Le vampire, dans ses premières représentations, n’est pas un grand diplomate et se contente de se repaître de sang de nouveau-né, davantage aspirateur de fluide vital un peu dégueu que comte classieux. L’esthétique du suceur d’hémoglobine drapé de fringues à plus d’une barre est bien plus récent, entre la vision d’Anne Rice et celle des films de Fisher, style auquel colle Vampyr. Mais sous cette classe insolente, la putréfaction avance, implacable.
Il y a des lundi plus difficiles que d’autres. Celui de Jonathan Reid lui donnerait envie de se recoucher s’il n’était pas déjà mort. Abandonné dans un charnier, il se réveille un peu ronchon et décide de prendre un café bien noir pour émerger, boisson qui prend les traits de sa sœur . Une fois les dents plantés dans son cou, John doit se résoudre à accepter la vérité, il est devenu un vampire. Une punition, traumatisme d’une éternité-prison, d’une soif inextinguible qui pourrait détruire moralement n’importe qui. Sauf le héros de Vampyr qui s’en fout un peu. Pas plus affolé que s’il avait fait une mauvaise chute à vélo, le bon docteur Reid suit de bonne grâce un autre médecin, Swansea, qui a besoin de lui à l’hôpital de Pembroke afin de soigner la terrible grippe espagnole qui terrasse Londres. Intronisé comme dernier rempart de par ses célèbres travaux, Reid occupe la meilleure place possible dans une dramaturgie travaillée : à la fois enchaîné à son serment d’Hippocrate et forcé de se nourrir du sang des mêmes personnes qu’il a juré de protéger.
Un statut idéal pour développer à la fois la psychologie d’un héros torturé et proposer un game-design qui tire parti de possibles choix cornéliens à haute valeur émotionnelle. Il faut croire que non, tant Vampyr passe à côté de son sujet. En tant que saigneur du mal en apprentissage, Johnny ne tire pas physiquement vers la bête sauvage et peut donc faire sa vie parmi les humains sans que personne ne se doute de sa présence. Un sentiment de supériorité qui fait son petit effet, notamment lorsqu’il s’agit de discuter de la présence de créatures des ténèbres dans les rues avec quelques personnages, niant tout en bloc avec un air amusé.
Vu comme un docteur prophétique au service d’une Londres où la crasse surgit de chaque ruelle, Reid rencontre une population qui a besoin d’aide, qu’elle soit médicale ou matérielle. Des demandes qui aboutissent à beaucoup de petites quêtes annexes, jamais passionnantes, mais à chaque fois une excellente occasion de dénicher lettres et papiers secrets qui enrichissent le lore avec talent. C’est une belle habitude qui traverse tout Vampyr, cette envie manifeste de proposer une écriture subtile et tempérée dans les missives et les dialogues. Un ciment littéraire qui permet à tout le jeu de tenir debout face à une cohérence qui chancelle au moindre froissement de cape vampirique.
Intéressants et jamais ancrés dans du stéréotype facile, les habitants de Londres ont tous un supplément de vie qui leur donne une légitimité, mais sont torpillés par les limites bien voyantes d’un jeu qui a du mal à se raconter. Entre les quêtes déclenchées sans que l’on s’en rende compte, via des discussions sur des sujets totalement inconnus avant de rencontrer la personne qui en est à l’origine, et l’aveuglement généralisé de la populace sur ce qui se passe à 10 mètres d’elle, l’immersion en prend un coup. Difficile de croire que devant l’omniprésence de Skals, de miliciens armés de croix et de hurlements bestiaux derrière chaque muret, tout le monde reste calme. Une absence de réaction qui est le vraie maladie du jeu, aggravée par l’absence de manifestations physiques des protagonistes, sous Xanax, à peine rattrapés par un cast vocal assez convaincant. Dommage que cette dichotomie entre écriture et vie donne le la d’un jeu qui ne peut qu’osciller entre belles volontés et dure réalité, en particulier dans son système de progression à conséquences.
La Londres de Vampyr est divisée en quatre quartiers eux-mêmes structurés autour d’un personnage important pour la communauté, considéré comme un pilier. Garant de la stabilité, il n’en reste pas moins mortel et sa transformation en vampire ou un banal décès renverse le frêle équilibre. Sauver une zone signifie donc à la fois conserver sa figure de proue et une salubrité de base. Docteur en biologie option McGyver, Jonathan Reid est le daron du craft et concocte des décoctions avec ce qu’il ramasse dans les rues afin de soigner les symptômes des bonnes gens.
Un élément de micro-gestion qui laisse le choix au joueur de se la jouer altruiste en trench-coat ou bad-boy qui assume. Laisser s’écrouler un quartier a bien entendu des conséquences, visuelles dans un premier temps avec une déliquescence du décor, et ludiques avec la disparition, voire la transformation de certains habitants. Triste ? Pas vraiment étant donné que les londoniens n’ont plus aucun développement une fois leurs secrets découverts et que le seul intérêt est un élément de game-design. Car plus que le projet d’améliorer la vie de tout le monde par charité, maintenir les citoyens en bonne santé et connaître leur intimité permet d’absorber davantage d’expérience en leur suçant le sang (ce qui provoque la mort soit dit en passant). Une planification digne d’un homme politique en campagne qui change la morphologie du jeu, dans des proportions très limitées.
