La hype : tous acteurs, tous victimesOpinion

La hype : tous acteurs, tous victimes

Il ne s’agit peut-être que d’une illusion, mais j’ai la farouche impression qu’on a assisté ces dernières années à un emballement de plus en plus effréné autour des sorties de jeux vidéo. Difficile de dater précisément le début de ce phénomène, si ça se trouve cette tendance que je crois vaguement distinguer n’est qu’une vue de l’esprit qui est due à ma propre trajectoire en tant que journaliste spécialisé. On pourrait en effet facilement me répondre que le principe même des critiques sanctionnées par des notes toujours plus hautes ne date pas d’hier et que la presse spécialisée a toujours joué le jeu de la surenchère autour des nouveautés. On ne m’enlèvera tout de même pas de la tête que ce petit manège prend aujourd’hui des proportions considérables avec l’explosion des budgets dédiés au marketing et le développement des réseaux sociaux qui font office de caisse de résonance. Étant donné que tout cela relève du ressenti personnel, je vais avoir du mal à vous fournir des chiffres pour étayer mes propos, je vais donc me contenter de retracer avec vous les éléments récents qui ont attisé mon raz-le-bol de cet engouement démesuré et éphémère que suscite chaque semblant de nouveauté.

Sommes-nous des moutons condamnés à voir passer impuissants le train de la hype ?

Sommes-nous des moutons condamnés à voir passer impuissants le train de la hype ?

Un soufflé peut en cacher un autre

Vous vous en doutez peut-être, mais c’est en travaillant sur le test de Metal Gear Solid V : The Phantom Pain que cette fameuse moutarde m’est montée au nez. Il faut dire que le titre suscitait des attentes énormes : on espérait un véritable feu d’artifice de la part Kojima qui signait là ses adieux à la série. Les nombreux fans de la saga Metal Gear étaient chauffés à blanc la veille de la sortie, les déclarations d’amour fusaient déjà sur les réseaux sociaux et sur les forums, le tout porté par un flot de news qui semblait ne jamais vouloir se tarir. Les premiers avis de la presse spécialisée n’ont rien arrangé : ils étaient unanimes, il s’agissait d’un chef d’œuvre ! On a entendu qu’on tenait peut-être là le premier jeu véritablement « next gen », qu’il proposait une fin en apothéose pour l’ensemble de la série… Tout excité à l’idée d’effleurer la perfection du doigt, je me suis donc lancé dans l’aventure. J’ai découvert un jeu relativement bon dans sa forme, mais plutôt décevant dans son propos, et surtout doté d’un final en queue de poisson. D’ailleurs les révélations concernant du contenu tronqué n’ont pas tardé à émerger quelques semaines après la sortie. Le soufflé était déjà retombé, laissant la place au prochain « jeu du siècle »…

Le but de Kojima ne serait-il pas de nous mettre en boîte ?

Le but de Kojima ne serait-il pas de nous mettre en boîte ?

Je vous vois venir, j’aurai du me douter que le titre ne tiendrait pas toutes ses folles promesses. En effet, ces derniers temps on nous fait le coup du premier soft véritablement « next gen », voire du jeu de la décennie, plusieurs fois par an. Sur les douze derniers mois, on avait déjà eu droit au même couplet pour The Witcher 3 et pour la version PS4 et Xbox One de GTA V… Attention, il s’agit là encore de très bons titres, je me demande juste quelle signification donner à l’unanimité qui entoure leur sortie. Certes, l’aspect événementiel du lancement est en bonne partie à chercher du côté d’une solide stratégie de communication de la part de l’éditeur, mais ça ne fait pas tout. Il ne suffit pas d’une bonne campagne marketing pour que le jeu en question devienne le sujet de discussion central de toute la presse spécialisée, ni pour transformer de paisibles consommateurs en farouches défenseurs d’une licence fétiche. C’est un peu comme si se cristallisaient autour de ces lancements tous les éléments, toute l’attention nécessaire pour en faire des événements, pour qu’ils s’imposent d’eux-mêmes comme des faits d’actualité.

Un mouvement qui ne se limite pas aux bons coups de com’

Les plus complotistes d’entre vous n’auront sans doute pas tardé à y voir le signe d’une main invisible, d’un méticuleux travail de manipulation, mais force est de constater que même les campagnes marketing les plus paresseuses peuvent porter leur fruit. On en a eu un exemple récemment avec le teasing organisé par Ubisoft autour de l’annonce de Far Cry Primal. Un simple dézoom sur une peinture rupestre a suffit à mettre en émoi toute une partie du net, ou tout du moins à susciter la curiosité et l’attente des milieux autorisés. Pourtant, il y avait de quoi être plutôt sceptique devant une telle annonce : non seulement la série quitte son cadre habituel, mais on peut aussi rappeler qu’il n’est pas forcément de bon augure de dévoiler un jeu seulement quatre mois avant son lancement… Bref, ajoutez à cela un petit leak avant la fin du teasing, et vous comprenez qu’il n’était pas évident du tout que le buzz prenne. Finalement, si cette annonce a fait actualité, c’est moins parce qu’elle était soutenue par un dispositif imposant, que parce que ceux qui l’ont relayée voulaient tout bêtement qu’il se passe quelque chose. En quelque sorte c’est leur attente qui crée l’attente, un phénomène qui s’auto-alimente même s’il tourne à vide, créant des sortes de bulles spéculatives concernant la qualité des jeux en question.

