Far Cry 5 : Les rêveries du promeneur solidaireAnalyse

Far Cry 5 : Les rêveries du promeneur solidaire

Entre les survivalistes barbus, les drogués armés de kalach et les moufettes blindées, Far Cry 5 abrite aussi des biotopes bucoliques aux herbes folles qui côtoient de petites libellules agiles. Si les cris d’horreur subtilement soulignés par des explosions dans le lointain cassent parfois l’ambiance, cet aspect rando un jour de chasse est un pan important du jeu d’Ubisoft. Voire son moteur ludique central.

Far Cry 5 est une expérience personnelle. Outre son côté comique involontaire qui pourrait aussi devenir le centre du plaisir ressenti, le jeu cache des moments d’exploration, de balade à la calme intensité. Beaucoup de jeux en monde-ouvert tablent sur du gameplay émergent, comme Zelda : Breath of the Wild, avec comme focus la construction de moments ludiques uniques, définis par ses propres interactions avec l’environnement. Un world-design qui devient de plus en plus développé, où le joueur peut se perdre, surpris par les événements qui se déroulent sans son intervention. Mais Far Cry 5 a exercé une toute autre fascination sur moi, celle de la crédibilité de ses terrains, à la fois réalistes et fantasmes d’appel à l’aventure. Quand j’étais ado, en cette belle année 2000, mon PC surpuissant au processeur Pentium III cadencé à 800 MHz me donnait le pouvoir incroyable de jouer à Quake III Arena, Star Wars Episode 1 : Racer, ou encore Deus Ex. De belles sirènes qui malgré leurs voix mélodieuses sont tombées sur un mur d’isolation redoutable : le logiciel (oui) Nature Interactive d’Hachette Multimédia. Devant l’impossibilité de le refaire tourner correctement et l’absence coupable de sa représentation sur Youtube, voilà une image moche de son interface, issue d’un forum tellement obscur qu’il aspire la lumière autour de lui.

Comme son nom sexy l’indique, Nature Interactive a comme but d’éduquer à divers milieux naturels par la découverte de ce qui les compose, faune et flore. Pour cela, des petites balades sont organisées, après avoir choisi son écosystème de départ (forêt, plage, montagne, etc.). Les écrans, fixes – calmez-vous – s’enchaînent alors avec des petites transitions, à la manière de certains jeux VR actuels. En totale immersion sur un sentier boisé ou une via ferrata, la souris se projetait dans les moindres recoins afin de mettre en surbrillance un élément, expliqué dans la seconde par une voix douce et, avec un peu de chance, une vidéo format timbre.

Chaque zone était baignée par une ambiance sonore au poil, ou au plume en fonction, qui participait à cette plongée dans l’humus. Vu de loin, il est difficile de voir où trouver de la passion là-dedans. Et pourtant, j’ai passé des heures à apprendre avec une frénésie inquiétante des tonnes d’infos, dont la moitié que je connaissais déjà, happé par les bruissements d’ailes au détour du chemin. L’autre élément étrange de cette fascination, vient du fait qu’à cette époque j’habitais dans une maison à 300 mètres de la forêt et que je passais des aprèms entières à gambader avec une légèreté discutable entre diverses essences d’arbres, ou à me faire poursuivre par des chevreuils, mais c’est une autre – meilleure – histoire. Mais aucun de ces fiers lactaires et de ces tristes coprins chevelus n’avait assez de charisme pour prendre le dessus sur Nature Interactive. Au moindre moment où il m’était impossible de sortir me balader, je foutais le nez dans le “jeu” et je restais un temps bien trop long à guetter un renard ou à kiffer de la mouette sans honte. Il n’y avait rien à faire, l’interaction était limitée à celle d’une encyclopédie Encarta, alors pourquoi se perdre là-dedans plutôt que de perfectionner ses compétences dans le dialecte maori du nord, aussi nommé Nga Puhi ? Parce que Nature Interactive m’avait donné, quelques années avant Morrowind, le vertige du possible. Devant ces zones raides comme un coup de trique, j’imaginais qu’elles auraient pu s’animer, se lier pour créer ce qui n’était pas encore un label : le monde-ouvert. Far Cry 5, par ses biotopes peu exotiques, plutôt similaires à ceux proposés dans le logiciel foufou d’Hachette, colle au plus proche à ce rêve de gos… d’ado attardé.

