Et si certains jeux allaient trop loin ?Opinion

Et si certains jeux allaient trop loin ?

Je joue depuis que j’ai six ans. J’en ai trente-six aujourd’hui. En près de trente ans de jeu, dont plus de quatorze passées au sein de la rédaction d’un grand site web, je pensais avoir à peu près tout vu en matière de violence, de mauvais goût ou tout simplement de niaiserie. Simulateurs de hooligans, gestion de prisons, snuff movies interactifs… avec le temps, j’ai fini par ne même plus prêter attention à ces productions qui tentent ponctuellement de se démarquer en jouant la carte de la provocation. En réalité, ces provocations restent toujours aussi puériles que l’attitude d’un enfant qui lâcherait son premier gros mot à la face de ses parents, juste pour tester les limites de l’acceptable. Il y a deux ans, la sortie de GTA 5 m’a toutefois un peu bousculé. Je suis convaincu que le jeu vidéo, au même titre que la littérature, le cinéma, ou la musique, ne rend pas violent. Cependant, je suis tout aussi convaincu que cette réalité ne doit surtout pas dédouaner les développeurs de leurs responsabilités. Ce serait dangereux de se cacher derrière cette bannière pour justifier tout et n’importe quoi simplement parce qu’il ne s’agit que d’un jeu vidéo, et qu’un jeu vidéo ne fait de mal à personne.

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Grand Theft Auto 5 (Rockstar, 2013)

Dans le cas de GTA 5, c’est le personnage de Trevor qui m’a dérangé. Incarner un héros dénué de toute morale, simplement guidé par ses instincts les plus primaires, soulève un énorme problème d’implication et d’identification. C’est peut-être très personnel, mais il me faut quelque chose sur lequel m’appuyer et qui saura me porter durant le jeu. Un trait de caractère, une motivation scénaristique… Je ne demande pas beaucoup. Juste une justification quelconque capable d’expliquer pourquoi le personnage que l’on me propose d’incarner agit comme il agit – quelque chose qui me fasse comprendre pourquoi moi, le joueur, doit réaliser telle ou telle action. Même si cette motivation va à l’encontre de mes convictions personnelles, il me faut quelque chose. Avec Trevor, j’ai beau avoir été patient au point de terminer l’aventure, je n’ai rien eu de tout cela. Le type est fou. Point barre. Pour en avoir discuté avec d’autres joueurs, je sais que je ne suis pas le seul à avoir été gêné par le personnage mais je sais aussi que ce même Trevor est la raison pour laquelle d’autres adorent le jeu. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas aimé GTA 5 mais Trevor n’est pas le seul responsable. La critique sociale du m’as-tu-vu californien déjà très parodique de base, ne m’a pas convaincu non plus. À vouloir justement dénoncer cette culture de la superficialité, Rockstar semble lui-même être tombé dans le piège d’une caricature facile et dénuée de toute subtilité. Le studio s’est noyé dans son propos, en développant un titre jouant la carte de la surenchère, dans l’unique but… de jouer la carte de la surenchère parce qu’il en a les moyens, pas parce qu’il tente de défendre un propos ou une vision des choses. GTA 5 reste donc pour moi un jeu passé à côté de son sujet, et à mille lieues de la justesse dont faisait preuve l’épisode précédent. En réalité, ce cinquième volet n’a pas seulement été une déception, mais une sorte de révélation. Alors que le titre continue aujourd’hui d’être acclamé, et qu’il reçoit les louanges de la presse et des joueurs, le jeu me fait me sentir en décalage avec ce que les jeux vidéo sont vraisemblablement censés proposer de mieux. En fait, GTA 5 est réellement le premier jeu à me faire me demander si je n’étais pas soudainement devenu un vieux con.

Moonstone de Mindscape (1991)

Moonstone (Mindscape, 1991)

Je joue pourtant depuis ma plus tendre enfance. J’ai connu BurgerTime sur Intellivision, gagné des médailles d’or aux Jeux Olympiques sur Apple II, et bien sûr suivi la glorieuse ascension du charpentier devenu plombier en jetant un œil discret mais peu intéressé à son concurrent le hérisson en baskets. J’ai trainé mes clics sur Amiga dans l’ombre de la bête et baigné dans le sang de Moonstone, avant de me prendre la tête sur la meilleure configuration PC, celle qui permettrait de faire tourner sans problèmes Doom 2 – jeu que je n’aurai finalement pratiqué qu’une seule après-midi, faute de motivation. J’ai traversé Sanitarium, parcouru les premiers Resident Evil, survécu aux horreurs de la plupart des Silent Hill et même flâné dans les rues de Liberty City sans but précis que celui de semer la zizanie derrière moi. La violence ou le malsain ne m’ont jamais offusqué et pourtant je ne me suis jamais tant senti en décalage par rapport au média que j’aime tant qu’avec le cas GTA 5. Donc oui, suis-je réellement devenu un vieux con prompt à condamner un jeu pour son propos ?

