Vincent Dutrait : « À défaut d’être le meilleur, rends-toi indispensable. »Coulisses

Vincent Dutrait : « À défaut d’être le meilleur, rends-toi indispensable. »

Tu habites en Corée du Sud…

Oui, oui. C’est ca.

Est-ce que le fait d’habiter là-bas influence ton dessin?

Je pense que oui parce qu’il se trouve qu’en Corée du Sud, les Coréens utilisent une langue qui a un alphabet très graphique donc on est non stop confronté à du graphisme. Ce ne sont pas des idéogrammes comme en chinois ou japonais. Les coréens sont très sensibles aux graphismes, aux icônes. C’est certainement parce que pendant longtemps il y a eu beaucoup d’illettrés. Par exemple, quand on prend un ascenseur et qu’il y a un message affiché, il y a toujours des icônes pour simplifier et transmettre l’information. Je pense que ça m’influence pas mal et ça me donne souvent des idées. Je vois des fois des panneaux publicitaires ou des notices d’informations et je me rends compte que j’ai tout compris alors que je lis le coréen un peu n’importe comment et que je n’y comprends généralement pas grand chose. Mais là, je les comprends parce qu’il y a un enchainement de trois icônes en dessous du texte. Ils sont très forts sur le graphisme et sur la transmission de l’information par l’image.

Est-ce que as un exemple de projet qui a peut-être été difficile à aborder et dont aujourd’hui tu es particulièrement fier du résultat?

Un peu tous les projets en fait… J’aime bien les projets où il y a un peu de challenge et je ne parle pas uniquement en termes de volume, par exemple un jeu qui aurait cent-quatre-vingt cartes faire. Je parle de jeux dont le sujet n’est pas évident a aborder ou que je ne connais pas. Par exemple, là je travaille actuellement sur un jeu qui s’appelle Detective: City of Angels. Il se passe en 1940 aux États-Unis et il y a eu un énorme travail de recherche à faire. Bon, l’éditeur m’a bien aidé, mais je suis vraiment très fier du résultat. Nous sommes allés très loin dans les recherches, dans les clins d’œil. C’était assez rigolo parce qu’à un moment, j’ai suggéré que certains scénarios se passent en été ou en hiver ou même pendant l’automne pour varier les gammes de couleurs justement et influencer les joueurs. Et l’éditeur m’a dit « Fais attention, il n’a pas eu de neige à Los Angeles depuis 1960 ! Donc c’est l’hiver, mais il n’y a pas de neige. » Ok, merci, comme ça pas de boulette…

Ça a été un gros travail de recherches sur les vêtements et l’ambiance. Alors oui, il y a la formidable machine Internet, mais il y a aussi des livres, des films… J’ai hâte de voir l’ensemble complet et monté. C’était pareil pour New York 1901, qui avait beaucoup marqué les américains. Et ce que je trouve rigolo, c’est que je n’avais jamais mis les pieds à New York ! J’ai fait un travail de recherches énorme. J’ai demandé, j’ai questionné. L’auteur est en plus collectionneur de cartes postales d’époque. Donc il pouvait me sortir la carte postale de l’année 1901 de chaque bâtiment. On a fait un travail monumental.

Tout comme pour Lewis & Clark aussi. À GenCon, quand je suis allé dédicacer le jeu, je déconne pas, j’ai vu un trappeur venir me voir avec sa boîte. Il s’était tapé douze heures de train depuis les montagnes parce que le jeu se déroulait chez lui. Ça l’avait touché et il était content parce qu’il reconnaissait son environnement dans le jeu, parce que j’avais fait des recherches sur chaque personnage, chaque lieu, etc. Le mec était descendu de la montagne ce qui veut dire que j’ai fait le boulot comme il faut et c’est ce qui est le plus gratifiant. Que le jeu se vende bien tout ça, c’est formidable, mais de te dire que les gens se reconnaissent et que ça a procuré de l’émotion à quelqu’un, c’est ce qui me fait le plus plaisir. Autant que de savoir que les gens manipulent mes images.

Tu as récemment refait les versions iOS et Android de Jaipur. Si on te donnait carte blanche pour refaire les visuels d’un autre jeu, lequel choisirais-tu ?

J’ai envie de dire qu’il y en a beaucoup où le plaisir de jeu est gâché mais… Comme ça je ne sais pas trop… Il y a quelque chose à laquelle j’aimerais bien m’atteler, c’est peut être un gros jeu de figurines, comme les mastodontes FFG… Il y a des choses qui m’intéresseraient vraiment. Je n’ai pas peur du volume. Je n’ai pas peur de la charge de travail. D’ailleurs Cool Mini or Not m’a approché. On est en discussion. Je ne pense pas que ce sera pour du gros Kickstarter mais pour les gammes qu’ils développent plus pour les boutiques…

Pour en revenir la question, je ne sais pas, mais j’ai une anecdote dans cet esprit. Il y a un jeu d’aventures qui s’appelle 10 Millions d’Années Avant JC (10 millions BC en anglais), qui est sorti il n’y a pas longtemps aux États-Unis. Moi, je le trouvais rigolo parce qu’en fait, on a utilisé une machine à voyager dans le temps et puis on arrive au temps des dinosaures. Ça ouvre des failles temporelles et, par exemple, il y a Einstein qui se retrouve sur le plateau ! Il faut le récupérer le plus vite possible et le remettre dans la faille. J’ai trouvé le jeu super rigolo, super fun, mais franchement tellement vilain que je n’ai pas fini la partie. Je connais l’éditeur. Je me mets sur mon ordinateur après, je reçois un email de l’éditeur qui me dit « Écoute Vincent, on a quelque chose à te demander on aimerait refaire ce jeu. » Un concours de circonstances assez étonnant. Alors je n’ai pas refait toutes les images, mais j’ai repris tout le graphic design en me disant que c’est comme ça que j’aurais aimé y jouer !

On va terminer sur cette belle anecdote. Merci beaucoup !

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Jihem

La découverte de BurgerTime aux débuts des années 80 aura clairement affecté la vie de ce grand bonhomme. Non seulement, Jihem a développé une passion pour les jeux vidéo, mais il a également choisi de s'installer au pays du hamburger. Sa mère est plutôt heureuse qu'il n'ait pas découvert les jeux avec Boogerman.

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