En tant que petit éditeur, comment vois-tu la montée d’Asmodée, qui avale des studios ou d’autres éditeurs à n’en plus finir, mois après mois ?
C’est compliqué comme question !
Je sais.
Il y a deux façons de le voir, en fait. D’une certaine façon, on ne boxe pas dans la même catégorie. Je reviens à ce que je disais au début. Nous ne sommes pas Asmodée. Nous n’avons pas besoin de tirer à 50, 60, 80 000 exemplaires quand on vend. Si nous arrivons à vendre entre 3 000 et 5 000 exemplaires d’un jeu en France et 10 000 dans le monde, c’est bien, on est content. Si on fait plus, tant mieux ! On n’a pas les mêmes besoins. Ça, c’est en prenant le truc du côté “ça ne nous fait pas peur”.
Le truc qui te fait peur, c’est que malheureusement, on ne peut pas uniquement vendre des jeux en France pour vivre. On a besoin de l’export pour vendre des jeux dans plusieurs pays différents. Si nous devions être inquiets, ce serait plutôt sur ça, en fait. La politique d’Asmodée, extrêmement cohérente, qui consiste à avoir le gros distributeur ou le gros éditeur dans chacun des pays où il s’implante, signifie que dès qu’il sort un jeu, il peut le sortir en vingt langues, avec un gros tirage. On est au niveau mondial, et Asmodée peut profiter de la com mondiale. Ce qui nous fait alors le plus peur, c’est d’imaginer le jour où nous n’arriverons plus à trouver les partenaires, parce qu’ils appartiennent tous à Asmodée, alors que nous n’appartenons pas spécialement à la galaxie Asmodée. Je ne pense pas que ça arrivera, justement parce que nous sommes petits et que nous nous entendrons toujours avec des petits. Paper Tales va être fait par Frosted Games en Allemagne. C’est un petit éditeur comme nous, qui fait 2 000 boîtes sur son marché et qui est quand même distribué par Pegasus, un gros distributeur. Finalement, qu’Asmodée ait acheté Heidelberger n’est pas très grave, parce que de toute façon, nous n’aurions probablement pas vendu le jeu à Heidelberger.
On est partagé. C’est quelque chose que nous suivons avec intérêt. J’ai connu ça dans le milieu du high tech où je travaillais avant et où il y a eu beaucoup de consolidations et pas mal de boîtes qui se sont faites rachetées comme ça. Ça montre que le jeu de société est en train de se développer et qu’il y a de l’argent à se faire. Pour nous, ce n’est pas un trop grand danger, mais ça dépend où ça s’arrête. Cela dit, je ne pense pas qu’Asmodée va racheter quatre boîtes dans chacun des pays. Il y aura toujours des indés pour faire nos jeux.
Pour faire le parallèle avec le jeu vidéo, tu te considères justement comme un éditeur indé ?
C’est quoi un indépendant, en fait, puisqu’on est toujours dépendant des boutiques ?
C’est pour ça que je te pose la question…
Disons que nous avons une vision qui tient de l’artisanat. On n’est pas une grosse machine, on ne fait pas du AAA, pour reprendre le vocabulaire du jeu vidéo ou des films. On fait peu de jeux par an, on essaye de les travailler et de proposer des illustrations nouvelles. On peut dire que c’est de l’indé parce qu’on ne répond pas à des standards. On appelle plus ça de l’artisanat, et ça nous va très bien. On n’a pas envie de grossir, on n’a pas envie d’être dix. On a envie d’être libre de nos choix, de faire ce qu’on a envie et de ne pas devoir faire de grosses ventes pour survivre.
Et ça veut dire quoi “faire ce que vous avez envie” en ce qui concerne l’avenir ?
On va avoir une année assez chargée. On a un petit jeu de cartes qui arrive vers le mois de juin, du format de Freak Shop, notre troisième jeu. Ce sera un petit jeu de cartes plutôt familial à 15 euros, qui se joue en 20 minutes.
Au mois de septembre, on va lancer un jeu de Cyrille Leroy, l’auteur de notre premier jeu, Sapiens, qui reprenait le principe des dominos. Le nouveau jeu reprendra aussi le principe des dominos, mais sur un jeu très différent où tu devras poser des dominos sur un plateau central pour récupérer des ressources à gérer. Et en fin d’année, vers fin octobre, début novembre, on lancera le Kickstarter d’un eurogame sur lequel on travaille depuis longtemps et qui a été finaliste à Boulogne, il y a deux ans. On l’a récupéré à Essen juste après, et nous le présentons cette année à Cannes sous sa version prototype.
À votre niveau, c’est une obligation de passer par Kickstarter/financement participatif pour ce genre de projet ?
Je pense que ce n’est pas dû à notre niveau, mais au genre de projet. De la même manière qu’Asmodée est en train de consolider le marché un peu partout, celui-ci évolue. Il y a de plus en plus de joueurs, il y a de plus en plus de joueurs qui s’intéressent aux jeux de société, mais il n’y a pas de plus en plus de gros gamers, ou alors dans une proportion qui n’est pas très importante. Enfin, je pense. Ça n’engage que moi, mais voilà l’analyse que nous avons fait du marché. À l’exception d’un Terraforming Mars ou d’un Great Western, sortir un gros jeu dans le commerce, c’est aujourd’hui compliqué avec toutes les problématiques que l’on rencontre à l’international. Si ton jeu ne marche pas très bien en France, ça va être compliqué de le vendre à l’international, mais en même temps, tu as besoin de l’international pour le vendre et donc je pense que sortir un gros jeu, ça marche mieux par Kickstarter. Pas tant pour des raisons de marges, mais parce qu’une bonne partie de la cible gamer s’y trouve maintenant.
Ça m’étonnerait que les gens arrêtent de pledger des Kickstarter vu comme c’est parti. Kickstarter permet aussi d’avoir du matériel de meilleure qualité à des prix qui ne seraient pas envisageables en boutique. En tout cas, ce ne serait pas cohérent de vendre un jeu 80 euros en boutique. Donc tu peux faire une version deluxe pour Kickstarter et avoir une version boîte qui coûtera moins cher, mais qui permettra de placer le jeu en boutique. C’est ce que nous ferons sur le Kickstarter. Et puis, c’est également un bon vecteur de communication puisque tu touches d’un coup toute une population, tu fais un point très concentré sur ton jeu pendant trois semaines et tout cela permet de bien lancer le jeu… Si tant est que ton Kickstarter fonctionne ! C’est pas du tout assuré !
On va suivre ça et on te souhaite le meilleur pour ces projets. Merci.
1 commentaire
ludo91470
6 mars 2018 à 9 h 50 mintrès bonne interview bravo