Interview au long cours de Simon Mesnard, le développeur de Catyph et de ASACoulisses

Interview au long cours de Simon Mesnard, le développeur de Catyph et de ASA

L’homme-orchestre ou l’art de porter plusieurs casquettes à la fois

Maintenant que tu as bien détaillé les conditions dans lesquelles tu travailles, j’aimerai en venir à ton approche artistique, et plus précisément à tes multiples casquettes. En effet, tu ne te contentes pas de développer des jeux vidéo, tu mènes en parallèle des projets très variés, qu’il s’agisse de court métrage d’animation, de roman ou même de bande-dessinée. J’en oublie peut-être, peux-tu m’aider à faire le point sur ces différentes activités artistiques ? As-tu parfois l’impression de te transformer en homme-orchestre ? Faut-il voir l’ensemble de ta production comme un tout ?

Comme tout le monde, mon travail actuel résulte d’un long apprentissage et d’un parcours plus ou moins semé d’embûches. Au départ, je n’avais pas spécialement prévu d’enfiler plusieurs casquettes. En tant qu’infographiste 3D spécialisé dans les moteurs de rendu (finalRender, Mental Ray, Vray), la première chose que j’ai appris à faire, c’était évidemment des images fixes. Seulement bien souvent, il s’agissait de recopier un objet existant : un stylo, un ordinateur, et même un grille-pain… Comme je ne savais pas spécialement dessiner, j’imaginais difficilement comment aller plus loin d’un point de vue artistique. Je voyais pas mal de monde (autour de moi et sur des forums) modéliser des personnages magnifiques à partir de leurs croquis préparatoires, mais je me sentais incapable d’y parvenir. Mes rares tentatives se sont soldées par des échecs, dont je n’ai pas souhaité garder trace ! C’était il y a pas mal d’années maintenant, et je sais désormais que chacun doit trouver son propre style sans se soucier d’égaler ou non les meilleurs. Sans cela, on n’avance pas, on cale.

En fait, l’une des toutes premières choses que j’ai fait en 3D, c’était des petits courts-métrages amateur, avec mon frère et mon cousin.

Dans les années qui ont suivi les rendus de grille-pains (ce n’était pas un thème choisi volontairement, je vous rassure), j’ai un peu évolué, avec l’envie de faire mes propres courts-métrages d’animation pendant mon temps libre. En fait, l’une des toutes premières choses que j’ai fait en 3D, c’était des petits courts-métrages amateur, avec mon frère et mon cousin. On a débuté dans ce milieu ensemble, en s’amusant. On avait une quinzaine d’années et on ne maîtrisait pas du tout nos outils. Pourtant il y avait du potentiel. Certes pas en animation, ni en modeling, mais dans la façon de raconter et de choisir les caméras, il y avait une envie, une certaine ambition. En tout cas le résultat était plutôt chouette pour des débutants ! Il faut savoir qu’au départ, avant de faire notre tout premier court-métrage ensemble (en 2001 ?), on s’était juste retrouvés à la maison pour jouer en réseau tous les trois, chacun amenant son matos et ses jeux en CD (pas de Steam à l’époque – même pas d’ADSL). On avait tous apporté nos ordis donc, et on n’avait aucune idée de ce qui allait se jouer ensuite : notre propre avenir. Ni plus, ni moins. On a créé un film tout naze qui s’appelait The Big Movie (ça en jette, avouez), et j’en ai encore honte. Et pourtant, tout est parti de là : chaque été, pendant les grandes vacances scolaires, nous avons essayé de faire un nouveau court-métrage plus poussé (ça a duré 4 ans, je crois). Depuis, nous travaillons tous dans le secteur de la 3D, mais dans des domaines plus ou moins différents. Mon frère fait également partie du collectif Icehouse que j’ai présenté plus haut, et son style graphique et ses compétences sont différents des miens. Mon cousin Max quant à lui, travaille dans les effets spéciaux et s’est spécialisé dans l’utilisation du logiciel Houdini. Il donne même des cours à Paris !

Tout ça pour dire que mon envie de faire des courts-métrages est toujours présente depuis cette époque. Je ne sais pas si c’est de la nostalgie, ou si j’aime réellement ça : sans doute un peu des deux. J’ai toujours aimé les jolies choses à la Pixar ou Ghibli, et je crois l’avoir déjà dit : c’était l’une des raisons qui m’ont poussé à faire de la 3D, et qui continuent de me motiver aujourd’hui. Je pense continuer de faire des courts-métrages, même si je ne sais pas encore comment, ni quand.