Sombrer dans les travers écarlates du vampire total montre vite ses contours car les habitants n’ont pas un sang assez chargé en expérience, tout comme jouer au samaritain et ne tuer personne, ce qui empêche de monter rapidement de niveau. Dans les deux cas, le joueurs se retrouve vite en sous-level et les dernières heures sont un calvaire, surtout contre des boss à la barre de vie interminable. Des combats qui s’éternisent, dans une guerre d’épuisement où le fun a décidé de se planquer dans une tranchée.
La seule alternative viable pour sauvegarder un plaisir de jeu minimum est d’enchaîner les quêtes de personnages et de maximiser les soins pour éliminer les londoniens qui disposent du plus de boost d’expérience. L’exécution sommaire de l’idée de cas de conscience, de tout choix radical dans l’expérience. Et ce même si, en fonction de ces situations, le destin de certains va changer et quelques dialogues se rajouter. Mais rien qui modifie de manière profonde l’aventure de Reid ou le rapport du joueur avec cet univers qui pour le coup devient mécanique. Subsistent quelques évolutions intéressantes et une ou deux surprises, mais quasi plus aucune trace de la promesse initiale d’un voyage au sein même d’un déchirement, entre moralité et soumission à un besoin. L’histoire se laisse tout de même suivre, plaisante et originale dans son approche historique du mythe du vampire, mais sans passion. Une sorte de compromis tiède qui se ressent aussi sur le gameplay.
Basé sur un système qui comprend une jauge de vie, une d’endurance et une représentant le sang, le système de combat est en grande partie basé sur l’esquive et la ponction d’hémoglobine. Pas bien méchants – à niveau égal – les ennemis nécessitent des coups classiques pour être abattus, liés à l’endurance, ainsi que des attaques spéciales qui pompent dans la jauge de sang. L’idée est donc de jongler entre les deux afin de coller aux faiblesses de l’adversaire, affichées juste à côté de leur barre de santé. Un principe qui fonctionne plutôt bien, grâce en partie à la présence d’un bon éventail de capacités à débloquer au gré de la montée en expérience, mais qui trouve vite ses limites face à un très faible set d’opposants différents soumis à des routines identiques. Seul leur niveau amène une difficulté supplémentaire, mais leur pattern n’en est jamais complexifié, ce qui conduit le joueur à se battre en mode roue libre, rarement surpris, toujours un peu déçu.
D’autant que les ennemis pullulent dans les allées boueuses de la capitale anglaise, et le moindre trajet est une lutte fastidieuse pour faire 15 mètres sans se battre pendant 10 minutes, récoltant quelques dizaines de points d’xp, récompense inutile face à la gêne occasionnée. Une progression laborieuse, conséquence directe d’un level-design étriqué – pour coller avec la Londres post guerre mondiale – qui remet encore sur la table la question du design au service de l’immersion plus que du plaisir de jeu.
Un ensemble de passages, de ruelles, certes engluées dans une brume angoissante – mais à l’aspect similaire, occasion parfaite de se manger des cul-de-sac en série et de se paumer joyeusement. Et, petite pépite, la carte de la ville ne peut pas apparaître en surbrillance : il faut passer par un affichage manuel à chaque fois, nouveau poids sur les épaules meurtries d’une avancée pataude. Difficile de ressentir la puissance et le magnétisme du vampire et de Vampyr dans ces conditions. La grâce vient alors d’une mélopée, d’un souffle qui passe à travers les pierres et les skals. En dernier souvenir de cette aventure oscillatoire subsiste la merveilleuse BO d’Olivier Derivière, qui étend sa subtilité et ses variations en parfaite adéquation avec les changements de ton, dans une cohérence et une inventivité qui ne cessent de hanter. Comme quoi, même affaibli, le vampire a toujours du charme.
- Développeur : DONTNOD Entertainment
- Éditeur : Focus Home Interactive
- Genre : Action/RPG
- Date de sortie : 5 juin 2018
- Supports : PS4/PC/Xbox One
- PEGI : 18 ans et plus
- Site officiel : http://vampyr-game.com/
- Plein de bonnes intentions narratives et animé par la volonté claire de raconter une histoire qui marche avec adresse sur le fil du mythe vampirique, Vampyr met la quenotte pile dans la jugulaire quand il s’agit d’écriture ou de création d’univers. Une aventure qui se laisse suivre avec un léger sourire aux dents aiguës, mais qui enchaîne trop de freinages brutaux face au plaisir pour en faire un jeu plaisant. Avec son concept phare sacrifié et son game-design qui ne parvient jamais à trouver la manière de donner au joueur le sentiment d’être incarné dans ses rapports au choix et à la ville, Vampyr tourne à vide et perd sa consistance pour faire apparaître toute sa mécanique. Pas un mauvais jeu, mais le testament de ce qu’il aurait pu être s’il était arrivé à cocher toutes ses ambitions. Le sommet de la chaîne alimentaire est encore loin.
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