Cette question, je me la suis récemment posée de nouveau en découvrant, avec stupeur, la bande-annonce d’un autre titre nous faisant incarner un psychopathe prêt à descendre dans la rue pour tuer le plus d’innocents possible. Et là, on touche un point sensible. Non, le jeu vidéo ne rend pas violent, mais encore une fois, cela peut-il justifier toutes les dérives ? Alors qu’il ne se passe pas une semaine sans que les journaux américains ne rapportent un nouveau shooting, alors même que le mot shooting est devenu un nom commun directement associé à la folie meurtrière d’un fou dans la rue, dans une école ou dans un cinéma, un studio ne trouve-t-il rien de mieux à faire que de développer un titre pour nous faire contrôler l’auteur du massacre ? Vraiment ? Un tour sur le site officiel dudit studio précise avec un smiley qu’il ne s’agit que d’un jeu, et qu’il ne faut bien entendu pas reproduire cela à la maison… Oui, c’est pathétique, et même flippant si vous voulez tout savoir.

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Alors que faire ? Dénoncer la pratique et donc passer pour un censeur en colère dès qu’un jeu vidéo sort des clous ? Ou ne rien dire et laisser couler en tentant de se convaincre qu’après tout, le jeu concerné sera certainement très mauvais et que les joueurs l’oublieront bien vite ? Jusqu’à présent, mon radar interne prenait généralement le contrôle pour me mettre en mode veille et me permettre de passer outre le politiquement incorrect. Et puis, il y avait toujours une part de justification, même cachée dans les jeux qui ont défrayé la chronique. Prenez Manhunt, par exemple. Oui, c’est un jeu violent. Mais nous sommes ici entre crapules. Le héros est une ordure qui tue d’autres ordures. Ce n’est pas bien malin, mais j’arrive à comprendre la “logique”. Même chose dans Hotline Miami ou même dans Hitman. L’agent 47 est un tueur à gages qui ne s’en prend finalement qu’à des cibles baignant déjà dans le crime. Dans un sens, cela devient acceptable. Surtout qu’à aucun moment, il n’est demandé à l’assassin de briser la nuque d’un parfait innocent. Et à sa défense, c’est la même chose dans un GTA. S’il est possible d’écraser les piétons, ce n’est pas le but du jeu. Il ne s’agit pas d’une fin en soi, “juste” d’un à côté – crétin, mais non obligatoire. Et c’est exactement ce qui coince avec le simulateur de shooting où l’entièreté de l’expérience repose justement sur le massacre d’innocents. Comment peut-on sincèrement penser que le meurtre de masse puisse se prêter à un jeu vidéo ? Et par extension, peut-on réellement adapter n’importe quel sujet en jeu vidéo ? Car c’est plutôt cela la vraie question. Les développeurs jouissent-ils d’une liberté totale ou sont-ils au contraire soumis à une limite à ne surtout pas franchir ? Dans ma jeunesse, j’aurai certainement penché pour la première option, justifiant mes propos par la sacro-sainte liberté d’expression. Mais le vieux con que je suis devenu semble moins catégorique.

do_not_crossCar si tout est réellement permis, pourquoi n’a-t-on jamais eu droit à un simulateur de camp de concentration ? Et faut-il un jour s’attendre à un jeu où il s’agira d’abord de capturer puis de décapiter le plus de journalistes possible ? J’espère sincèrement ne pas me tromper en déclarant que jamais aucun de ces titres ne verra le jour. Mais je me pose la question. Qu’est-ce qui distingue ces deux concepts de celui du “simple shooting” ? Si ces deux exemples sont proscrits, c’est qu’il existe bien une limite à ne pas franchir. Où se situe donc cette limite ? Avant ou après le simulateur de meurtres en masse ? Combien d’autres provocations faudra-t-il subir avant qu’une loi ne vienne clairement définir la limite ? Et surtout, souhaite-t-on réellement en arriver là ?

Jihem

La découverte de BurgerTime aux débuts des années 80 aura clairement affecté la vie de ce grand bonhomme. Non seulement, Jihem a développé une passion pour les jeux vidéo, mais il a également choisi de s'installer au pays du hamburger. Sa mère est plutôt heureuse qu'il n'ait pas découvert les jeux avec Boogerman.

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101 commentaires

  1. ZoidbergForPresident
    6 octobre 2015 à 9 h 45 min

    J’ai été parmi ceux très déçus du dernier GTA. Ma curiosité avait été titillée quand j’ai vu la version ps3 et j’ai cédé aux sirènes du marketing quand la version PC est sortie…

    Je le pensais meilleur que le 4 (que je n’ai pas apprécié non plus même si les DLCs, eux, étaient sympas).

