Deep Blue : Pas si profond Test JDS

Deep Blue : Pas si profond

Deep Blue nous propose une chasse aux trésors, ou plutôt une course aux trésors dans les profondeurs sous-marines. Pendant près d’une heure, chaque joueur gèrera son équipage et mènera ses barques vers différents sites de plongée où, avec un peu de chance, se trouvent englouti or, argent, joyaux et autres artefacts de valeur. Avant de devenir riche, il faudra néanmoins prendre quelques risques, prévenir le moindre problème d’oxygène et veiller à se protéger contre des attaques de monstres marins. Un beau programme, n’est-ce pas ? En surface oui, mais que vaut le fond ?

Deep Blue part en effet sur un joli pitch puisqu’on imagine déjà toute la tension qui encadrera nos expéditions aquatiques, plus dangereuses les unes que les autres. On se voit recruter son propre équipage de loups de mer, afin de repérer les meilleurs coins pour fouiller les épaves et en extraire de gros trésors. Au risque de vous décevoir, la réalité n’est, hélas, pas aussi glorieuse.

Durant son tour, un joueur a le choix entre quatre choses à faire : se déplacer, recruter de nouveaux membres d’équipage, effectuer une plongée ou se reposer. Pour se déplacer ou recruter, il suffit d’utiliser une ou plusieurs cartes affichant une hélice (pour se déplacer) ou de l’argent (pour recruter). Les cartes utilisées ne sont jamais perdues : elles rejoignent momentanément la défausse personnelle du joueur et pourront être récupérées plus tard, en se reposant. Durant le repos, justement, le joueur mélange sa défausse et reprend en main les trois premières cartes de son paquet. En toute logique, plus vous attendrez avant de vous reposer, plus diluée sera votre défausse, et moins vous aurez de chance de retrouver la ou les cartes que vous souhaitiez absolument récupérer. D’expérience, les joueurs enchaînent donc plusieurs tours en ne faisant rien d’autre que de se reposer jusqu’à regagner l’ensemble de leurs cartes.

Stop ou encornet

Les points sont conservés dans son coffre.

Le gros morceau du jeu se concentre évidemment dans les plongées. C’est là que Deep Blue affiche sa véritable couleur, celle d’un jeu de « stop ou encore ». En effet, lors d’une plongée, le capitaine, c’est-à-dire le joueur qui a déclenché la plongée, pioche à l’aveugle des gemmes colorées dans un sac. Tant qu’il pioche des trésors, tout va bien. Chaque couleur de gemme vaut un certain nombre de points, que le plongeur pourra empocher en cas de plongée victorieuse. Mais dans le sac se cachent aussi des gemmes bleues et des gemmes noires symbolisant respectivement des problèmes d’oxygène et des attaques de monstres qu’il faut obligatoirement pouvoir contrer d’une façon ou d’une autre. Nous y reviendrons. Selon le principe du « stop ou encore », le chef de plongée peut à tout moment mettre un terme à son exploration pour alors empocher le pactole, mais il peut aussi très bien continuer de piocher en espérant trouver d’autres trésors. Le hic, c’est que s’il va trop loin et se trouve face à un problème qu’il ne peut résoudre (manque d’oxygène ou attaque de monstre), il est alors forcé de remonter à la surface, ce qui lui fait tout perdre, ou presque. Nous reviendrons également sur ce point un peu plus bas.

Les bateaux se placent sur les bonus de reconnaissance de la tuile pour gagner plus ou se protéger lors de la plongée.

Notez que lorsqu’un joueur déclenche une plongée, tous les bateaux déjà présents à cet endroit participent automatiquement avec lui à l’expédition. L’invitation est même lancée aux bateaux avoisinants qui peuvent gratuitement se joindre s’ils le souhaitent. Ceci dit, tout le monde se retrouve à la merci du chef de plongée, seule personne à piocher dans le sac, et donc seul décisionnaire sur quand arrêter la plongée. D’une certaine manière, Deep Blue est donc un « stop ou encore » qui trouve le moyen de priver les joueurs de la seule et unique décision à faire dans ce type de jeu : choisir de dire stop ou encore. Mais bon, pourquoi pas. Voilà en tout cas pour l’aspect « stop ou encore » forcément très hasardeux et bien trop léger pour tenir en haleine des joueurs une heure durant. C’est là qu’intervient la deuxième facette de Deep Blue : la composante gestion de mains de cartes évoquée plus haut et permettant de superviser son équipage pour influer sur les plongées.

