Bruno Cathala : “Tout faire pour être compris”Coulisses

Bruno Cathala : “Tout faire pour être compris”

Le rôle d’un auteur

Un sujet qui te tient à cœur : la notion d’auteur. J’imagine que tu es très impliqué dans la SAJ…

Alors je suis adhérent, je suis impliqué, je suis ça de près, mais je ne me suis pas impliqué personnellement dans les réunions, les négociations éventuelles… Par contre, je participe volontiers à tous les questionnaires qui passent et je soutiens l’action, bien évidemment.

Rappelons que SAJ signifie Société des Auteurs de Jeux. Est-elle uniquement dédiée aux jeux de société ou touche-t-elle les jeux dans un sens plus général ?

Non, non. C’est dédié aux jeux de société.

Est-ce que tu peux nous toucher deux mots sur l’action de cette société ? Quel est son but ? Est-ce qu’il y a des choses qui ont avancé depuis sa création ?

En fait, notre problématique, c’est que “auteur de jeu de société”, aux yeux de l’administration française, n’est pas une profession qui existe. Et donc ça nous pose tout un tas de problèmes. De reconnaissance, déjà. Mais aussi dans la façon de déclarer nos droits d’auteurs. Il n’y a rien de clair. Et si on va d’une perception à une autre, la personne en face de nous ne nous dira pas la même chose. Sachant qu’en plus, les gens ne s’engagent pas. Donc si jamais tu as un contrôle, même s’ils t’ont dit qu’il fallait faire comme ça, et que ce n’était pas comme ça qu’il fallait faire, c’est ton problème, c’est pas le leur. Donc tout ça est non seulement pas agréable, mais ça pose de vrais soucis.

Donc l’idée, c’est de se fédérer, d’échanger sur nos problématiques, parce qu’on est tout un tas à résoudre nos problèmes de façons différentes, donc de faire un état des lieux de qui fait quoi, comment, etc. Puis de donner ces informations à tous les arrivants, parce qu’il s’avère que le jeu de société est actuellement en pleine expansion, et que de nouveaux auteurs et de nouveaux éditeurs, il y en a plein. Il y en a un peu plus chaque année, et ils se posent les mêmes questions qu’on a pu se poser. Donc avoir un état des lieux, c’est déjà quelque chose d’important.

D’ailleurs, ceux qui sont les plus actifs dans la SAJ ont fait un travail remarquable qui a conduit à un PDF qu’on peut trouver en ligne sur le site de la Société des Auteurs de Jeux, et qui justement décrit à chacun comment on peut faire, ou plutôt comment on doit faire, pour payer ses cotisations sociales et déclarer ses droits pour être en conformité avec la législation. Rien que ça, c’est déjà un premier travail qui est un vrai travail.

Et puis après, à terme, il y a évidemment la question du “jeu : produit culturel ou pas ?”. Les éditeurs réfléchissent à ça de leur côté. On va évidemment discuter des contrats… Essayer de normaliser un peu tout ça.

J’imagine que des questions reviennent sans cesse dans ton entourage : “Comment faire un jeu ? Comment se lancer dans ce métier d’auteur ?” Et j’ai vu que tu as récemment publié sur Trictrac un début de réponse. Pas vraiment un mode d’emploi.

Non, non, pas tout à fait un mode d’emploi parce que je pense que des donneurs de leçons, il y en a plein, et des gens qui détiennent la vérité, il n’y en a pas. Enfin, il n’y a pas de vérité. Par contre, il s’avère que ces dernières années, j’ai acquis une certaine visibilité en tant qu’auteur et il y a forcément, de façon naturelle, beaucoup de nouveaux auteurs qui arrivent et qui me contactent en me demandant des conseils. “Qu’est-ce que tu penses de mon prototype ?”, “Est-ce que je peux t’envoyer les règles ?”, “Comment je peux faire pour aborder un éditeur ?”, “Quelles sont les erreurs à ne pas faire ?”

Depuis des années, je me suis donné comme règle de toujours répondre. Parce que moi-même, quand j’ai débarqué dans ce milieu-là, je ne connaissais personne, que j’ai contacté des gens, et que je suis tombé sur un milieu hyper ouvert, avec des gens qui m’ont aidé, Bruno Faidutti en particulier pour ne pas le nommer. Et d’une certaine façon, cette transmission de flambeau, je la trouve normale. On fait des jeux de… société. Ce mot-là, il a quand même une certaine valeur pour moi.

Du coup, je répond toujours, tout le temps, et en fait, c’est hyper chronophage, ça me prend beaucoup de temps. Et comme les questions qui se posent sont récurrentes, je me suis dit qu’il fallait partager ça sur internet. Donc j’ai profité de la vitrine que nous offre Trictrac pour publier une première partie de document sur la relation auteurs-éditeurs. En fait, très égoïstement, ça veut dire que maintenant, quand on m’envoie une question de ce genre-là, je renvoie à l’article et je n’ai pas besoin de le réécrire encore et encore. Là, j’ai une première partie et j’ai une deuxième partie qu’il faut que je rédige où je vais parler du contrat, à quoi faire attention dans les contrats, et puis quels sont les rôles de chacun. Quel est le rôle de l’éditeur ? Où est-ce qu’il commence ? Où est-ce qu’il s’arrête ? Quel est le rôle de l’auteur ? Où est-ce qu’il commence ? Où est-ce qu’il s’arrête ? Les responsabilités, etc, etc. [la deuxième partie est désormais en ligne].

