 h 59 min

    Finalement, je pense que je vais camper sur ce site.

  6. Ivegotaname
    Ivegotaname
    12 janvier 2016 à 21 h 05 min

    Heu, vous avez lu l’article?
    Moi aussi, j’ai honte. Je n’aime pas les critiques dénuées de réflexions mais je dois quand même l’avouer, j’ai honte d’être un gamer dans certains cas. Quand je dis que j’en suis un, je dois me justifier pour dire qu’il y a plus d’une culture dans le monde vidéoludique. Et ce à des personnes entièrement censées qui n’ont pas le jugement facile. Le sens de cet article est de dire que le monde du jeux vidéo a mauvaise réputation. Mon opinion après ce gamergate est de dire que à raison. Je veux dire, je le savais avant. Mais là, on ne peut plus le nier.
    Ciao, Bonsoir.

  7. RedFour
    RedFour
    23 mars 2016 à 16 h 36 min

    Merci pour cet article. J’ai découvert votre site hier, parcouru quelques articles et je suis ravi du contenu qui j’y trouve.

    Je rejoins assez ton point de vue, celui d’être assimilé et affilié à une communauté aux critères bien trop larges pour me représenter. Le rejet brut de décoffrage de toute critère du gamer ou du jeu vidéo de manière générale me met très mal à l’aise. On peut critiquer un auteur, un film, un roman, une bande dessinée de manière légitime sans pour autant être initié aux méandres de chaque genre, c’est pareil pour le jeu vidéo.

    J’ai fait l’expérience de pas mal de débats sur le sujet, je sais bien qu’il est parfois difficile de rester de marbre devant certaines expressions de visages du type “tu peux bien raconter ce que tu veux mon gars, moi je sais bien quoi en penser *petit sourire en coin*) mais être mis dans le même sac que tous ces joueurs/joueuses agressifs piqués au plus profond de leur égo n’aide pas à défendre ma cause.

Réponse