Ce qui est certain, c’est que je conserve le court-métrage comme un outil utile, au service de mes autres projets. La technique de réalisation d’un film d’animation peut s’appliquer à beaucoup de choses. Par exemple, cela peut me permettre de mettre en place un univers qui germe dans ma tête. Lorsque j’ai réalisé 2011 : A Space Adventure, je ne pensais pas encore que ce film serait réutilisé en introduction de mon jeu ASA, mais désormais je trouve cette façon de faire assez logique. J’ai donc procédé selon cette méthodologie pour mon jeu suivant, Catyph : avant de commencer la production du jeu, j’ai produit un court-métrage, c’est-à-dire un fragment d’histoire avec un début et une fin. Grâce à cela j’ai pu obtenir un premier ressenti du futur projet à travers le regard des internautes. Il m’est apparu clairement que Catyph (le court-métrage) suscitait beaucoup moins d’intérêt que le court-métrage précédent, 2011 : A Space Adventure. Mais d’un autre côté, beaucoup l’on trouvé plus personnel, moins inspiré par 2001, l’Odyssée de l’espace, par exemple, et c’était donc quelque chose de positif. On m’a aussi fait remarquer que les graphismes étaient mieux, que la narration était assez mystérieuse et propice au développement d’une histoire plus longue, ce que je recherchais pour créer le jeu Catyph.

L’animation 3D (ou 2D) est un outil long à mettre en place, mais tellement puissant. On peut s’en servir pour produire une bande-annonce de bande-dessinée (comme je l’ai fait pour Mon Village est Magique, puisque plusieurs plans animés introduisent des vignettes tirées de la BD). Elle peut aussi servir à créer des clips musicaux, à présenter des produits que l’on souhaite vendre, à faire une bande démo, voire même un film interactif à mi-chemin entre un court-métrage et un jeu, etc.

Je place donc l'”animation” (sous-entendu la création de courts-métrages) comme l’un de mes outils préférés. Pourtant il faut bien une base à un moment donné, et il s’agit du texte…

L'écriture de Mon Village est Magique constituait une aventure en soi.

L’écriture de Mon Village est Magique constituait une aventure en soi.

Écrire, c’est difficile. Si vous tentez de contacter un écrivain pour savoir comment écrire un bon livre (s’il accepte de vous répondre), il vous dira sans doute qu’il n’y a pas de méthode miracle, mis à part du travail, du travail et encore du travail. Le premier livre que j’ai écrit est un livre pour enfant… Il s’agit du tome 1 de Mon Village est Magique, qui a ensuite donné vie à la bande dessinée coopérative du même nom. C’est en 2009 que j’ai écrit la première version, et je la trouvais réussie. C’est là toute l’erreur d’un débutant : se contenter du premier jet et penser qu’il est bon. L’année suivante j’ai voulu écrire le tome 2, car j’avais laissé le scénario en suspens. En relisant le tome 1 pour me remettre dans le bain, j’ai trouvé plein de choses qui n’allaient pas et j’en ai été choqué. J’ai passé plusieurs jours d’hiver à tout retaper différemment ! Et cela s’est produit 3 fois en tout, sur plusieurs années, rien que pour ce petit livre de 100 pages au format “poche”. Encore aujourd’hui, lorsque je relis le livre, je ne l’aime pas : les dialogues sont à refaire, la ponctuation n’est pas toujours bonne, il manque des descriptions et je ne mets pas assez en avant les sentiments des personnages. C’est vraiment difficile. Je ne me considère donc pas comme un écrivain et je n’ai jamais publié mes ouvrages publiquement.

simon_mesnard_RoughEn revanche, j’ai entamé un gros tournant dans mes démarches lorsque j’ai commencé à voir mes livres comme autant d’univers exploitables pour mes travaux. Pendant l’année 2011, j’en avais marre de travailler sur Mon Village est Magique et d’autres projets, surtout que je n’avançais pas dessus. J’ai donc entamé un nouveau livre, dans un registre différent, mais qui me parle beaucoup : la science-fiction (c’est l’héritage de Stargate, toute mon adolescence). J’ai écrit les premières lignes qui ont donné naissance à ma série Black Cube, c’est à dire principalement les jeux ASA et Catyph. Ce livre est encore loin d’être terminé aujourd’hui, car je reviens sans cesse dessus pour faire des modifications. On y trouve de nombreuses histoires sur deux générations de la famille Forté, des humains originaires de Terra, qui ont découvert le pouvoir d’un étrange Cube Noir extra-terrestre. Philippe Forté est un personnage important dans ASA. Son fils, Yan Forté, devait être le héros de TBT: The Black Tower, mon projet de J-RPG qui a été abandonné après l’échec du financement en 2013. Le livre complet, que j’appellerai peut-être Les Chroniques de Terra si je le termine un jour, exprime le point de vue de ces héros sur l’univers qui les entoure, avec au cœur un vaisseau spatial appelé l’Arche. Il a été créé par un peuple lointain, les Anterrans, et il voyage de façon automatique dans tout l’univers pour y prélever des connaissances. L’Arche contient une Tour Noire, constituée de milliers de Cubes Noirs aux propriétés étonnantes, et cet assemblage préserve toutes les données relevées depuis des millions d’années de planète en planète, constituant ainsi une base de données incroyable et itinérante. L’idée de ce vaisseau et de ses créateurs : absorber des connaissances, encore et encore. À quelle fin ?