    Ce n’est pas la violence qui m’a éloignée de ce jeu mais le fait que c’est juste “un autre GTA”, rien ne me semble original, tout semble répétitif. J’ai largement préféré le très buggé Saint’s Row 2 à GTA 4 par exemple.

    Quant à Trevor, c’est clairement mon personnage préféré et pour une raison qui va surement vous choquer: c’est le seul qui me parait être un être humain décent. Michael est un gros connard et Franklin un abruti (qui fait passer le CJ de San Andreas pour un prix Nobel d’intelligence).

    Trevor, au delà de sa schizophrénie, de sa folie meurtrière et de sa violence, me semble être le personnage le plus honnête de cet épisode.

    Reste un jeu somme tout correctement réalisé (bien que victime de ralentissement sur une gtx 770, ce qui m’a déçu aussi) avec une forte valeur de production mais, au final, chiant comme la mort et dans son gameplay et dans son histoire…

    Les moments les moins chiants dont j’ai fait l’expérience étaient lorsque je regardais la télé…

    Mouarf…

    Pour conclure, je ne pense pas qu’il existe de ligne à ne pas dépasser dans un processus créatif. Bien sûr, parfois les choses sont faites gratuitement ou à dessein dans le but de choquer. Mais je pense sincèrement que ces manières de voir ont leur place dans un processus créatif, quel que soit le médium.

    Et puis, au bout du compte, la critique n’en est que moins interdite, et ça c’est une bonne chose (même si totues les critiques ne sont pas toujours dans le vrai)…

  2. Dany-13
    Dany-13
    9 octobre 2015 à 22 h 54 min

    Possible que ça ai déjà été dit dans les posts précédents, mais la limite à ne pas franchir est celle que la société donnera. On peut, aujourd’hui, dire que le politiquement correct guide la plus part des effets de masse et s’abat sur tout ce qui sort des clous, mais demain ?
    Perso, j’ai une confiance limitée dans ce “politiquement correct”. J’ai peur qu’il ne se retourne comme un gant à la première occasion.
    Le monde change, ses valeurs aussi.
    Possible que je sois, moi aussi, devenue une vieille conne, dans le fond.

  3. SherlockHolmes
    SherlockHolmes
    12 octobre 2015 à 20 h 37 min

    Je ne suis pas entièrement d’accord avec ton avis Jihem. En parcourant GTA V, on voit clairement que Trevor, même si c’est un sociopathe, psychopathe et drogué par dessus le marché, n’est pas dénué d’une morale et d’un sens de valeurs qui lui est propre. Il est loyal, défend ceux qu’il considère comme ses amis, à beaucoup de moment du jeu il fait même la morale à Michael sur ses agissements et sa trahison. On ne peut donc pas dire qu’il n’a pas de sens moral. et est juste un pauvre diable seul qui aimerait léguer son expérience à quelqu’un. En réalité, Franklin est le point central du jeu bien que son histoire soit, selon moi, la moins intéressante.

    Franklin est le personnage entre Michael et Trevor, deux hommes opposés aussi bien mentalement qu’au niveau du comportement. Les trois hommes représentant le rêve Américain à leur façon, et trois types de personnalités de joueurs différents si on pousse plus loin l’analyse :

    -Franklin est le jeune qui veut réussir et monter les échelons, il représente le nouveau venu dans la saga. Celui qui veut découvrir un nouvel univers.

    -Michael est le cerveau, celui qui connaît toutes les ficelles, qui possède déjà tout mais n’est pas satisfait de sa situation, il représente le joueur connaisseur de la saga. Michael étant ce que pourrait être tout personnage des précédents GTA après le générique de fin.

    -Trevor est celui qui n’a plus rien, un paria de la société, mais qui pourtant possède des valeurs très personnelles, il s’en fiche du chaos qu’il provoque. Il représente le joueur occasionnel de GTA, celui qui joue uniquement pour tirer à vue et mettre le foutoir dans les rues sans se soucier de ses agissements.

    C’est en ceci que je trouve le jeu intéressant.

