Interview au long cours de Simon Mesnard, le développeur de Catyph et de ASACoulisses

Interview au long cours de Simon Mesnard, le développeur de Catyph et de ASA

Le rapport à la durée et au temps long des projets

Tu parles d’amélioration progressive, d’avancer à ton rythme, et on peut constater que la plupart de tes projets tiennent davantage lieu de marathon que de courses de vitesse. Histoire de terminer cette interview qui s’éternise elle aussi, j’aimerai savoir comment tu gères cette durée. Sur Catyph, par exemple, avais-tu en tête ce à quoi devait ressembler le résultat final dès le début du développement ou est-ce que tu t’es seulement tenu à suivre une certaine ligne directrice, une philosophie particulière, pour voir où elle pouvait te mener ?

catyph_artwork_001Cette notion d’amélioration progressive, et l’idée d’avancer à mon rythme, est à relativiser. C’est vrai : j’avance à mon rythme, et le succès ou non de mes travaux ne dépend que de moi. Si, un jour, je n’ai pas envie de travailler, je peux prendre ma journée. Je peux prendre mes vacances quand je veux, et c’est vraiment chouette… dans le principe. Car le revers de la médaille, c’est bien sûr le poids de mes décisions. Si je suis paresseux, que je me dis que j’ai bien le temps de faire mon jeu et que, de toutes façons il ne changera pas le monde… ça ne peut que mal finir. Surtout si je dépense mes économies pour ne rien faire. La contrainte économique est toujours là pour me ramener à la réalité. La notion de liberté totale (je fais ce que je veux) est à contre-balancer avec la notion de rigueur (ce qui doit être fait, doit être fait au bon moment). C’est ça le plus important, le plus difficile quand on est son propre patron, et qu’on fait un jeu indé tout seul. Il ne faut pas oublier que j’ai pris de gros risques avec Catyph : pendant les 2 ans de développement, je n’ai pas reçu le moindre salaire, pas de chômage. J’ai utilisé mon argent personnel.

Lorsque tu me demandes si j’ai suivi une ligne particulière, une ligne directrice, eh bien oui. Non seulement c’est passionnant de créer un jeu (comme n’importe quelle œuvre), mais c’était surtout un défi personnel, humain : apprendre à me surpasser, à me débrouiller, à voir jusqu’où je pourrais aller malgré ma situation de précarité. Chacun d’entre nous peut, en travaillant dur et en faisant des sacrifices, construire un projet professionnel ambitieux, quelles que soit ses origines. C’est une question de motivation et de sérieux : ne pas croire que tout va venir des autres, ni que l’argent va couler à flots rapidement. La plupart des indés le savent bien, et il est d’ailleurs bien rare qu’un premier jeu soit un réel succès commercial.

Catyph sera peut-être décisif pour mon avenir, et pourrait tout à fait être mon dernier projet indépendant si j’estime que ce métier ne me permet pas de gagner ma vie.

Gardons donc les pieds sur terre : Catyph sera peut-être décisif pour mon avenir, et pourrait tout à fait être mon dernier projet indépendant si j’estime que ce métier ne me permet pas de gagner ma vie. C’est dur, c’est réaliste, et je ne serais pas le premier indé à déchanter. Éventuellement, je me tournerai vers un éditeur, mais dans ce cas-là ce sera déjà une situation de semi-échec par rapport à mon idée de départ : je perdrai une partie de la liberté que je défendais dans mon travail, l’envie d’aider et de partager à travers mon collectif The Icehouse. Pour tout dire, je ne sais pas encore ce qu’il se passera, l’avenir est incertain. L’idéal serait peut-être un financement participatif qui soutienne directement mon travail, par exemple sous forme de Patreon. Il n’est pas impossible que j’essaie un jour.

