Wolfgang Warsch est un auteur qui monte. Non content d’avoir remporté le dernier Spiel expert avec Les Charlatans de Belcastel, l’Autrichien vient d’être distingué à Cannes pour The Mind, élu As d’Or Jeu de l’Année. Rien de plus naturel que de s’intéresser à Fuji, son dernier jeu, dans lequel un groupe de promeneurs partis en excursion doivent échapper à la fureur du célèbre volcan japonais subitement rentré en éruption.
Déjà disponible en allemand et en anglais, Fuji représente la première localisation de Super Meeple, un éditeur traditionnellement spécialisé dans les rééditions (Tikal, Mississipi Queen…), même si sa ligne semble bouger avec le développement de jeux en interne, comme Couleurs de Paris dont nous aurons l’occasion de vous reparler. La première chose que l’on constate en abordant Fuji est que le jeu est beau, et pas qu’un peu. Weberson Santiago nous gratifie de paysages crayonnés baignés d’une luminosité aux tons ocres et verts qui contrastent avec les aplats noirs du premier plan, dans le plus pur style des estampes japonaises. Une vraie réussite, mais on n’en attendait pas moins de l’illustrateur de L’Auberge Sanglante.
Fuji est un jeu coopératif pour deux à quatre joueurs qui évoque un peu le principe de L’Ile Interdite, avec des tuiles de terrain que l’on retourne à mesure qu’elle sont consumées par la coulée de lave. La différence est que l’on progresse ici le long d’un parcours relativement linéaire (diverses configurations possibles) avec un point de départ, le Mont Fuji, et un point d’arrivée : un village que les personnages doivent tous rallier pour remporter la victoire. Les personnages en question possèdent chacun quelques particularités (le nombres de dés et d’objets de départ, ainsi qu’une compétence spécifique) qui ne changent pas la façon d’aborder le jeu, mais dont il faut tenir compte. La mécanique est basée sur le lancer de dés numérotés et colorés, avec un zeste de stop ou encore qui lui confère une grande partie de sa dimension stratégique.
Le principe est simple : les joueurs jettent simultanément les dés derrière leur paravent, puis chacun pose son marqueur d’intention sur la case qu’il pense pouvoir atteindre en fonction du résultat obtenu – dans la limite d’un déplacement maximum de trois cases par tour. Les tuiles de terrain affichent toutes un critère de progression spécifique : chiffre donné, valeur paire ou impaire, couleur (rose, bleue ou jaune) ou bien encore une combinaison de tout ça. Un joueur ne pourra avancer que si la somme des valeurs liées au critère choisi est supérieure à celle de ses voisins de droite et de gauche. Par exemple, si je souhaite progresser sur une case affichant « bleu impair » et « 6 », il faudra que le total des faces bleu impair et des faces 6 (toutes couleurs confondues) de mes dés excède celui des joueurs assis à côté de moi.
Mais tout cela serait bien plus facile sans l’interdiction de communiquer sur les résultats obtenus (un concept à la mode) : après tout, dans la fuite et la panique qu’elle est censée provoquer, difficile de converser avec ses compagnons d’infortune ! Et c’est là que Fuji prend toute sa saveur : comme dans un Gloomhaven, le principe est de communiquer de façon imagée, voire « roleplay », pour faire comprendre aux autres la difficulté qu’ils auront, ou non, à atteindre leur marqueur d’intention. Les discussions prennent alors une tournure sympathique, du style : « Fais attention, je ne pense pas qu’il soit sage de t’attarder sur ce pont de lianes qui me paraît bien instable ; tu devrais avancer plus loin jusqu’au temple en ruines ! ». Jusqu’à la fin des échanges, les joueurs conservent la possibilité de déplacer leur marqueur d’intention avant qu’il ne soit trop tard.
Ce point de non-retour, c’est la phase de relance. Elle permet comme son nom l’indique de relancer un certain nombre de fois tout ou partie de ses dés afin d’affiner son jet initial, histoire d’être certain d’avancer tout en évitant de gêner les autres sur leur propre critère de progression – un bel exercice d’équilibre ! Le petit twist retors, c’est que plus loin on a choisi d’avancer, moins on dispose de relances (aucune pour une progression de trois cases). Il faut toutefois garder à l’esprit qu’une relance n’est pas toujours synonyme de mieux : si elle est censée arranger les autres, un nouveau jet mal maîtrisé peut aussi mettre à mal la stratégie établie ! Une fois les résultats définitifs obtenus, après utilisation d’éventuels objets ou capacités spéciales, les joueurs lèvent leur paravent et les comparent avec ceux de leurs voisins immédiats.
Ceux qui peuvent avancer déplacent alors leur pion jusqu’à leur marqueur d’intention, mais ils subissent néanmoins une perte de santé inversement proportionnelle à l’écart entre leur résultat et le meilleur de leurs deux voisins ; ceux qui n’avancent pas souffrent de la perte maximale, qui est fonction du niveau de difficulté déterminé au début de la partie. Ces blessures sont matérialisées sur une piste dédiée, infligeant des malus une fois certains paliers franchis. Enfin, on retourne toutes les tuiles de terrain adjacentes à la coulée de lave. Si aucun joueur n’a été carbonisé dans l’opération, la partie se poursuit jusqu’à ce que le groupe entier atteigne le village – ce qui ne sera pas chose aisée ! Comme dans un Pandémie, ou un Sub Terra pour citer un titre plus récent, la part non négligeable d’aléatoire offre des parties plus tendues – et souvent plus amusantes – que d’autres.
Fuji reste dans tous les cas un jeu prenant, élégant et bien thématisé, abordable par un public familial tout en requérant beaucoup de doigté. Il faudra parfois se résoudre à sacrifier son mouvement pour le tour afin d’assurer la progression de ceux qui sont à la traîne. Aussi responsabilisant que gratifiant, le jeu de Wolfgang Warsch parvient donc à délivrer un vrai sentiment de coopération sans effet leader, ce qui n’est pas si fréquent dans le genre.
- Auteur : Wolfgang Warsch
- Illustrateur : Weberson Santiago
- Éditeur : Super Meeple
- Genre : Coopération
- Nombre de joueurs : 2 à 4 joueurs
- Âge : À partir de 10 ans
- Durée de la partie : 30 à 60 minutes
- Date de sortie : 2019
- Wolfgand Warsch semble avoir cette capacité à recycler des idées similaires dans des jeux très différents. Ici, la contrainte d'une communication bridée vient agrémenter un principe particulièrement malin consistant à tenter de progresser au maximum sans gêner les autres. Particulièrement calculatoire dans sa propension à invoquer les probabilités à la moindre relance, mais suffisamment thématique pour amener la tension nécessaire à mesure que la coulée de lave se rapproche, Fuji est un jeu beau, fluide et particulièrement chaud dès que l'on hausse un peu le curseur de difficulté. Une nouvelle réussite à mettre au crédit de l'auteur de The Mind.
Réponse
Vous devez être connecté pour publier un commentaire.