  4. darkiron
    darkiron
    19 octobre 2015 à 12 h 54 min

    Trevor est vraiment dérangeant ! J’étais vraiment mal à l’aise avec lui. Pourtant les FPS ça me connais.
    Dommage que tu reste sur des expériences que je qualifierais de particulières.
    Quid des jeux qui se place dans un contexte plus classique (Arma par exemple).
    Blob cite MOH, ce qui est un mauvais exemple (puisque la violence n’est pas de massacré des civil – j’en ai pas le souvenir)

  5. The_Patriot_FRA
    The_Patriot_FRA
    23 octobre 2015 à 3 h 02 min

    Je suis globalement plutôt d’accord avec ta manière de réfléchir à la question. Je suis d’ailleurs dans la même situation que toi en ce qui concerne le “cas GTA” : j’ai presque du mal à avouer que je n’ai pas aimé le jeu, puisque je sais qu’au final je passerai pour un vieux (jeune) con. En ce qui concerne Hitman (nettement moins pour Hotline Miami), pour le coup nos actions sont clairement justifiées par un scénario -mine de rien- très présent. Alors assassinat de criminels/pourris ou non : le fait de tuer dans cette série ne m’a jamais dérangé.

    Très bon article, en tous cas. Ça fait du bien de lire de bons textes sur des sujets finalement très peu traités !

  6. 04jg
    04jg
    31 juillet 2016 à 0 h 35 min

    Je vois certains qui défendent le cas de Postal. J’y ai joué (au 2) et honnêtement ce jeu est juste naze (pour ne pas dire une merde), c’est de la violence et de la stupidité pour la violence et la stupidité, tout comme Trevor dans GTA 5 que je n’ai pas aimé non plus (Trevor pas le jeu). Je suis carrément d’accord avec l’article et pourtant j’adore écraser des gens par paquet dans GTA et j’ai aimé GTA 5. Mais il y a une forme de banalisation et de glorification de la violence gratuite dans certain jeux aujourd’hui et je n’en suis vraiment pas fan (sauf dans mortal kombat car là c’est cool ^^).

  7. H0SHIZ0RA
    H0SHIZ0RA
    31 juillet 2016 à 21 h 16 min

    J’adore Grand Theft Auto V (et toute la licence), et le scénario n’est pas aussi génial que le IV, selon moi, pour sa critique (son opinon, seulement ?) de la société. Mon personnage préféré est justement Michael, le père de famille mal-aimé, qui voit un psy pendant que sa femme le trompe avec tous les mecs qui passent la porte. Franklin m’indiffère presque, mais j’ai un peu de sympathie, et le cas de Trévor s’est aussi posé pour moi. Je n’aime pas la violence gratuite. Pour autant, le personnage est quand même plus profond que l’absence totale de moralité. Y en a bien une. Il peut être un gros co***rd comme un type bien. Je ne vois pas de dualité bien-mal, mais dans la trame principale, il manque juste de respect. Et dans les quêtes secondaires, il va quand même traquer des gens qui ne sont pas des mecs “propres”, il chasse des animaux MÂLES et non femelles. C’est le joueur libre d’en faire un monstre ou non, lorsqu’on peut aider des gens en faisant le taxi jusqu’à chez eux ou en direction d’une secte. Idem à l’entrainement de sniper, l’objectif étant de crever les pneus, et non d’abattre des gens d’une balle dans la tête.
    Quant à la scène de la torture, elle est offerte à Trévor, il obéit aveuglement aux agents. Ce n’est pas son idée (et n’ayant pas de limite, il accepte de s’en occuper).

    Actuellement, un seul jeu m’a gêné, et c’est ManHunt, premier du nom, où on était suivi avevc une caméra, comme si on glorifiait les assassinats. D’ordures ou non.
    Et finalement la scène que certains joueurs ont pu passer ou ne pas participer, c’est dans CoD: Modern Warfare 2, avec l’attaque de l’aéroport, dont j’ai AIMÉ sa présence (car on “ose”), sans pour autant tirer une seule balle (c’est un jeu vidéo, mais tuer des pixels qui ressemblent à des humains innocents, non merci (même dans GTA je n’écrase pas les gens, et j’évite d’en tuer par erreur) ) .

    Je ne vois pas de jeux où ça va trop loin, ou que ce soit gênant. Jouant à de jeux de Grande Stratégie, je peux massacrer des peuples entiers. Dans le Political Simulator 4, on peut être des terroristes (et actuellement dans ma partie, je le suis!). Alors non, y a pas d’images atroces comme peuvent le suggérer des jeux comme GTA, masi l’idée est présente.

    Je pense que ça reste aux joueurs de réfléchir de ce que l’on fait dans un jeux vidéo, et si ce dernier est décent ou pas. C’est à dire faire un jeu où l’on est un psychopathe et qu’on doit tuer tout le monde, c’est bien débile. Je ne sais même pas si je vias le trouvef sur internet, et s’il srea sur des plateformes de jeux comme GOG et Steam (qui ont aussi des responsabilités, pour le coup). Mais sortir en ville et faire un massacre, on le fait déjà dans GTA. Mais en Age of Empires II, on tue aussi les villageois innocents pour couper les ressources de l’ennemi…

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