Il y a dans le jeu d’Ubisoft d’innombrables moments de grâce, peut-être encore plus émouvants que ceux de la Ligne 13. Par sa construction d’univers cohérente, que ce soit dans ses transitions entre les écosystèmes, ou dans la morphologie de ses biotopes, Far Cry 5 est ce qui se rapproche le plus d’une expérience de randonnée. Les amoureux du sentier vous diront qu’il est assez rare de parcourir tous ces kilomètres avec une mitrailleuse lourde sur le dos, ce à quoi vous leur rétorquerez que c’est vrai. Mais ce constat ne change rien au plaisir de la balade, où la découverte de zones coupées de toute trace de civilisation est une occupation en soi, perdu dans des sous-bois inconnus. Après tout, ce n’est pas la destination qui compte, mais le voyageur.

Le cahier des charges de l’immersion déborde de cases cochées. Magnifique gestion de la lumière ? Check. Ombres qui tapissent les herbes folles d’une fraîcheur quasi perceptible ? Check. Herbes hautes aux danses aguicheuses sous le vent fripon ? Check. Quitter la route, s’enfoncer dans les vallées loin de toute l’agitation du game-design débouche sur une expérience personnelle incomparable. Une parenthèse dans laquelle se love un sound-design qui aurait dû représenter à lui seul toute la publicité consacrée au jeu et d’ailleurs je t’aime Tony Gronick. Le friselis de la végétation, les chants d’oiseaux naissant à l’orée du silence, les râles étranges derrière une butte que l’on espère animaliers, la nature est célébrée comme une reine. Elle est ce monarque qui soudainement décrète que rien n’existera à part elle et le mieux à faire est encore de l’écouter. Far Cry 5 est un peu tout et n’importe quoi, ce qui lui laisse l’opportunité d’avoir des interstices paisibles pour que je m’y allonge tranquillou face au soleil rasant. Comme un tableau confortable, vous savez, ceux où, peu importe le sujet, apparaît un endroit étrange et attirant ; où notre seul but à cet instant précis et de s’y installer pour les années à venir. Ce jeu possède cette capacité d’attraction qui défie les lois de la physique, trou noir implacable d’un gameplay-univers qui s’écroule sur lui-même. Il arrête la course, éloigne le doigt du stick pour susurrer à l’oreille « regarde et respire ».

Plus que l’envie épidermique d’aller voir derrière la prochaine colline, Far Cry 5 propose le statu quo de l’observation. Pas la contemplation, mais bien un mélange bâtard entre des souvenirs et un plaisir de se laisser envahir par l’instant. Alors pourquoi lui plus que les autres ? Parce que justement, outre toutes ses qualités d’immersion cantonnées loin de la fureur, il touche mon amour ainsi que mon respect d’un type de lieu comme aucun n’avait réussi à le faire jusqu’à aujourd’hui. Il a su donner corps à quelque chose que je pensais impossible il y a une grosse quinzaine d’années. Car même en se projetant, avec l’imaginaire comme jet-pack, le jeu vidéo parvient encore à surprendre dans ce qu’il communique. Un seul regret ? Oui, que Nature Interactive ne soit pas cité dans les crédits de fin.

Killy

Ayant longtemps pensé que le fait de passer ses après-midi dans les bois à chercher des animaux lui faisait gagner des points d'XP et des gils, Pierre a depuis compris qu'il pouvait faire la même chose sur un PC ou une console sans alerter la SPA ou se prendre la balle perdue d'un chasseur.

Soutenez ExtraLife

A voir aussi

3 commentaires

  1. Motteux
    Motteux
    12 mai 2018 à 6 h 02 min

    Merci pour cette analyse très très chouette :)

    J’ai longtemps hésité à prendre ce farcry. D’une part car certains feedback en terme de physique dans le 1 et le 2 ont tout simplement disparu par la suite. Au profit d’univers plus riche certes mais moins de variété dans les interactions possible entre le joueur et le décor. Clairement, je m’amuse de moins en moins dans un farcry et à l’instar d’un Witcher3, un univers aussi magnifique dans son visuel me semble bien factice car je n’ai pas l’impression de faire partie d’un monde alors que mes possibilités restent bien trop souvent “tuer, crafter”. Ce sont là bien sur des généralité. mais reste que c’est souvent un sentiment qui me détache de ce que je voix autour de moi. C’est d’ailleurs là je trouve où Breath of the wild a le plus brillé.

