Mordheim : City of the Damned : La mort vous va si bienTest JV

Mordheim : City of the Damned : La mort vous va si bien

Rogue Factor a perdu la raison. Ce jeune développeur canadien, qui a encore tout à prouver, s’est mis dans la tête d’adapter un vieux jeu d’escarmouche de Games Workshop, si confidentiel qu’il a été abandonné depuis plus de 10 ans par son éditeur. Pire, le studio s’est acharné à en retranscrire fidèlement l’esprit dans le cadre d’un gameplay au tour par tour exigeant et punitif, permadeath à l’appui. Il y a vraiment des gens qui n’ont peur de rien… Et heureusement pour les joueurs PC !

Si certaines licences de Games Workshop, comme Warhammer Battle et 40.000, Bloodbowl ou encore Space Hulk, sont désormais bien installées dans le paysage vidéoludique, il en est d’autres qui, jamais adaptées, restent moins connues des gamers. Publié en 1999 au terme d’une parution épisodique de ses règles dans le magazine White Dwarf, Mordheim fait partie de ces « specialist games » abandonnés progressivement par la firme au cours des années 2000 – une trahison pour les nombreux passionnés qui continuent de s’y adonner. Ce jeu d’escarmouche est à Warhammer Battle ce que Necromunda est à 40K : il oppose de petits groupes de figurines dans des décors urbains propices aux échauffourées. Avec l’appui de Focus, dont la collaboration avec Games Workshop s’avère décidément fructueuse, le studio Rogue Factor s’est attaqué à une adaptation fidèle de Mordheim, incluant management de bandes, campagnes différenciées et combats tactiques au tour par tour en vue à la 3e personne. Mais plutôt que de coller religieusement à un système de règles obsolète, il a été décidé d’en proposer une relecture intelligente qui en conserve l’esprit. Une année durant, les concepteurs ont mis à profit la phase d’accès anticipé pour solliciter les retours de la communauté des joueurs et tenter de lui délivrer l’expérience riche, complexe et exigeante (pour ne pas dire hardcore) qu’elle recherchait.

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Le système de déplacement par balises circulaires est l’une des meilleures idées du titre.

Mordheim : City of the Damned se déroule dans la ville éponyme, jadis considérée comme l’un des fleurons du Vieux Monde avant que la décadence ne s’en empare. Symbole du courroux de Sigmar, une comète à deux queues a fini par s’abattre sur la cité pour la purifier de ses péchés. Les rares rescapés qui ont refusé de quitter cet amas de ruines ont été corrompus par les éclats de Malepierre répandus un peu partout lors de l’impact. Cette mystérieuse pierre magique aurait, dit-on, des vertus extraordinaires, mais finirait par altérer le corps et l’esprit de ceux qui en abusent. Voilà pourquoi le contrôle des différents quartiers de la ville est devenu l’enjeu de bandes rivales, parfois mandatées par de puissants empires. On y retrouve les mercenaires du Reikland, regroupant de fins bretteurs et d’habiles fusiliers, tous motivés par la soif de l’or ; mais aussi les Soeurs de Sigmar, de terribles guerrières surarmurées protégeant à coups de marteau ce qui reste encore de la ville ; ou encore les Possédés, des humanoïdes difformes aux membres mutants, pervertis aussi bien par leur adoration du Chaos que par les effets de la Malepierre ; et enfin les Skavens, ces hommes-rats fourbes et hargneux qui ont émergé de leurs tunnels à la simple perspective de pillages faciles. Le jeu de base proposait certes deux fois plus de bandes (deux autres factions de mercenaires, ainsi que les Répurgateurs et les Morts-vivants), mais la sélection opérée offre des approches suffisamment variées pour que vous puissiez y trouver votre compte. Les Skavens, par exemple, sont mobiles et agressifs mais trop fragiles pour s’éterniser au corps-à-corps, ce qui les contraint à se désengager et à se replier pour mieux resurgir au moment opportun.

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La réserve permet de pallier vos troupes convalescentes et celles en apprentissage.

Avant de vous lancer dans le feu de l’action, vous devrez constituer votre bande et équiper vos recrues – deux postes de dépense qui entameront déjà significativement votre pécule de départ, d’autant qu’il vous faudra aussi les rétribuer à l’issue de chaque mission, voire couvrir leurs frais de remise en état. Comme dans le jeu de plateau, leur nombre est limité : vous ne pourrez recruter qu’un seul chef, deux ou trois héros et une demi-douzaine d’hommes de main, sachant que vous débloquerez des slots supplémentaires au fil de votre progression. En fonction de la bande choisie, vous aurez à disposition différentes classes de troupes : par exemple, des guerriers, des tireurs d’élite et des mages du côté du Reikland. Vient s’ajouter à cela la possibilité de s’adjoindre les services de francs-tireurs (personnages pré-conçus de niveau donné), mais aussi, ultérieurement, d’une « brute ». Qu’il s’agisse d’un rat-ogre ou d’une engeance du chaos, chaque faction possède la sienne, sachant que ces unités redoutables progressent de la même manière que les autres. L’expérience glanée durant les combats permet en effet à vos troupes d’augmenter leurs caractéristiques (force, précision, esquive, endurance, moral…) et d’apprendre de nouvelles compétences utilisables en combat. Il faudra aussi compter sur les équipements lootés au cours des missions, de rareté variée (les plus convoités pouvant être enchantés) pour les équiper décemment. Vous aurez, enfin, le loisir de renommer et de customiser visuellement tout ce joli monde. Même si les options de personnalisation restent relativement pauvres, au moins vous permettront-elles d’identifier facilement les unités arborant vos couleurs.