L’équipe palourde

Les membres d’équipage à recruter offrent différents types d’avantages. Certains sont utiles pour naviguer plus loin tandis que d’autres nous protègent contre le manque d’air ou contre les attaques de monstres. Il y a aussi une ribambelle d’équipiers qui augmentent la valeur des gemmes piochées lors des plongées ou qui accordent des points lorsqu’un certain nombre de gemmes sont piochées. Ainsi, la plupart des équipiers servent durant les plongées et il faudra les jouer au moment opportun, en fonction de ce qui est pioché. Une gemme bleue est tirée du sac ? Jouez un équipier capable de vous donner de l’air et vous pourrez continuer la plongée. Un artefact est trouvé ? Jouez l’équipier qui lui donne de la valeur, sans quoi il ne vaut rien. Et ainsi de suite. À la fin de la plongée, toutes les cartes jouées qui accordent des points seront validées quoi qu’il arrive. Même si un joueur est obligé de remonter à la surface, ses cartes sont tout de même comptabilisées. C’est ce que j’évoquais plus haut. Si un joueur met fin à la plongée de lui-même, il encaisse l’ensemble des points donnés par ses gemmes ET par ses cartes. En revanche, s’il doit remonter suite à un problème d’air ou à un monstre qu’il ne peut éviter, il perd alors tous les points des gemmes piochées, mais conserve cependant les points liés aux cartes jouées. C’est déjà ça. Au passage, tous les équipiers joués lors d’une plongée rejoignent la défausse et pourront être récupérés plus tard en se reposant.

Une partie des membres de l’équipage à recruter.

Ce qu’il faut retenir, c’est qu’à partir d’un marché commun, tout le monde recrute son équipage en vue d’améliorer ses chances lors des phases de plongée. Sur le papier, l’idée est excellente ; dans la pratique, elle ne fonctionne pas aussi bien que prévue. Le fait est que les joueurs passent toute la première moitié de la partie à recruter de façon bête et méchante avant d’aborder les plongées, qui seront alors plus ou moins fructueuses en fonction de leurs recrutements. Et il n’y a pas de stratégie ici. On recrute en fonction de ce que le marché propose et de ce que nos cartes nous offrent, quitte à se reposer ce tour-ci pour se refaire une santé financière et recruter au tour suivant. L’idée est juste d’améliorer son paquet de cartes le plus vite possible, et surtout de le faire avant les autres.

La partie s’arrête quand les 4 épaves de la cité légendaire sont explorées.

Alors évidemment, rien n’oblige à recruter avant de plonger. Un joueur peut tout à fait partir en mer et déclencher des plongées avec un équipage réduit s’il le souhaite. Chacun commence d’ailleurs la partie avec quatre cartes de base. Mais pendant qu’il prendra le large, ses concurrents rafleront forcément tous les bons équipiers et reprendront donc l’avantage dès leur première plongée. Le déséquilibre est d’ailleurs flagrant entre ceux qui auront pris le temps de gonfler leur équipage et les autres. Ne serait-ce qu’au niveau des équipiers capables de contrer un manque d’air ou une attaque de monstre. Ceux-là sont peu nombreux, mais permettent forcément à leur possesseurs de tenir plus longtemps sous l’eau et donc de trouver plus de trésors. Sachant cela, les joueurs se sentent donc contraints et forcés d’effectuer leurs recrutements dès le départ – à la fois pour se préparer eux-mêmes, mais également pour empêcher les adversaires de devenir trop puissants. Faire autrement ne mène simplement à rien dans Deep Blue, ce qui souligne un vrai problème dans le game design.

Mer (trop) calme

Ici, 3 argent, 2 or, 1 artefact vert et 1 antiquité violette. Une gemme bleue et 2 gemmes noires ont aussi été tirées du sac.

