Everybody’s Gone to the Rapture : L’exode rural expliqué aux croyantsTest JV

Everybody’s Gone to the Rapture : L’exode rural expliqué aux croyants

Il est bon de savoir prendre des pauses, de ralentir un instant le rythme effréné de nos existences pour souffler un peu. C’est en tous cas le type d’état d’esprit qu’il vaut mieux adopter avant de se lancer dans Everybody’s Gone to the Rapture. Il ne faut pas être pressé par le temps pour apprécier à sa juste valeur le dernier-né du studio The Chinese Room. Vous pouvez même préparer une théière et quelques scones histoire d’être immergé totalement dans le petit coin de campagne anglaise que le jeu vous propose d’explorer. Vous êtes installé confortablement ? Profitez du spectacle, c’est sans doute le dernier auquel vous aurez l’occasion d’assister maintenant que la fin du monde est passée par là.

Les cartes permettent de ne pas perdre le Nord en se promenant.

Les cartes permettent de ne pas perdre le Nord en se promenant.

Lors de sa sortie, de nombreuses critiques ont pointé du doigt la lenteur de Everybody’s Gone to the Rapture et ont identifié cet aspect comme le principal défaut du jeu. Autant évacuer ce point dès le début, vous ne trouverez pas ici d’études comparatives destinées à savoir si l’avatar du joueur avance suffisamment vite ou pas. La déambulation est en effet l’une des marques de fabrique des productions estampillées The Chinese Room, c’est un parti pris que les développeurs assumaient déjà totalement avec Dear Esther. Pas la peine de tergiverser, si à vos yeux le jeu vidéo doit forcément être synonyme d’action, vous pouvez passer votre chemin et vous rabattre sur la première grosse production venue. Par contre, si vous êtes un joueur lassé par les fusillades et les explosions, il se peut que vous accrochiez au calme contemplatif de Everybody’s Gone to the Rapture. D’ailleurs vous ne serez pas le premier à sauter le pas, ce genre de titre a depuis longtemps quitté la scène underground et a acquis une certaine popularité. Preuve en est, le jeu en question n’a plus grand chose d’indépendant puisqu’il a été développé en collaboration avec Santa Monica Studio et qu’il est édité par Sony. Rassurez-vous, ce n’est pas pour autant qu’il ressemble aux blockbusters préformatés.

Une bourgade inhabitée mais pas désincarnée

On découvre le point de vue de la scientifique qui étudie le phénomène à travers ce type de radio.

La scientifique qui étudie le phénomène nous accompagne à travers ces radios.

Le point de départ de Everybody’s Gone to the Rapture est pour le moins atypique : on se retrouve sans préalable catapulté dans un petit village anglais totalement vidé de sa population. Tout est encore en place, comme si le décor pouvait s’éveiller d’un instant à l’autre. En furetant à gauche et à droite, on comprend assez vite que le temps semble s’être arrêté au mois de juin 1984, une étrange épidémie a alors touché les habitants et la région a été placée sous quarantaine pour limiter la contagion. Cette menace diffuse tranche radicalement avec l’atmosphère paisible des lieux : on profite tranquillement d’une belle journée printanière mais on découvre aussi progressivement des traces laissées par les événements dramatiques qui ont secoué la petite bourgade. Au fil de l’exploration, on trouve ainsi des radios contenant des messages enregistrés par une scientifique travaillant à l’observatoire astronomique qui surplombe la vallée, mais on croise surtout d’étranges flux lumineux qui retranscrivent les conversations des habitants du coin un peu avant leur disparition. Ce sont ces scènes de vie qui constituent la colonne vertébrale de la narration éclatée du titre, et si le joueur est libre d’explorer les environnements à sa guise, il peut toujours compter sur des guides étonnants qui prennent la forme de boules lumineuses flottant dans les airs.

On découvre l'intimité des habitants par le biais de ces conversations.

On découvre l’intimité des habitants par le biais de ces conversations.