Le positionnement méticuleux de vos unités ne vous épargnera pas les jets de pourcentages.

Le positionnement méticuleux de vos unités ne vous épargnera pas les jets de pourcentages.

Et ce ne sera pas un luxe, tant les champs de bataille, générés aléatoirement, s’avèrent denses et complexes. Ruelles étroites, bâtiments éventrés, charrettes renversées… À vous de mettre à profit les couverts, les postes de tir en surplomb et les goulets d’étranglement, dans la plus grande tradition du jeu de figurines. Dommage que ces environnements se révèlent aussi ternes et peu inspirés. La direction artistique, assez timide, peine à retranscrire l’atmosphère des illustrations de John Blanche. Elle pâtit surtout d’un moteur graphique extrêmement pauvre, qui affiche des modélisations peu convaincantes et des protagonistes mal animés, qui ne font pas honneur à la finesse des figurines Citadel de l’époque. Et si les textures crades ne jurent pas vraiment dans l’univers « dirty-fantasy » de Mordheim, la palette de couleur trop uniforme gêne parfois la lisibilité des pièges, spots de Malepierre et autres marqueurs d’interaction. Heureusement, une carte tactique vous permettra de repérer l’essentiel, à commencer par vos adversaires, qui n’apparaissent que lorsqu’ils entrent dans le champ de vision de l’une de vos unités (la map affichant leur dernière position connue s’ils viennent à en sortir). Comme dans le jeu de plateau, les lignes de vue sont un paramètre déterminant, ce qui rend d’autant plus fâcheux les problèmes de caméra typiques de la vue à la 3e personne. En fonction du scénario, votre bande débutera sa mission autour de son chariot, à l’intérieur d’un bâtiment, ou encore éclatée aux quatre coins de la map (aïe !). La mécanique de tour par tour se couple d’un système d’initiative permettant aux unités alliées et adverses d’agir alternativement – une excellente idée qui a le bon goût de limiter les temps morts.

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Vous pouvez payer des éclaireurs afin qu’ils découvrent de nouveaux lieux de mission.

Chacune de vos recrues dispose d’un certain nombre de points de tactique et de points de combat. Les premiers servent à se déplacer et à effectuer des actions non martiales : ramasser ou utiliser un objet, bander un arc, se mettre en posture d’esquive, grimper, sauter… L’escalade revêt une grande importance, les décors tout en verticalité offrant un avantage aux unités de tir, pourvu qu’elles ne chutent pas lamentablement, blessure à l’appui, en tentant de prendre position. Les points de combat sont utilisés pour porter un coup à l’ennemi, en plus ou moins grand nombre selon l’arme maniée, le degré de maîtrise, le type de frappe, la charge préalable ou la visée éventuelle. Il est en général possible de porter plusieurs attaques simples dans un même tour, sachant que les points non utilisés peuvent être conservés pour une riposte ou une embuscade. Si les options sont déjà suffisantes à la base, elle se multiplieront au gré du contexte, des compétences et des sorts appris, ainsi que des objets transportés, et deviendront à terme si nombreuses qu’il pourra paraître fastidieux de les faire défiler au moyen du menu dédié. A contrario, l’état psychologique des personnages est susceptible de réduire leur palette d’actions : un test de peur raté face à une brute peut les empêcher d’agir, et un test de moral raté dans une situation de surnombre, les contraindre à fuir le combat. Vous veillerez donc à ne pas les isoler, ce qui n’est jamais simple quand ils ne se déplacent pas tous à la même vitesse, l’armure ayant une incidence sur leur mobilité. À mesure que les troupes tomberont de part et d’autre, la jauge de moral de chaque bande se videra, jusqu’à ce que l’une d’elles doive effectuer un test de déroute, susceptible de signer sa défaite.

Sans la carte tactique, le repérage des spots de pierre magique serait une vraie corvée.

Sans la carte tactique, le repérage des spots de pierre magique serait une vraie corvée.