Ce n’est pas le seul problème dont souffre Deep Blue. On pourrait aussi s’attarder sur l’absence de rythme et de moments forts durant la partie. Il n’y a pour ainsi dire aucune montée en puissance ni accélération vers un grand final. Et puisque le jeu est si prompt à nous faire recruter l’ensemble de notre équipage avant de prendre la mer, toutes les plongées se ressemblent inéluctablement. Après la longue phase de recrutement, le jeu passe rapidement en pilotage automatique où chacun plonge, se repose quelques tours pour retrouver l’ensemble de son équipage, se déplace, plonge, se repose et ainsi de suite. Entre temps, il y a tous ces moments où il faut patiemment attendre qu’une plongée se déroule sans nous, puis une autre, et éventuellement encore une autre. En fait, même lorsqu’on fait partie d’une plongée, il n’y a rien de bien palpitant à observer jusqu’où le chef de plongée nous conduira. La décision lui appartient entièrement, nous pouvons simplement regretter qu’une plongée s’arrête trop vite, ou au contraire se poursuive alors que nous n’avons rien pour nous protéger. En nous dépouillant de cette décision, Deep Blue nous limite donc à jouer nos cartes, ce que l’on fait beaucoup trop machinalement. Car là non plus, il n’y a pas vraiment de stratégie à adopter. À quoi bon garder ses cartes pour la plongée suivante ? Autant les jouer immédiatement. Il y a donc de vrais passages à vide durant la partie où le temps semble bien long. Bien sûr, cela varie en fonction du nombre de joueurs. Mais de deux joueurs où chacun navigue en solitaire, jusqu’à cinq où tout le monde se marche sur les pieds, aucune configuration n’est réellement satisfaisante.

Jolie coque vide

Des scénarios s’appliquent pour varier les parties.

Côté matériel, ce n’est pas bien brillant non plus, surtout pour un jeu Days of Wonder qui place toujours la barre très haute sur ce critère. En dehors des petits bateaux et des gros coffres en plastique pour stocker son butin, Deep Blue accuse plusieurs problèmes de production. Déjà, il y a ces petits détails qui énervent comme les cartes à bords noirs déjà marquées après seulement une partie, ou le fait qu’il n’y a rarement assez de jetons pour compter les points. Et puis il y a les éléments bien plus graves, comme les gemmes or et argent dont la teinte est beaucoup trop proche et que l’on n’arrive pas à distinguer. La direction artistique est aussi discutable. Le choix a été fait de rassembler huit illustrateurs qui nous offrent bien une collection d’images qui, prises indépendamment, sont toutes plus belles les unes que les autres, mais dont l’ensemble peine à peindre un univers cohérent et spécifique à Deep Blue. En fait, en multipliant les styles, le jeu ne s’appuie sur aucune identité visuelle forte et perd malheureusement toute personnalité. C’est dommage.

Lire les règles complètes de Deep Blue (format pdf)

L'avis d'extralife
  1. Auteurs : Daniel Skjold Pedersen et Asger Harding Granerud
  2. Illustrateurs : Biboun, Djib, Naïade, Nicolas Fructus, Miguel Coimbra, Piéro, Régis Torres, Trèfle Rouge
  3. Éditeur : Days of Wonder
  4. Genre : Stop ou encore, gestion de mains de cartes
  5. Nombre de joueurs : 2 à 5 joueurs
  6. Date de sortie : 11 octobre 2019
  • Deep Blue est un jeu de « stop ou encore » qui tente d’estomper les composantes chance et hasard en injectant une mécanique de gestion de main de cartes. Mais le mélange ne fonctionne pas et la partie se retrouve scindée en deux : une phase de recrutement inintéressante suivie d’une succession de plongées toutes aussi peu palpitantes les unes que les autres. Même à travers le prisme d’un jeu ultra familial, il est donc bien difficile de recommander Deep Blue.
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Jihem

La découverte de BurgerTime aux débuts des années 80 aura clairement affecté la vie de ce grand bonhomme. Non seulement, Jihem a développé une passion pour les jeux vidéo, mais il a également choisi de s'installer au pays du hamburger. Sa mère est plutôt heureuse qu'il n'ait pas découvert les jeux avec Boogerman.

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