Dice Forge : Interview de l’auteur Régis Bonnessée (Libellud) et de l’illustrateur BibounCoulisses

Dice Forge : Interview de l’auteur Régis Bonnessée (Libellud) et de l’illustrateur Biboun

L’industrie du jeu de société explose depuis plusieurs années. En tant qu’illustrateur et éditeur, comment vivez-vous cela, avec crainte, ou au contraire, avec enthousiasme ?

Biboun : Les deux à la fois. Je connais l’univers de la bande dessinée et j’ai peur que le jeu de société suive le même chemin et tombe dans le cercle vicieux de la surproduction, où tout est noyé dans la masse.

Un peu comme les jeux vidéo au début des années 2000…

Biboun : Tout à fait. Je pense que la bande dessinée est en déclin, mais l’industrie va sûrement redécoller. Tout se noie. J’étais un grand consommateur de BD auparavant ; aujourd’hui, je n’en achète plus du tout. J’espère que le jeu de société ne connaîtra pas le même sort. Je souhaite que cet engouement perdure, mais les éditeurs ne doivent pas tomber dans la surproduction, comme c’est le cas pour certains.

C’est dommage, car ils se tirent une balle dans le pied en sortant une vingtaine de jeux dans l’année. Certes, l’aspect financier entre en ligne de compte. Mais je pense qu’il est préférable de ne sortir qu’un ou deux bons jeux et capitaliser dessus. Il y a trop de jeux bancals dans le commerce.

RB : La question du nombre de jeux est presque un faux problème. On peut toujours se dire qu’il y en a trop et qu’on aimerait que les concurrents en fassent moins. Mais pourquoi le feraient-ils ? C’est le serpent qui se mord la queue. N’oublions pas que dans le jeu de société, le ticket d’entrée n’est pas cher. Avec un jeu de cartes simple et 10 000 euros en poche, ce qui est peu quand on veut démarrer une entreprise, on peut se lancer dans l’auto-édition, sortir un produit en plusieurs milliers d’exemplaires et partir de là. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Derrière les quelques gros best-sellers qui se vendent à des millions d’exemplaires depuis des décennies, il y a énormément de jeux qui meurent dès leur publication. C’est la réalité.

Oui, l’industrie change, elle se professionnalise. Avant, il n’y avait pas autant de personnes qui s’intéressaient aux jeux, la qualité d’édition n’était pas la même. Est-ce que c’est triste ou pas ? Mon côté nostalgique me fait dire qu’en effet, c’était mieux avant. Mais est-ce que c’est vraiment le cas ? Je ne pense pas. L’industrie a gagné en visibilité : il y a des rachats, il y a beaucoup d’argent qui circule, etc. C’est à la fois inquiétant et rassurant : d’un côté, le milieu se structure, les jeux seront de meilleure qualité et mieux distribués ; de l’autre, on craint que tout cela se termine mal à cause des grands capitaux qui viennent se mêler au domaine. Je suis plutôt un optimiste ; la nature a horreur du vide, il y aura des bons jeux et des moins bons. Au final, je pense que les joueurs en sortiront gagnants.

Est-il important pour l’industrie du jeu de société d’avoir des récompenses telles que l’As d’or, en termes d’image notamment ?

RB : Pour le professionnel, c’est une forme de reconnaissance. Libellud ne court pas après les prix, l’équipe donne toujours le maximum pour faire de bons jeux et s’il y a une récompense à la clé, tant mieux. Mais il ne faut pas oublier qu’un prix est très politique, dans le sens noble du terme. Chaque prix a un objectif et celui-ci peut changer en l’espace de cinq ou dix ans. Il y a « le meilleur jeu de l’année », qui est une mise en valeur auprès des médias et des joueurs néophytes. Mais il n’existe pas de meilleur jeu de l’année. À sa sortie, Mysterium n’était pas le meilleur jeu de l’année. C’était un bon jeu et le jury a décidé de le mettre en lumière pour des raisons X ou Y ; c’est le jeu qui collait le mieux à leurs attentes à ce moment-là. Il y a des jeux que j’apprécie énormément qui n’ont pas été nommés, j’en suis déçu à titre personnel, mais il faut savoir respecter le choix du jury. Parfois on est choisi, parfois non.

Biboun : Cela dépend du goût du jury et de chacun. Certains préfèrent les jeux complexes, d’autres les jeux plus simples. La sélection serait peut-être différente avec d’autres personnes. Mais les récompenses restent des bonus, c’est très positif.

RB : D’un point de vue purement commercial, l’As d’or a évidemment un impact, de plus en plus important d’ailleurs. Lorsqu’on fait une recherche sur Internet, on constate que les retombées médiatiques sont bien plus importantes qu’il y a dix ans. Le prix donne donc une visibilité au produit et les boutiques en commanderont plus. Je pense que le jury fait bien son travail : le lauréat, qu’on l’apprécie ou pas, est un bon jeu, tout du moins, ne peut pas être qualifié de mauvais. Tout cela s’autoalimente.

Le risque serait de suivre l’exemple allemand, où il y a le Spiel des Jahres d’un côté, et le reste de l’autre. C’est aussi un arbre qui cache la forêt. Le lauréat du Spiel se vend à 200 000 ou 300 000 exemplaires, mais le marché est moins bon qu’en France, il y a moins de volume au global. Les best-sellers cristallisent toutes les ventes, car ils sont mis en avant dans les magasins de grande distribution : les clients achètent leur jeu de l’année en faisant leurs courses. L’As d’Or a sa propre identité, il est bien tel qu’il est aujourd’hui et il ne faut pas qu’il suive la voie du Spiel des Jahres.

Biboun : En effet, le problème vient du fait que de nombreuses personnes n’achètent que le Spiel des Jahres et n’attendent que cela. Il n’y a que ce jeu qui est mis en lumière.

RB : Il suffit de regarder la cérémonie de remise des prix. Elle se tient dans une immense salle d’un hôtel, remplie de journalistes nationaux, et non de joueurs. C’est très différent, en Allemagne. Le Spiel des Jahres est extrêmement médiatisé.

Merci infiniment, messieurs.

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