Clément Milker, Catch Up Games : “Une vision qui tient de l’artisanat”Coulisses

Clément Milker, Catch Up Games : “Une vision qui tient de l’artisanat”

De Sapiens en 2015 à Paper Tales en 2017, le petit éditeur lyonnais Catch Up Games gagne en visibilité et en confiance à chacune de ses sorties. Confiance des auteurs, mais également confiance personnelle pour se démarquer dans les linéaires et imposer des choix éditoriaux forts, à l’image de la charte graphique de Paper Tales, unique et immédiatement identifiable. Rencontre avec Clément Milker, la moitié du binôme Catch Up Games, pour parler des jeux, de la vision derrière sa maison d’édition et de la place qu’elle occupe actuellement dans un paysage ludique de plus en plus compétitif.

 


 

Salut Clément, Paper Tales : Au-delà des Portes arrive au mois de mai en boutiques. Peux-tu nous donner les points clés de cette extension ?

L’extension fait déjà passer le jeu de 2 à 5 joueurs, à 1 à 7 joueurs. Il y a treize nouvelles unités différentes, dont certaines en deux ou trois exemplaires, ce qui fait vingt nouvelles cartes et six nouveaux bâtiments très spécifiques. Au début de la partie, il faudra retirer la caserne des cinq bâtiments du jeu de base, l’ajouter aux nouveaux bâtiments et mélanger tout cela pour en piocher trois. De cette manière, les joueurs commencent le jeu avec sept bâtiments constructibles, dont au moins deux nouveaux bâtiments inédits venus de l’extension.

Et il y a aussi un mode solo. Était-ce une volonté de l’auteur ou de l’éditeur d’ajouter la possibilité de jouer seul ? C’est parti d’où ?

Cela vient de nous, Catch Up Games. Le mode solo a été créé à la fois par Sébastien [de Catch Up Games] et Masato, l’auteur du jeu. Sébastien, qui joue beaucoup à ce jeu, a eu envie d’y jouer seul et a commencé à développer quelque chose, qu’il a ensuite montré à Masato. Celui-ci a trouvé ça cool, l’a repris et l’a retravaillé un peu dans tous les sens pour au final donner son accord pour l’ajouter dans l’extension. Mais au départ, le mode solo vient de nous, avec la volonté d’avoir quelque chose de rapide à mettre en place. En fait, le solo se joue en un quart d’heure quand on connaît le jeu.

Paper Tales est sorti en septembre. L’extension arrive en mai… Est-ce aujourd’hui une obligation de sortir une extension pour rentabiliser un jeu de base ?

Non, ce n’est pas une obligation car tu ne gagnes pas beaucoup d’argent sur une extension. C’est plus pour faire vivre le jeu, en fait. Et puis tu tires beaucoup moins d’exemplaires de l’extension que du jeu de base. Elle est là parce que le jeu a bien marché en France et à l’étranger, que nous l’aimons beaucoup et que nous avions déjà des bâtiments disponibles. On s’était dit que si le jeu marchait bien, nous réfléchirions à une extension et puisqu’il a bien marché, on s’est permis de le faire. Mais ce n’est jamais une obligation.

Dans la temporalité du monde du jeu de société, ce serait compliqué pour nous, petit éditeur, de faire une extension deux ans après. Il n’y a pas longtemps, ils [Gameworks] ont sorti une extension pour Jamaïca qui arrive donc dix ans après… C’est typiquement le genre de choses que nous ne pouvons pas faire. Ils peuvent se le permettre parce que le jeu Jamaïca est bien installé…

Mais pour nous, sortir une extension, c’est aussi montrer aux joueurs que nous suivons le jeu, lui donnons plus de profondeur, plus de rejouabilité pour qu’il continue à être joué et pour qu’il y ait d’autres gens qui puissent y jouer. C’est une façon de soutenir le jeu. Cela n’a de sens que si tu ne la fais pas plus tard qu’un an après la sortie du jeu de base.

Tu viens de le dire, vous êtes un petit éditeur. Quelles sont les forces, les faiblesses ou les difficultés de votre position dans le milieu du jeu de société ?

Ce n’est pas vraiment un point fort, mais ce qui nous facilite la vie, c’est qu’il ne nous faut pas grand chose pour vivre. On est deux. Ce n’est pas une boîte de dix – quinze personnes. Nous n’avons pas besoin d’avoir d’énormes succès pour vivre. Dans cette position, tu n’es pas obligé de sortir X jeux à l’année, et tu n’es pas obligé de tirer 50 000 exemplaires de chacun de tes jeux. Il y a moins de risques sur l’investissement parce qu’au final, il n’y a que deux salaires à dégager.