Far Cry Primal a réussi à faire parler de lui avec un dispositif de com' plutôt sommaire.

Far Cry Primal a réussi à faire parler de lui avec un dispositif de com’ plutôt sommaire.

On se rend bien compte que la hype engendrée par certains jeux n’est pas uniquement le fait de stratagèmes mis en place par des agences de communication lorsqu’elle touche aussi des titres indépendants. D’ailleurs les développeurs de ces derniers ont parfois du mal à gérer cet aspect. Actuellement, le cas le plus emblématique est certainement No Man’s Sky : de par son concept même (la découverte d’une immensité spatiale truffée de planètes singulières) le jeu a suscité énormément d’attentes dès son annonce. Aujourd’hui, alors que le titre n’est pas encore sorti, on assiste déjà à un essoufflement de l’intérêt porté au titre. C’est un peu comme si l’énorme engouement qu’ont provoqué malgré elles les équipes de Hello Games était en train de se retourner contre leur bébé que certains annoncent déjà mort-né. Il n’est pas évident de garder l’équilibre lorsque l’on surfe la vague de la hype, vous aurez toujours quelques ronchons pour chercher à vous pousser de la planche. Je dois bien avouer que je peux parfois tenir ce rôle bien malgré moi. Par exemple, j’ai beau adorer les précédentes productions d’Introversion Software et m’être éclaté sur une vieille alpha de Prison Architect, je n’ai pour l’instant aucune envie de relancer le jeu qui vient pourtant d’arriver en version finale. Je sais bien que le titre est certainement excellent, mais il a déjà été tellement porté aux nues que ça me coupe le désir de me lancer à corps perdu dans la folle aventure que constitue la gestion pénitentiaire.

La difficulté à trouver la juste distance

Je ne suis pas vraiment fier de me retrouver ainsi l’esclave d’une mode, parce que dans le fond une attitude de rejet n’est pas plus saine qu’un suivisme béat, dans les deux cas on se laisse dicter notre comportement par une tendance extérieure. Mais cette attitude permet de mettre à jour un mécanisme qui est sans doute central dans ces mouvements d’engouement puis de désamour collectifs : la soif de découverte. À mon avis c’est cette envie de nouveauté qui brouille nos perceptions, qui nous donne à voir des mirages, et c’est ce même élan qui crée la déception en venant se fracasser au réel ou tout simplement en s’émoussant une fois que l’objet de nos fantasmes a perdu de sa fraîcheur et de son originalité. Vous pensez que cette idée de découverte colle assez mal aux phénomènes qui entourent les blockbusters, ces jeux dont on semble tout savoir avant même leur lancement ? Détrompez-vous, ayant moi-même plusieurs fois cédé à la hype et attribué des notes que je qualifierai avec du recul comme parfois un peu trop hautes, je peux vous assurer que personne ne venait me mettre un couteau sous la gorge pour que je gonfle mon appréciation. C’est plutôt que j’étais sous le coup de l’effet de nouveauté : en faisant partie des premiers à mettre la main sur un jeu, on a, consciemment ou non, l’impression d’investir un territoire vierge. On retrouve donc bel et bien cette impression grisante de découverte qui peut venir brouiller un temps le jugement.

Même les moules dépendent des courants pour vivre...

Même les moules dépendent des courants pour vivre…

Si vous avez suivi le rythme des publications sur ExtraLife.fr, vous savez certainement déjà que l’une des solutions qu’on préconise pour se défaire de l’influence des modes est de prendre son temps. Quand les tests ou les news ne sont pas rédigés dans la précipitation, il y a forcément moins de chance qu’ils soient sous le joug de cet effet de découverte. On pourra nous reprocher de faire mine de réinventer la roue, les magazines papier sont par la force des choses plus ou moins déconnectés de l’actualité brûlante ce qui leur permet de traiter parfois le lancement des jeux avec un certain recul (sauf bien entendu lorsqu’ils sont conviés à des événements qui ont lieu avant même ceux organisés pour la presse web…). Mais surtout, il est illusoire de penser qu’il suffit de faire un pas en arrière pour se débarrasser totalement de l’influence de la hype : non seulement le pas en question peut être trop grand et donc s’apparenter à un rejet qui ne serait pas forcément justifié, mais aussi et surtout parce que, qu’on le veuille ou non, on baigne dans un environnement qui est ainsi régulièrement secoué par les vagues de la hype. Même la moule accrochée à son caillou dépend des courants pour vivre ! Plutôt que de viser une neutralité illusoire qui serait mortifère, mieux vaut chercher à comprendre les mouvements qui nous animent pour mieux les domestiquer.