catyph_artwork_003Malgré tout les aspects qui peuvent sembler négatifs, je n’ai aucun regret. Je suis fier d’avoir réussi mon projet. Je regarde en arrière : 2 ans, c’est long. Il s’en est passé des choses, et je suis fatigué. J’ai hâte de me reposer un peu avant la suite. Mais même en travaillant 7 jours sur 7, j’ai pris du plaisir, j’ai appris, j’ai découvert de nouvelles techniques, rencontré d’autres développeurs, évolué. Ça a été une expérience géniale, presque hors du temps, et je réalise encore assez mal que le jeu est terminé. Malgré tout, je n’ai jamais perdu la notion du temps, et j’ai compté chaque jour qui passait : Catyph était au départ pensé comme ASA pour être produit en six mois. À un moment donné, j’ai voulu faire plus, et j’y ai mûrement réfléchi, en sachant tout ce que ça entrainerait comme difficultés. À mes yeux, le projet indé/solo idéal doit durer un an maximum, sans cela ce n’est plus viable, c’est prendre un gros risque. Finalement, en parlant avec les uns et les autres, en pesant le succès d’ASA et les attentes, et en voyant à quel point Catyph pouvait être vaste, je suis parti sur un développement de deux ans. Je n’avais bien sûr jamais fait ça, c’est le plus gros projet de ma vie. Je suis désolé si je donne l’impression d’insister, mais c’était vraiment une croisade. Je souhaite à tout le monde et à personne de vivre ça. À personne, car je crois qu’on n’est jamais assez préparé à affronter ce qui nous attend sur une telle période. À tout le monde, car ça forge le caractère, ça crée des liens, et au final il y a un vrai sentiment de travail accompli. Ce n’est pas quelque chose qu’on ressent forcément quand on travaille sur le projet d’un autre artiste. Bien sûr, on peut être fier d’avoir participé à la création d’un jeu AAA (par exemple), mais ce n’est pas le même genre de sentiment de satisfaction.

Beaucoup d’entre nous savent ce qu’on ressent lorsqu’on s’investit avec passion dans un long projet, et qu’il arrive enfin à terme : la construction d’une maison, l’obtention d’un diplôme, voir ses tableaux exposés dans un musée… C’est exactement ça, que je ressens aujourd’hui. Un frisson, un mélange d’émotions. Un aboutissement. Un espoir, une attente de découvrir la suite : allez-vous aimer le jeu ? Est-ce que j’ai réussi ? J’ai vraiment hâte de savoir ce que vous en penserez, et je suis prêt à tout. Personnellement, je suis très content du résultat !

catyph_artwork_002Mon rêve, mon but, serait de continuer encore longtemps. Si mes jeux plaisent (et j’ai des fans d’ASA, que je ne remercierai jamais assez !), alors je souhaite continuer. Créer des choses avec acharnement, plus ou moins dans l’ombre, ne me dérange pas. Je ne cherche pas à être sous les projecteurs et à gagner des millions, seulement de quoi vivre et pouvoir souffler parfois. Je suis quelqu’un de discret et vous ne me verrez pas m’afficher dans des vidéos d’interviews, ou sur Youtube (si tant est qu’on me le propose), je préfère me concentrer sur la créativité. Si ASA, ou Catyph n’arrivent pas à convaincre aujourd’hui, c’est peut-être dans quelques années sur une œuvre plus complète et plus fournie que je pourrai faire la différence et marquer les esprits. Les tendances et les modes évoluent. Je suis patient, alors si les joueurs aiment mes jeux, et si j’arrive à faire face aux contraintes économiques, je ne suis pas prêt de baisser les bras !

6 of 6
miniblob

Tombé sur Terre un peu par hasard, le blob dévore mollement tout ce qu'il trouve dans l'espoir de comprendre son environnement. Ne jugez pas trop sévèrement son appétit vorace ou vous risquez d'être au menu de son prochain repas.

Soutenez ExtraLife

A voir aussi

1 commentaire

  1. Galiat
    Galiat
    21 mai 2016 à 0 h 14 min

    Vraiment très bonne interview / biographie ! Bon, j’avoue, un poil long quand même ^^ ! J’ai sauté quelques paragraphes.

    En tout cas, je n’ai pas testé ASA, mais j’avoue que la vidéo de Catyph donne vraiment envie d’en savoir plus ! J’espère que tu trouveras le succès (ou tout du moins de quoi te permettre de vivre).

    Bon courage à toi, ton frère, et tes amis de l’association de soutien/entraide. J’espère vraiment que vous percerez dans le domaine qui vous passionne !

Réponse