Cette base scénaristique est relativement riche et m’a vraiment apporté beaucoup d’idées pour mes jeux. L’inverse est vrai également : après avoir mis en images ASA et Catyph, je n’ai pas pu m’empêcher de revenir faire des modifications dans ce livre. De fil en aiguilles, il a grossi, a gagné en détails. Même s’il est loin d’être un bon roman de science-fiction, je pense qu’il raconte une histoire intéressante. Ma crainte, c’est de ne pas savoir m’arrêter : à force d’écrire, j’ai envie de créer de nouveaux jeux ou de nouveaux courts-métrages. Une fois qu’ils sont créés, j’ai envie de modifier mes textes. C’est un cercle sans fin !

simon_mesnard_figurineQuoi qu’il en soit, je crois que cela illustre assez bien ma façon de fonctionner. N’étant pas spécialisé dans un domaine particulier (je ne suis ni vraiment bon en dessin, ni en 3D, ni en écriture…), je suis devenu une sorte “d’artiste généraliste” (en espérant que le mot artiste n’est pas trop prétentieux). Je mets à profit toutes mes compétences pour mener à bien des projets sur différents fronts, avec différentes techniques, et sans doute pour différents publics. D’ailleurs j’aime tester de nouvelles techniques (figurines en pâte fimo, aquarelle…) et parfois des amis m’encouragent à persévérer.

Je pense parfois à Marcel Pagnol, qui est aujourd’hui si célèbre. Il a écrit de nombreux livres que nous connaissons tous. Il était écrivain de cœur. Pourtant à un moment de sa vie, il a choisi de tourner des films. Beaucoup de gens se sont moqués de lui au début, paraît-il : comment pouvait-il se rabaisser à passer derrière la caméra ? Le cinéma n’était sans doute pas vu comme aujourd’hui. Cependant, on connaît maintenant le succès de ses films et la qualité de son travail de réalisateur !

Eh bien ce que je retiens de cela, c’est simplement qu’il n’y a pas mieux placé qu’un écrivain pour mettre son œuvre en images. Le succès récent de la série Game of Thrones (ça vous parle plus que Pagnol ?) n’est pas lié uniquement à son budget et à ses effets spéciaux, c’est bien l’implication de son auteur original, RR Martin, qui a fait la différence. A titre comparatif, la série de livres l’Epée de Vérité (que j’aime beaucoup) a connu à la même période une adaptation en série TV : Legend of the Seeker… pour un résultat particulièrement mauvais ! L’auteur des livres n’a pas été sollicité sur ce projet. Et voilà.

Il faudrait que j’enfile ma casquette “marketing”, mais je ne la retrouve plus.

J’ai donc plusieurs casquettes, plusieurs projets que je mène en parallèle, mais je les mène surtout ensemble, les construisant les uns avec les autres. Tout cela selon l’inspiration, les rencontres, les opportunités, les financements… et selon mon bon plaisir ! La plus grosse difficulté, c’est de rassembler les bonnes personnes autour de moi, sur les bons projets selon leurs affinités. Je ne peux hélas pas tout faire tout seul, et j’ai peut-être eu les yeux plus gros que le ventre. Je m’estimerai heureux si je peux terminer ma série Black Cube en sortant encore quelques projets de qualité, et appréciés du public. C’est mon but principal après tout. Bien entendu j’aimerais également pouvoir en vivre, et en faire vivre les personnes qui m’aident, mais c’est une autre histoire. Il faudrait que j’enfile ma casquette “marketing”, mais je ne la retrouve plus. J’espère que quelqu’un de The Icehouse la retrouvera pour moi !

4 of 6
miniblob

Tombé sur Terre un peu par hasard, le blob dévore mollement tout ce qu'il trouve dans l'espoir de comprendre son environnement. Ne jugez pas trop sévèrement son appétit vorace ou vous risquez d'être au menu de son prochain repas.

Soutenez ExtraLife

A voir aussi

1 commentaire

  1. Galiat
    Galiat
    21 mai 2016 à 0 h 14 min

    Vraiment très bonne interview / biographie ! Bon, j’avoue, un poil long quand même ^^ ! J’ai sauté quelques paragraphes.

    En tout cas, je n’ai pas testé ASA, mais j’avoue que la vidéo de Catyph donne vraiment envie d’en savoir plus ! J’espère que tu trouveras le succès (ou tout du moins de quoi te permettre de vivre).

    Bon courage à toi, ton frère, et tes amis de l’association de soutien/entraide. J’espère vraiment que vous percerez dans le domaine qui vous passionne !

Réponse