Ces étranges manifestations tournent souvent autour des principaux points d’intérêt disséminés dans le décor et permettent de retrouver son chemin dans les six chapitres du jeu, chacun de ces derniers étant plus spécifiquement consacré à un habitant en particulier. De cette manière, on finit par rentrer véritablement dans l’intimité des personnes disparues. Pour faire le parallèle avec Dear Esther, The Chinese Room continue de nous faire déambuler dans des lieux désertés, et pourtant il s’agit cette fois-ci d’une expérience bien plus incarnée. Le fait d’assister à ces conversations et de retrouver de manière récurrente les mêmes protagonistes nous projette directement dans leur intimité. Par ce biais, le jeu parvient à brasser des thématiques aussi variées que la vieillesse, le deuil, l’adultère ou la jalousie. On est dans un premier temps un peu désarmé par ce procédé qui nous confronte à ces sentiments bruts, puis on prend le pli et on comprend qu’il ne s’agit pas seulement de nous dépeindre un catalogue de situations individuelles isolées, mais plutôt de nous brosser le fonctionnement d’une communauté dans son ensemble. Si vous vous êtes un peu penché sur la raison d’être du titre du jeu, vous ne serez pas trop étonné d’apprendre que l’un des ciments de cette communauté est la religion.

La spiritualité au détour du chemin

La religion pren une place centrale dans cette petite communauté.

La religion tient une place centrale dans cette petite communauté.

En effet, l’Enlèvement dont il est question (« the Rapture » en anglais) fait directement référence à un point de la doctrine chrétienne : sept ans avant son retour, le Christ est censé rappeler à lui les personnes les plus méritantes. Sans forcément trop dévoiler l’intrigue, on peut considérer qu’il s’agit là de l’une des pistes qui expliquerait la soudaine disparition des habitants de ce petit village anglais, l’autre étant la venue d’une entité extraterrestre pas forcément douée pour établir des relations sociales. Ces deux interprétations sont concurrentes car elles font appel à des présupposés clairement opposés, mais elles ne sont pas forcément antinomiques, dans les deux cas il s’agit de la manifestation concrète d’un contact avec une intelligence venue sur notre monde. Ces deux conceptions du monde sont ici mises en scène de façon assez théâtrale : c’est la religion qui soude la petite communauté rurale, ceux qui adoptent une posture scientifique ou matérialiste sont souvent traités en marginaux. On touche là à l’une des dimensions les plus intéressantes de Everybody’s Gone to the Rapture, le jeu ne se contente pas de nous présenter des tranches de vie au hasard, il nous décrit subtilement les processus par lesquels un tel groupe trouve une cohérence et écarte ceux qui dénotent un peu trop.

Le jeu se pare d'une vraie dimension spirituelle.

Le jeu se pare d’une vraie dimension spirituelle.

Si la dimension sociétale de la religion est clairement mise en avant, la spiritualité n’est pas non plus oubliée. Le titre nous invite tout particulièrement à entamer une réflexion sur la nature du divin et sur la notion de mort. Ici pas de certitudes, juste des pistes offertes au joueur qui tirera ses propres conclusions en fonction de ses croyances. On s’amuse tout de même à constater que les explications les plus scientifiques sont finalement celles qui semblent les plus mystiques au premier abord. Difficile en effet de voir autre chose qu’un amas de symboles cabalistiques lorsque l’on tombe sur un mur recouvert d’équations indéchiffrables. Encore une fois, certains peuvent être agacés par cette manie qu’a le soft de ne pas apporter de réponses bien claires et de jouer plutôt avec notre compréhension parcellaire des événements. Mais à partir du moment où vous considérez cette ouverture comme une invitation à la rêverie, votre expérience de jeu peut radicalement changer.

La place du joueur remise en cause

Ces étranges guides lumineux sont bien pratiques pour le joueur.

Ces étranges guides lumineux sont bien pratiques pour le joueur.

