Sorti l’année dernière, Dice Forge a rapidement conquis les joueurs, au point de figurer parmi la liste des nommés aux As d’Or 2018. Nous avons donc profité du Festival International des Jeux pour rencontrer l’auteur et l’illustrateur du jeu, Régis Bonnessée et Biboun, et leur poser quelques questions sur leur métier et l’industrie du jeu de société.
Tout d’abord, félicitations pour cette nouvelle nomination aux As d’Or !
Régis Bonnessée & Biboun : Merci beaucoup !
Peux-tu nous raconter comment est né Dice Forge ?
RB : Pour être tout à fait honnête, cela s’est fait en deux temps. On a commencé par commander des pelletées de LEGO dice. Je ne savais pas encore exactement quoi en faire, mais en tant que créatif, cela m’a beaucoup inspiré. J’en ai reçu pendant quelques mois et je me suis lancé. C’était un vendredi. J’ai posé les bases de ce qu’allait devenir Dice Forge. Et le lendemain, j’ai posté un message sur Facebook en demandant si des personnes étaient intéressées pour tester le jeu. On a fait la première partie le dimanche, ça tournait déjà plutôt bien. Et de fil en aiguille, Dice Forge est né. Concernant sa mécanique initiale, le jeu a intrinsèquement peu changé. On a ensuite beaucoup travaillé sur l’équilibrage, la difficulté, l’ergonomie, etc. Mais l’idée de base est venue assez vite.
Quand es-tu arrivé sur le projet ?
Biboun : Je suis arrivé lorsque la toute première version du prototype a été créée. J’avais pu voir une vidéo du jeu — je demande souvent aux éditeurs de m’en envoyer lorsque je ne peux pas tester le jeu — et c’est assez drôle de voir son évolution depuis. On a donc réalisé une première production du plateau, mais suite aux différents changements opérés, on a tout balayé et on a tout repris. Le jeu final est vraiment mieux que ce qu’il était.
L’univers graphique était-il identique ?
Biboun : Oui, mais il était beaucoup plus simple au début. Il y avait beaucoup moins de contexte, d’histoire. Aujourd’hui, l’univers est plus contextualisé, il a un côté « animation », qui m’a beaucoup plu. Le directeur artistique, Jérémy Couturier, a fait un gros travail de recherche et une bonne analyse de l’univers du jeu en trouvant ce qui était intéressant d’aborder. C’était un vrai travail d’équipe.
Justement, on a le sentiment que le travail d’équipe est une valeur forte chez Libellud. On a pu voir le prototype de One Key, qui sera un jeu signé Libellud Studio. C’est quelque chose qu’on a l’habitude de voir dans le jeu vidéo, mais pas dans le jeu de société. Est-ce important pour vous de valoriser l’équipe dans le processus de création de jeux ?
RB : C’est effectivement une de nos valeurs. La coresponsabilité, l’échange sont des notions qui sont au cœur de notre projet d’équipe. En tant qu’entrepreneur, je place l’aventure humaine avant même le projet. Je n’aurai clairement pas envie de mener un projet avec des personnes que je n’apprécie pas, avec qui je ne partage rien. J’ose espérer que c’est l’avenir des entreprises en général : partager, échanger, avoir un but commun, se sentir bien. C’est une question à poser à mes collègues, mais je pense que nous essayons d’innover sur de nombreux aspects, notamment au niveau décisionnel. Nous avons écarté le système pyramidal au profit de l’échange et du partage.
En tant que créatif, j’ai voulu instaurer un maximum de créativité dans l’entreprise : nous avons quatre game designers et aucun commercial, j’assume ce rôle, sans être le meilleur. Nous sommes une boîte de créatifs. Nous avons donc eu envie de mener nous-mêmes des projets, le tout a été de fédérer les aspirations de chacun. Je suis extrêmement fier des projets qui vont sortir, nous verrons bien si l’histoire nous donnera raison. En tout cas, nous prenons énormément de plaisir.
On constate que Libellud propose beaucoup de jeux coopératifs, basés sur la communication ? Est-ce une volonté de retranscrire et d’insuffler ces valeurs dans les jeux ?
RB : Effectivement. Je parlais de nos valeurs, elles se déclinent également dans notre ligne éditoriale. Chez Libellud, nous préférons les jeux qui fédèrent aux jeux qui opposent. Certes, Dice Forge n’est pas un jeu coopératif, mais il ne propose pas d’affrontement direct. Certains peuvent lui reprocher un manque d’interaction. Je ne voulais pas que le jeu soit source de frustration. À l’image de Seasons, lorsqu’il y a une interaction, elle va toucher l’ensemble des joueurs et non une personne en particulier. Pour nous, le jeu doit être un moment d’échanges, dans lequel on se forge des souvenirs. Il ne doit pas créer de tension entre les participants. Il y a donc une réelle volonté à la fois éditoriale et humaine derrière tout cela.
Il semblerait que les échanges dont tu parles passent énormément par les illustrations. Je pense notamment à Mysterium, Dixit, à vos nouveaux projets, etc. Est-ce également une volonté de la part de Libellud de véhiculer la parole par l’image ?
RB : Tout à fait. Derrière le jeu, il y a toute une analyse qui s’est forgée au sein de l’équipe au fil des années. Nous avons eu énormément de discussions, nous avons nourri de nombreuses théories, nous avons écrit des choses, etc. Rien n’est dû au hasard : si aujourd’hui nous faisons beaucoup de jeux de communication basés sur l’image, c’est parce que nous avons réfléchi en amont. Le fruit de ses réflexions se retranscrit dans nos créations. C’est aussi cela la force d’une équipe : se nourrir de tous les échanges que nous avons et Dieu sait qu’ils sont riches ! Nous avons une vision qui évolue progressivement ; l’image représente un monde d’une richesse infinie, qui permet de faire énormément de choses sans forcément se plagier soi-même. Chaque jeu que nous sortirons, de communication sociale ou non, aura son ADN et son identité propres.
En tant qu’illustrateur, est-ce que cela ajoute une pression supplémentaire de participer à ce type de projet ?
Biboun : Au contraire ! Une entreprise qui met en avant ce genre de valeurs, ça me parle de suite ! J’ai plutôt tendance à me lancer directement. Bien sûr, il faut s’intéresser au projet également. C’est une optique que je partage, ce n’est donc pas une pression, c’est plutôt une source de motivation. La communication occupe une place importante au sein de Libellud et c’est extrêmement enrichissant de pouvoir partager autant de choses avec tout le monde, pas uniquement le créateur du jeu. Chacun participe aux discussions et a son mot à dire.
D’un point de vue personnel, j’accepte tout ce qu’on me dit et j’essaie d’être le plus ouvert possible pour ne pas enrayer la machine et nuire au jeu. Ces discussions permettent de tout mettre en lumière. Libellud a pris le temps de bien faire les choses. La première version de Dice Forge fonctionnait plutôt pas mal, elle aurait pu sortir telle quelle, malgré ses lacunes. Mais l’équipe n’a pas hésité à tout reprendre. J’en suis sorti grandi, c’était génial !
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