Le gros inconvénient, à part le fait que nous ne voyons pas nos familles, est surtout le fait que nous n’avons pas le temps de tout faire. On doit tout faire, mais on ne le peut pas. Du coup, il faut prendre moins de temps pour faire les choses et fatalement, on les fait moins bien. On s’occupe de la communication, on s’occupe de la production, on doit s’occuper du développement… Tout ça, c’est compliqué et on ne peut pas tout maîtriser parfaitement. Ce serait différent si nous avions une personne qui s’occupait de la com, ce serait différent si on avait un directeur de production, un chef de projet qui ne ferait que du dév. On fait tout, donc c’est plus compliqué de faire aussi bien que les grosses boîtes. Mais l’avantage, c’est qu’on a la liberté de faire ce qu’on veut !

Le plus difficile quand on est un petit éditeur comme nous, ce n’est pas la taille, mais les moyens financiers pour soutenir un jeu. Quand tu vois le nombre de jeux qui sortent par an, c’est difficile d’exister. On n’a pas les moyens financiers pour avoir de grosses campagnes de pub. On n’est pas aussi connu de la presse et du public que les gros éditeurs et donc c’est difficile de sortir la tête de l’eau quand t’as un jeu. On aimait bien Paper Tales, on trouvait que c’était un bon jeu. On s’est demandé si nous aurions les épaules pour le soutenir et arriver à le faire connaître. Du coup, il faut essayer de trouver des idées et travailler beaucoup. Je dirai que c’est la plus grosse difficulté. C’est difficile de pousser un jeu aujourd’hui par rapport au nombre de sorties mondiales qu’il y a.

Donc comment faire la différence ? Au niveau visuel déjà… Paper Tales propose une charte graphique assez marquée. Est-ce justement pour sortir son épingle du jeu et se distinguer dans les linéaires ?

Oui, c’est une volonté d’avoir quelque chose de différent. Ça correspond aussi à des demandes de certains gamers. Il y avait pas mal de joueurs qui trouvaient que le milieu tournait un peu toujours sur les mêmes illustrations très consensuelles, que l’on voit tout le temps dans les magasins. On se disait qu’un jeu gamer comme Paper Tales était l’occasion d’avoir quelque chose qui sorte un peu de l’ordinaire, parce que les joueurs sont prêts à l’accepter. Et puis oui, ça se démarque en magasin.

Paper Tales marche très bien, mais c’est difficile de savoir vraiment pourquoi, au-delà du fait que ce soit un très bon jeu. On le dit d’autant plus facilement qu’on a fait très peu de développement dessus — on ne s’envoie pas des fleurs en disant que c’est un bon jeu. C’est difficile de savoir pourquoi il se distingue. C’est peut-être parce que nous avons fait une bonne campagne de com. C’est peut-être parce que nous avons travaillé le jeu pendant longtemps sur les festivals avant la sortie. Peut-être aussi parce qu’il a des qualités que les gens arrivent à identifier plus facilement que sur d’autres jeux…

Est-ce que tu penses que Paper Tales vous a ouvert des portes pour attirer d’autres auteurs ?

Je ne sais pas si c’est tant Paper Tales que le travail d’édition fourni jeu après jeu. On a fait des jeux qui sont quand même très différents. On peut aimer certains de nos jeux et détester les autres. Ça ne se discute pas, les goûts et les couleurs… Mais on reconnaît au moins que nous ne faisons pas n’importe quoi sur l’édition. Nous éditons les jeux correctement avec du matériel quand même correct, voire plus que correct, à des prix corrects. Je pense que c’est surtout ça en fait qui compte pour les auteurs. Ils voient que nous avons maintenant sorti notre cinquième jeu et que jamais nous n’avons fait des choses “pourries”. Je pense que pour un auteur, c’est important de savoir que son jeu sera fait correctement du point de vue de la qualité d’édition, du matériel, du positionnement, des illustrations.

Si j’étais auteur, je n’aurais pas envie d’aller chez un éditeur qui produit du matériel cheap, qui me propose des illustrations pas terribles… Donc, je pense que c’est moins Paper Tales que l’ensemble de tout ce que nous avons fait depuis le début et notre volonté de nous tenir à une certaine rigueur.

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Jihem

La découverte de BurgerTime aux débuts des années 80 aura clairement affecté la vie de ce grand bonhomme. Non seulement, Jihem a développé une passion pour les jeux vidéo, mais il a également choisi de s'installer au pays du hamburger. Sa mère est plutôt heureuse qu'il n'ait pas découvert les jeux avec Boogerman.

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1 commentaire

  1. ludo91470
    ludo91470
    6 mars 2018 à 9 h 50 min

    très bonne interview bravo

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