La force d’un titre comme celui-ci, c’est de parvenir à nous questionner profondément sur notre rôle en tant que joueur. Le procédé n’est pas nouveau et The Chinese Room l’avait déjà employé avec Dear Esther : en limitant au maximum les interactions et en plaçant la simple déambulation au centre du gameplay, c’est la posture traditionnelle du joueur et son rapport à l’action qui sont remis en cause. Cesse-t-on alors d’être acteur pour devenir spectateur, ou se passe-t-il quelque chose de plus profond comme le déplacement du terrain de jeu ? Le jeu en tant que tel ne se situe plus vraiment dans la manipulation (même s’il s’agit de traverser des environnements agréables baignés de musiques envoûtantes) mais dans l’interprétation. La passivité de celui qui est devant son écran n’est qu’apparente, son périple à travers les décors s’accompagne en effet d’un cheminement intérieur. C’est en cela qu’il est un peu réducteur de qualifier ces titres d’expériences narratives, ils ne se contentent pas de nous raconter sagement une histoire, ils font vivre cette histoire en nous, et nous en devenons le principal orchestre. Un livre ou un film proposent une cohérence narrative même s’il n’y a personne pour la percevoir, ce n’est pas le cas des jeux dont nous parlons ici.

Peut-on représenter sans interpréter ?

Le jeu propose une mise en abîme plutôt audacieuse.

Cette remise en cause du rôle traditionnellement attribué au joueur, Everybody’s Gone to the Rapture la porte dans sa forme comme tous les autres jeux du genre, mais, et c’est là que ça devient plus intéressant, on peut aussi en trouver des traces dans son propos. Encore une fois, il va être difficile d’évoquer cette interprétation de l’aventure tout en préservant le mystère de l’intrigue, nous consacrerons ultérieurement une vidéo au jeu qui sera un peu plus explicite à ce propos. Mais pour l’instant, contentons-nous de préciser qu’une des façons de décrypter l’histoire met en cause le joueur lui-même. En effet, on peut considérer que c’est son ingérence qui vient briser l’équilibre qui existait avant sa venue, que sa curiosité, même si elle est bienveillante, a des conséquences désastreuses. Bref, même si le jeu est une réussite sur le plan artistique parce qu’il se pare de décors affriolants et de musiques somptueuses, même si sa narration fait mouche parce qu’elle nous permet de toucher du doigt l’intimité de ceux qui ont disparu, finalement, s’il ne fallait retenir qu’une seule de ses qualités, c’est sans conteste sa capacité de porter un méta-discours riche et intéressant que l’on choisirait. C’est ce point en particulier qui fait que Everybody’s Gone to the Rapture continue de faire cogiter le joueur longtemps après que ce dernier ait reposé sa manette.

L'avis d'extralife
  1. Développeur : The Chinese Room
  2. Éditeur : Sony
  3. Genre : First Person Walker
  4. Date de sortie : 11 août 2015
  5. Supports : PS4
  • everybody_s_gone_to_the_rapture_logoLe pari lancé par The Chinese Room était plutôt osé. Il n'allait pas de soi qu'un jeu aussi contemplatif puisse assumer son rythme sur la longueur. Et pourtant, à partir du moment où on se laisse porter par le flux et à la condition d'être disposé à se creuser un minimum la tête, on découvre que Everybody's Gone to the Rapture est un titre hors du commun qui risque bien de laisser une trace profonde dans nos pratiques de joueur.
5
miniblob

Tombé sur Terre un peu par hasard, le blob dévore mollement tout ce qu'il trouve dans l'espoir de comprendre son environnement. Ne jugez pas trop sévèrement son appétit vorace ou vous risquez d'être au menu de son prochain repas.

Soutenez ExtraLife

A voir aussi

14 commentaires

  1. Ben-F
    Ben-F
    20 septembre 2015 à 10 h 56 min

    jamais eu l’occasion de pouvoir y jouer du coup je vais peut être me le prendre merci de me donner envie de le découvrir !

  2. Buckethead
    Buckethead
    21 septembre 2015 à 18 h 32 min

    Le jeu a l’air sublime, le test m’a conquis. Mais quelque chose ne va pas.

    Bordel, j’ai pas de PS4. Je passe à côté d’un jeu vachement intéressant.

Réponse