miniblob

Tombé sur Terre un peu par hasard, le blob dévore mollement tout ce qu'il trouve dans l'espoir de comprendre son environnement. Ne jugez pas trop sévèrement son appétit vorace ou vous risquez d'être au menu de son prochain repas.

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43 commentaires

  1. masterpad
    masterpad
    16 octobre 2015 à 14 h 06 min

    J’adore ce site!!!

  2. Lancien
    Lancien
    19 octobre 2015 à 23 h 56 min

    J’ai déjà souligné se type d’approche dans l’une des mes chroniques une fois (l’année dernière).
    Cela est une question de maturité en quelque sorte.Prendre du recul et avoir le sens de l’analyse nécessite obligatoirement déjà des connaissances du domaine.
    Les sirènes du Marketing sont la exclusivement pour “le consommateur”, pas le passionné.
    Nous l’avons vu avec le “WatchdogsGate” et l’enfumage lors d’un certain E3.

    La problématique est “l’éducation” des nouveaux joueurs vérolé par la “Hype” et pris en tenaille par la vitesse de l’information.
    On ne prend plus la peine de vérifier l’info, on l’ingurgite systématiquement.
    j’appelle cela de l’anthropophagie informative. Le concept de la Beta est plus adéquate, même si cela gâche un peu l’effet de surprise.
    Mais on oubli une chose, il s’agit d’argent! Donc d’un investissement personnel, pour cela il faut être exigeant.
    On a tous été victime une fois au moins quelque soit nos connaissances du domaine.

    Mais comme on dit ” …on ne m’y reprendra pas une deuxième fois….”
    “l’ancien”

  3. Resident_Evil_Collection
    Resident_Evil_Collection
    21 octobre 2015 à 12 h 04 min

    Ces dernières années, depuis 2007/2008 je dirais, ce phénomène n’a fait que s’amplifier.
    La part de Marketing dans le coût du jeu dépassant les 30%, 40%, voir 50% pour certains est quand même incroyable!
    Ok il faut communiquer pour vendre un jeu, bon nombres de superbes softs ont malheureusement vu leur carrière tomber à l’eau car sortis dans l’indifférence la plus totale, mais de là à créer une envie juste par le marketing et non pour les qualités du jeu en question, ça devient fou.

    Et c’est encore plus fou de voir à quel point tout le monde veut un jeu X ou Y, car on ne parle que de ça, on ne voit que ça, IL FAUT DONC CA POUR ÊTRE DANS LA NORME!
    Toujours risible aussi de voir comment cet effet s’essouffle tel un ballon de baudruche ne serait-ce que une semaine après la sortie dudit titre, ça montre à quel point tout cela était artificiel.

  4. deadhunters
    deadhunters
    26 octobre 2015 à 18 h 56 min

    Excellent article, et très bien rédigé qui plus est !
    Bizarrement, j’en suis venu à me questionner sur la hype dans le jeux vidéo après avoir terminé MGS V également !
    Je pense que la hype est de plus en plus présente depuis la démocratisation d’internet et qui plus est des réseaux sociaux. Bien sur le principal vecteur reste les journalistes qui pour la plupart, et pour les plus gros sites, nous envahissent de news, de vidéos, d’aperçu et de reportages sur les jeux qui ne font qu’engendrer encore plus de hype autour des jeux.
    Je ne pense pas que la hype découle directement du marketing incessant autour de certains titre. Pour reprendre ton exemple de “No man sky”, le jeu n’a pas trop été sujet à un marketing incéssant, il est apparu sur un salon et de fil en aiguille, tout le monde s’est emballé sans en savoir plus que ça sur le jeu.
    Pour synthétiser, selon moi, la hype est un phénomène normal chez l’être humain mais c’est à chacun de se demander sur quoi la hype d’un jeu est basée. J’entends par là qu’il est normal d’être hypé par jeu dont beaucoup de contenue à été dévoilé. Cependant, il n’est pas normal d’être hypé par une bande annonce en CG.
    Il faut également garder en tête qu’énormément se hyper, c’est donner plus de chances au sentiment de déception d’apparaitre. C’est à chacun de garder la tête froide face aux nouvelles sortie, et encore plus quand c’est un nouvel opus d’une série à succès !

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