Bien que les vainqueurs soient les seuls à profiter des trésors récupérés et du bonus lié aux objectifs secondaires accomplis (tuer telle unité, ramasser telle quantité de pierre magique…), ils attendront cependant aussi fébrilement que les vaincus le fatidique écran de debriefing. Ce dernier vous informe en effet de la gravité des blessures de ceux qui sont tombés au combat ou n’en sont pas sortis indemnes. Œil crevé, membre amputé, traumatisme psychologique, ou même la mort : voilà ce qui attend potentiellement vos recrues, dont certaines accumuleront tellement de séquelles qu’elles deviendront inefficaces en dépit de leur progression en niveau. Ce qui est intéressant dans Mordheim, c’est que vous devez assumer les conséquences de tous vos faits et gestes, sans aucun reload possible. Dans ces conditions, même la victoire la plus héroïque peut revêtir un goût amer si votre meilleur élément y a laissé un bras ! Mais l’équipe de Rogue Factor n’en est pas restée là. Votre bande est sommée de livrer régulièrement à son mécène une certaine quantité de la pierre magique récupérée – parfois avec peine. Si vous ne remplissez pas votre contrat dans la limite de temps impartie (généralement, une dizaine de jours), il vous en tiendra rigueur, jusqu’à couper vos frais au quatrième échec, synonyme de game over irréversible ! Or, tout coûte du temps : apprendre des compétences, soigner ses blessés, prendre part à des escarmouches (quelle qu’en soit l’issue) ou lancer la prochaine mission scénarisée. Ce système peut d’ailleurs se révéler frustrant pour ceux qui auraient aimé profiter de la campagne d’un seul trait plutôt que de devoir en passer, dans l’intervalle, par le farm d’escarmouches relativement répétitives.

Puissantes et solides, les brutes sont naturellement limitées à une seule par bande.

Puissantes et solides, les brutes sont naturellement limitées à une seule par bande.

Chaque faction possède sa propre campagne, qui se déroule sur des cartes non spécifiques, mais avec des protagonistes et des objectifs différenciés. Bien agencées et forcément plus attrayantes que les maps générées de façon procédurale, elles ont la particularité de susciter une difficulté retorse et punitive. Seule une bonne connaissance du contexte vous permettra de surmonter le challenge proposé, au terme de plusieurs essais – un aspect die & retry que chacun appréciera à sa façon. En contrepartie, ces missions sont l’occasion de prendre le contrôle d’un dramatis personae, un héros célèbre et surpuissant de l’univers de Warhammer. Les développeurs n’étant pas avares en embûches, il vous ont aussi réservé des rencontres aléatoires, qui prendront la forme de l’assaut surprise d’une bande rivale tandis que vous êtes repliés autour de votre chariot. Vous prierez alors pour que ce ne soient pas des Soeurs de Sigmar, dont la force de frappe nous a quand même paru supérieure à celle des autres factions. L’une des particularités de Mordheim est d’inscrire l’ensemble de ses facettes dans un même tout, une même continuité. Ainsi, le multijoueur ne fait pas l’objet d’un mode annexe ; il faut y impliquer sa bande actuelle, avec tout ce que ça entraîne de conséquences au niveau du temps consacré et des pertes potentielles. Il existe, certes, une option démo, mais les joueurs qui souhaitent profiter d’un véritable enjeu sans pour autant prendre un risque inconsidéré ne se frottent généralement qu’aux bandes d’un niveau à peu près équivalent au leur. En l’absence de matchmaking et d’option d’équilibrage, le multi est donc déserté. Sur ce point, Rogue Factor devra clairement revoir sa copie.

Mais le studio semble particulièrement à l’écoute de la communauté, ce qui laisse espérer la correction des quelques soucis techniques qui empêchent Mordheim de toucher l’excellence. On pense aux temps de chargement excessifs, au framerate instable, à l’impossibilité de jeter les objets en cours de mission (générant des situations bloquantes), mais surtout aux bugs d’IA qui ruinent parfois le challenge : remporter la victoire parce qu’une brute est restée bloquée derrière un chariot qu’elle n’a pas su contourner, ou parce que ses adversaires ont passé leur temps à monter et à descendre des bâtiments jusqu’à grignoter à l’excès leur barre de santé, n’a rien de très gratifiant. Ces situations ne sont heureusement pas si courantes, et lorsqu’il fonctionne bien, Mordheim est un titre aussi exigeant qu’addictif, doté d’un formidable potentiel tactique.

L'avis d'extralife
  1. Développeur : Rogue Factor
  2. Editeur : Focus Home Interactive
  3. Genre : Stratégie / Tactique
  4. Multijoueur : 2 joueurs en ligne
  5. Date de sortie : 19 novembre 2015
  6. Support : PC
  • Mordheim_jaquetteRevêche, intransigeant et punitif, Mordheim : City of the Damned n'est clairement pas à mettre entre toutes les mains. Au-delà de son gameplay au tour par tour exigeant, requérant une planification rigoureuse de vos actions, ce titre hautement tactique vous fait payer cash la moindre de vos errances, grâce à un système de blessures qui se permet de flinguer vos meilleurs éléments, chéris des heures durant, et vous incite à répudier vous-même ceux qui ont accumulé trop de séquelles ! Si vous êtes prêt à en baver, mais aussi à fermer les yeux sur sa plastique ingrate et ses quelques soucis techniques, le jeu de Rogue Factor vous le rendra au centuple.
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1 commentaire

  1. Dart
    Dart
    12 décembre 2015 à 15 h 51 min

    Il a l’air d’avoir un petit coté XCom médiéval fantastique pas déplaisant. Le coté micro gestion de ses hommes, j’adore, par contre le coté hardcore de la recharge de sauvegarde impossible… Gloups ! o_O’

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