Tu l’as évoqué, tu es et tu as été impliqué dans pas mal de projets, et as travaillé en binôme sur bien des jeux. J’ai l’impression qu’il y a toujours, au bas mot, au moins une dizaine de jeux en projets…

Oui, c’est à peu près ça.

Comment fait-on pour jongler entre ces différents jeux à créer, et bien séparer le fait de travailler sur tel jeu alors qu’une idée vient pour un autre ? Comment ça se passe dans ta tête ? Arrives-tu à “compartementaliser” tout ça ?

Alors, je ne sais pas trop comment ça se passe dans ma tête et je suis pas sûr d’avoir envie de savoir ! C’est toujours pareil. Si on dit “Tu es amoureux de cette personne. Est-ce que tu sais pourquoi ?” Je n’ai pas envie de savoir. Si tu brises la magie, à un moment donné, ça ne m’intéresse plus.

Malgré tout, il faut voir que je viens du privé. J’ai travaillé longtemps dans l’industrie. J’ai travaillé dix-huit ans en recherche et développement et avec des fonctions de chef de projet. Quand t’es chef de projet, tu es multitâches, tu travailles sur plusieurs projets à la fois. Chacun de ces projets est sous segmenté en X trucs, donc tu vas travailler avec plein de personnes différentes. Et donc je pense qu’à un moment donné, ma structure mentale s’est aussi développée avec la façon de travailler que j’ai apprise et que j’ai expérimentée pendant dix-ans dans le privé. Aujourd’hui, je travaille de la même façon.

Du coup, oui, j’ai souvent une dizaine de projets, voire un peu plus, en parallèle, mais ils ne sont pas tous au même stade d’évolution. Il y a des jeux sur lesquels je suis en train d’accompagner la sortie. Il y a des jeux sur lesquels je suis en train de répondre à des questions parce qu’ils viennent de sortir. Il y a des jeux sur lesquels je suis en train de chercher un éditeur. Il y a des jeux sur lesquels je suis en phase de développement. Et puis il y a des jeux sur lesquels je suis en création amont. Donc déjà, n’étant pas au même stade d’évolution, mes problématiques ne sont pas les mêmes.

Et puis je structure mon temps de façon rationnelle. C’est-à-dire que la création n’est pas quelque chose qui se fige dans le temps. La création, ça vient quand ça vient. Tu ne peux pas t’asseoir à ton bureau en te disant “je vais avoir une idée”. Ça ne marche pas comme ça. Donc les idées, il faut les capter quand elles viennent et la plupart du temps, elles viennent quand tu fais autre chose ; quand tu es en train de prendre une douche ; quand tu es en train d’aller faire du vélo ; de discuter avec des amis ; peu importe. C’est de toute façon quand tu es ailleurs.

Ensuite, quand je suis à mon travail, là, je fais des tâches. La première tâche que je fais chaque matin, c’est une heure de ce que j’appelle veille technologique. J’appelle ça comme ça parce que dans mon ancien métier, c’était comme ça. Ça veut dire que ce qui m’intéresse, c’est de savoir qui fait quoi, avec qui, où, comment. Et donc, c’est internet, les réseaux sociaux, les petites news…

Ensuite, je vais travailler sur mes différents projets en fonction des urgences. Parce que sur l’ensemble de ces projets, il y a des choses qui sont plus urgentes que d’autres, même si ce sont des choses qui ne font pas avancer la création. En particulier, comme je suis auteur, et que pour déclarer mes droits j’ai monté une société, il faut aussi que je fasse la partie administrative.

La plus marrante !

Ah ben, c’est pas la plus marrante, mais elle prend du temps ! Et à un moment donné, c’est pas celle que j’ai envie de faire. Par exemple, là on est le 11 janvier, il faut que je fasse ma comptabilité de dernier trimestre. Et donc, ce weekend, je sais ce que je fais parce que lundi, je dois rendre les papiers au comptable.

Ensuite, je vais avoir des tâches différentes pour tel ou tel jeu. Par exemple pour Jurassic Snack qui va bientôt sortir, on a des problématiques qui se posent sur les figurines. Quand la question arrive de l’éditeur, c’est une réponse immédiate. Je dois être capable de m’inscrire dans un planning et en même temps de répondre du tac au tac sur des questions. Donc ton esprit zappe en permanence de l’un à l’autre. Mais pour moi, ce n’est pas une grande difficulté, en fait.

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Jihem

La découverte de BurgerTime aux débuts des années 80 aura clairement affecté la vie de ce grand bonhomme. Non seulement, Jihem a développé une passion pour les jeux vidéo, mais il a également choisi de s'installer au pays du hamburger. Sa mère est plutôt heureuse qu'il n'ait pas découvert les jeux avec Boogerman.

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1 commentaire

  1. RivieraParadise
    RivieraParadise
    20 février 2018 à 13 h 31 min

    Merci Jihem pour cette interview. Je suis moi meme un chef de projet qui essai de s’aventurer dans la creation de jeu de societe, et cet article est vraiment passionnant.
    Bonne continuation a toute l’equipe d’Extralife
    PS: A quand un nouvel episode d’Entree de jeu?

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