    Néanmoins le travail effectué sur ce jeu (je reviens à farcry5) reste très impressionnant. Le soin apporté à la topographie, la nature, la lumière l’eau toussa. On pourrait penser que c’est juste des paillettes mais ça compte. Pour qui sait s’arrêter et juste regarder de près, ça compte. Je me suis souvent baladé en forêt similaires étant petit aussi et devant un jeu aussi brillamment dirigé artistiquement ya des sensations qui reviennent. Un soucis que j’ai avec les jeux vidéo c’est que je n’aime pas (surtout dans un openworld) avoir la sensation que tout es là pour moi. J’aime me dire que l’univers du jeu peut exister et vivre sans moi. Et la nature de farcry5 fonctionne clairement dans ce sens. C’est ça qui fait que malgré les défauts que je lui trouve en tant que jeu. J’aime m’y promener.

    Après j’avoue que j’aimerai beaucoup (si ça a un intérêt) voir plus d’interaction avec le décor dans un far cry. Le simple fait de grimper au arbres dans un zelda rend les arbres encore plus beau car ils m’ont l’air vrai dans l’univers du jeu alors que souvent un arbres est un mur qui t’empêche de passer. Il y a très peu de variété d’arbres différentes dans botw. mais pourtant je sais que je peux grimper dessus, que je peux les couper et faire rouler le tronc dans l’eau pour m’en servir radeau. Et ça change tout.
    Je trouve que la physique à son importance aussi dans la contemplation. Pour l’eau par exemple. Tellement de jeux on des rivières magnifiques aujourd’hui. Pourtant l’eau que je retiens la plus souvent c’était l’eau de Halo 3 qui déformait totalement le maillage de la texture et créait bcp de polygones pour déformer l’eau en 3d et pas juste via un effet rajouté par dessus. J’avais l’impression qu’elle était réelle car elle réagissait à moi.

    Le fait de disposer d’un appareil photo aussi m’a souvent créé un lien plus fort entre moi et les décors d’un jeu. Beyond Good and evil était très intelligent dans ce sens car de base on te dit que c’est un moyen de te faire de l’argent, donc nécessaire pour avancer dans l’histoire mais très vite ça te pousse à observer plus le monde autour de toi en oubliant la mission.

    Mon commentaire était très mal construit et un peu maladroit >< désolé.
    Mais oui globalement j'ai pris bcp de plaisir à me promener dans farcry 5 aussi.

  2. Jihem
    Jihem
    12 mai 2018 à 9 h 42 min

    Merci pour ton témoignage Motteux. Quelqu’un d’autre souhaite partager dans cette réunion de naturalistes anonymes ? Personne ? Bon je me lance…

    J’ai moi-même eu une expérience traumatisante dans un parcours aventure étant adu… ado attardé. J’aime autant qu’on ne puisse pas grimper aux arbres. C’était terrible, je me revois encore suspendu à 30 mètres au dessus du sol, suspendu par une petit mousqueton, les bras en compote, et incapable de me hisser. Absolument terrifiant.

  3. Peyo
    Peyo
    12 mai 2018 à 11 h 58 min

    C’est marrant parce que je sors hier d’une longue session balade / exploration de plusieurs heures dans Far Cry 5, où je n’ai pas fait avancer l’histoire d’un iota, et je lis cette magnifique ode à la nature et à sa restitution dans cet excellent jeu.
    Je viens donc me joindre à cette réunion :D oui, moi aussi j’aime les longues balades dans la nature (si possible, IRL, pas interrompue tous les 10 mètres par l’attaque d’un animal sauvage, ou d’un illuminé énervé en hélicoptère, mais je cherche la petite bête, …. ou la grosse).
    Plus sérieusement, je joue aux JV pour m’évader, je suis majoritairement un “explorateur” dans de nombreux jeux et Far Cry 5 me comble vraiment à ce niveau.
    Alors j’invite les personnes que rebute l’idée de lutter contre une secte au leader psychopathe en maniant de nombreuses armes et en tuant des milliers de personnes et d’animaux dans l’Amérique profonde au milieu des red-necks, à ne pas s’arrêter à ce cliché sur ce que peut être Far Cry 5. Je reconnais volontiers les défauts du jeu, mais je ne peux m’empêcher d’y revenir tellement le jeu sait proposer une richesse énorme quand on veut bien renoncer à s’accrocher à ces clichés et se faire sa propre vision du jeu. Car chacun le jugera selon ses goûts propres, et je ne saurai dire à telle ou telle personne : vas-y le jeu va te plaire.
    Je suis à peu près certain par contre qu’il serait dommage de s’arrêter à des a priori car ce jeu a tellement à offrir.
    Je ne sais pas si je verrai un jour le bout de l’histoire et nettoierai le Montana de Hope County de toute sa racaille sectaire, mais même si ce n’est pas le cas, j’aurai vécu de très bons moments dans ce jeu et ma soif de grand air et de nature sauvage aura été assouvie.

Réponse