Né des terres fertiles de Kickstarter, Stasis offrait une promesse assez simple, celle d’un point’n click plutôt old school à tendance horrifique. Mais The Brotherhood a préféré ne pas en rester là, égratignant légèrement les codes établis tout en évitant de tomber dans les ficelles les plus vulgaires du jeu qui veut faire peur.
Quelque part autour de Neptune, le Groomlake orbite paisiblement. Une sérénité extérieure avec laquelle rivalise le calme sinistre qui règne dans ses entrailles désertées. Lorsque John Maracheck est expulsé de sa capsule de stase, côtes brisées et au bord de l’arrêt cardiaque, son incompréhension de la situation n’est pas due qu’à la désorientation supposée qu’engendre un long sommeil cryogénique. S’il ignore ce qu’il fait à bord, ce n’est pas parce qu’il est amnésique, c’est parce qu’il n’a jamais embarqué avec l’équipage de ce navire de recherche de la compagnie Cayne. Moribond et contraint de se rafistoler lui-même, ce quidam qui n’a rien d’un héros est loin d’avoir perdu la mémoire, le souvenir de sa femme et de sa fille étant tout au contraire gravé au fer rouge dans son esprit. Une famille qui sera son seul et unique moteur tout au long de sa laborieuse aventure à bord du vaisseau de l’enfer.
Laborieuse pour lui, pas pour vous. Solitaire également puisque John ne croisera pas âme qui vive à bord du Groomlake, ce qui permet à Stasis de déroger à sa première règle du point’n click en se privant de dialogues à choix multiples. Des conversations, il y en a toutefois, mais elles se dérouleront par radio et vous n’aurez pas d’influence sur leur déroulement. Pourtant, si le Groomlake a été vidé de la vaste majorité de ses occupants, s’il n’est plus que mort et délabrement, la présence humaine est tout à fait palpable. Comme on l’apprend à la lecture de l’un d’eux, la tenue d’un journal numérique était une quasi obligation pour les membres de l’équipage, qu’ils soient scientifiques, infirmiers, mécanos ou plombiers. Des journaux, il en traîne dans tous les coins et mieux vaut aimer lire car passer à côté sera regrettable à plus d’un titre. Si raconter une histoire par ce biais n’a rien de révolutionnaire, Brotherhood le fait avec un talent remarquable en ne se satisfaisant pas de détailler la lente descente aux enfers du navire, mais également la vie de ses occupants.
“Cher journal, aujourd’hui, tout le monde est mort. Demain, piscine”
Là ou d’autres titres empilent souvent la lecture, parfois fastidieuse, de textes désincarnés, Stasis donne du corps à ses auteurs. On découvre le quotidien de chacun, les tracas de tous les jours, les inquiétudes, les bons moments, les secrets inavouables et les imbroglios relationnels. Poussant le souci du détail, Stasis offre même un regard croisé sur ces histoires puisque différents journaux présentent différents points de vue agrémentés de la sensibilité de chacun. Amourettes, querelles, tout y passe, de l’amoureux éconduit qui soupçonne un tiers de convoiter sa belle – tiers qui s’avère ne guère être très attiré par la gente féminine – au garde confiant être à deux doigts de souhaiter la mort de son camarade de quart qui pour sa part couche sur l’écran grandement apprécier la compagnie de son collègue. Un tas de détails “inutiles”, drôles, émouvants, angoissants, mais qui font le sel de Stasis, en particulier une fois que le quotidien cède peu à peu la place au cauchemar dans les entrées des journaux. Des premières interrogations sur des événements étranges à l’inquiétude qui naît lorsqu’un collègue ne revient pas d’une simple inspection, les carnets intimes glissent vers l’horreur de la compréhension des événements et à l’expression des plus bas instincts de survie. Ne pas se limiter aux dernières entrées alarmistes permet de renforcer l’aspect dramatique des événements par effet de contraste, imageant le devenir de ses personnages que l’on finit par identifier. Un excellent moyen de créer le sentiment de malaise et d’horreur, car les journaux sont au final le principal vecteur d’effroi de Stasis qui aime suggérer bien plus que montrer. C’est sa seconde façon de déroger aux codes un peu éculés, d’éviter de céder aux ficelles du genre horrifique, à commencer par le jump scare totalement absent.
L’angoisse de situation
Ce qui fait frissonner, c’est avant tout le récit et la compréhension des événements, de ce qui se passait à bord du Groomlake, de leurs implications morales et de leurs conséquences, pas le spectacle brut. Bien sûr, le jeu comprend sa part de scènes chocs, mais c’est tout le travail d’écriture préalable qui les rend efficaces, ça et le sound design maîtrisé, élément indispensable à toute production horrifique. On connaît le comique de situation, Stasis vous propose l’angoisse de situation. Une méthode rendue d’autant plus performante que John n’a rien d’un héros et qu’il avoue à plusieurs reprises être complètement dépassé par les événements et les actes auxquels il doit se résoudre s’il espère un jour revoir sa famille. Le résultat de ce travail de mise en scène, c’est que même si on sait que l’on se trouve dans un point’n click, même si on sait qu’on ne va pas se faire poursuivre par dieu sait quoi et devoir compter sur nos réflexes de survie, on éprouve souvent un sentiment d’insécurité en parcourant les décors variés mais toujours glauques de Stasis. Sentiment auquel le fait de pouvoir effectivement mourir atrocement suite à une mauvaise manipulation n’est toutefois pas étranger, tout comme l’appréhension de la prochaine abomination à laquelle on se trouvera confronté. Et autant vous prévenir, Stasis ne fait pas dans la demi-mesure à ce niveau, avec au moins deux séquences susceptibles de choquer les plus sensibles.
Ni obligatoire, mais pas vraiment facultative, la lecture mais aussi l’observation de l’environnement sont partie intégrante de l’expérience, fort heureusement, The Brotherhood maîtrise l’écriture et Stasis profite d’une traduction française tout à fait plaisante. La consultation des journaux et terminaux est par ailleurs d’une aide précieuse dans la résolution des puzzles, dispensant discrètement indices et conseils. Très linéaire, il n’impose pas de multiples allers-retours et ne va pas remplir votre inventaire d’une multitude d’objets dont vous ne saurez quoi faire si ce n’est les combiner au petit bonheur. Pour autant, il sait mettre en place des énigmes capables de vous tenir tête sans pour autant forcer la dose et provoquer la frustration, à une ou deux exceptions près qui poussent peut-être le besoin de traquer l’indice dans les détails un peu loin. Ce que Stasis accomplit en revanche à merveille côté puzzles, c’est leur intégration à l’histoire. Quitte à en réduire le nombre, Brotherhood a réussi à éviter de tomber dans un traquenard qui rebute souvent les joueurs non adeptes du genre, l’aspect parfois un peu décalé des puzzles.
Sous ses atours classiques de vieux point’n click en vue isométrique et son recyclage évident et assumé de thématiques et de références de renom dans le domaine de l’horreur et de la SF, Stasis n’est finalement pas dépourvu d’une réelle originalité dans son traitement à la fois du gameplay et du récit. Un excellent ouvrage dont quelques défauts de polissages sautent malgré tout aux yeux. Pour esthétique qu’il soit, Stasis souffre d’animations des personnages assez raides et d’un pathfinding hasardeux qui contraint son héros à préférer contourner inutilement des obstacles qui n’en sont que dans sa tête. Le genre de détails qui vous rappelle que vous n’êtes que dans un jeu vidéo mais surtout que Stasis est le fruit d’un Kickstarter mené par une petite équipe, qui signe pourtant une production n’ayant rien à envier, ou presque, aux ténors de la discipline. Accessible même aux non spécialistes du jeu d’aventures, Stasis est fortement recommandé aux amateurs d’atmosphère horrifique et à ceux qu’un récit dur dont la teneur ne se révèle qu’au prix d’un engagement et d’un peu d’effort ne rebutent pas.
- Développeur : The Brotherhood
- Genre : Point'n Click
- Date de sortie : 31 août 2015
- Support : PC
- Si la promesse initiale de Brotherhood était celle d'un point'n click à l'ancienne, le studio est subtilement allé au-delà de son contrat. Horreur suggérée, écriture maîtrisée, puzzles intelligents et limités aux stricts besoins de la progression, abandon de certains codes propres à la discipline et au genre ou encore recyclage de poncifs font de Stasis un titre qui sort du lot malgré ses petits accrocs de finition. Les aficionados des histoires qui font froid dans le dos auraient tort de passer à côté.
8 commentaires
Legendarus
11 septembre 2015 à 18 h 31 minJ’aime beaucoup l’aspect graphique, et l’atmosphère a l’air excellente, merci pour la découverte :)
Tanil
11 septembre 2015 à 20 h 15 minVous avez vraiment un don pour donner envie :p
Il faudra que je me rappelle de ce jeu le jour où j’aurai un nouveau pc, il m’a l’air intéressant.
Ce jeu a une ambiance qui fascine….
bon test Dino
Esska
19 septembre 2015 à 3 h 53 minCe jeu sera sûrement le premier Point’n’Click que je ferais en entier ;)
Merci à Dinowan pour ce test qui donne l’eau à la bouche ! :D
Guduman
19 septembre 2015 à 14 h 07 minSuperbe test sur un superbe jeu, rien à dire de plus.
PlopSolo
21 septembre 2015 à 12 h 31 minC’est un jeu prenant et glauque qui risque de vous faire vous arracher les cheveux dans certaines situations.
Petitdoudou
23 septembre 2015 à 13 h 49 minDommage qu’on ai pas eu le droit à une vidéo, surtout venant de toi Dino.
Xenofex
23 septembre 2015 à 18 h 23 minÇa me rappel Sanitarium pour le côté Point’n Click horrifique en vue isométrique.