Le longuement débattu Crédit d’Impôt pour la création de Jeux Vidéo, alias CIJV, octroyé aux développeurs français afin de donner un coup de pouce au secteur a finalement trouvé son chemin vers les joies du décret d’application après bien des négociations et remises en question, notamment sur le montant minimal du budget de développement jugé trop élevé dans la première itération du projet. Mais quelques mois plus tard, l’histoire n’est pas terminée, comme le relève Nextinpact, un groupe de députés socialistes souhaite apporter un nouvel amendement au CIJV, qui comprend pourtant déjà son lot de garde-fous, principalement liés à la violence.
L’amendement en question, que vous pouvez vous faire une joie d’aller consulter, vise à exclure du dispositif les titres comportant “des représentations dégradantes à l’encontre des femmes”, façon de prolonger la lutte contre le sexisme et de favoriser l’égalité des sexes. La proposition d’amendement viendrait compléter une liste de restrictions déjà établies relatives à la violence jugée “trop grande” ou “incontournable” ainsi qu’à la pornographie. Louable intention, mais dont la définition relativement floue peut laisser perplexe, on imagine que le but premier est de mettre à mort les figures féminines peinant systématiquement à trouver une armure suffisamment longue pour couvrir leur nombril mais elle pourrait aisément être étendue à quantité de représentations jugées “dégradantes”. A titre d’exemple, le fessier si visible de l’héroïne de Remember Me sur la jaquette du jeu est-elle une représentation sexiste et un appel aux bas instincts masculins ou la simple reproduction du gimmick à la mode du héros de dos avec artifice pyrotechnique ?
Pour rappel, si le CIJV comporte des restrictions d’ordre éthiques ou morales, il n’exclut pas pour autant d’emblée les jeux +18, contrairement aux premières versions du texte, le décret incluant une “contextualisation de la violence” et un barème d’évaluation, le crédit étant refusé lorsqu’un jeu remplit 3 des conditions suivantes. Extrait de l’article D. 331-25-1
- La violence présente un caractère disproportionné et gratuit : 1 point
- La violence présente un caractère cru et détaillé dans un environnement visuellement réaliste : 1 point
- Dans le cas où la séquence ferait état d’une violence répondant aux deux précédents critères, la violence dans cette séquence est quantitativement accentuée : 1 point
- La violence ne peut pas être contournée : 1 point
- La violence est encouragée : 1 point
Leur obtention s’apprécie au regard des problématiques politiques, sociales ou culturelles traitées
16 commentaires
TheElkantor
13 janvier 2016 à 14 h 01 minJe suis d’accord qu’on fasse des règles pour “ne pas faire n’importe quoi”, mais est-ce qu’on n’arrive pas à grandes enjambées vers une censure alarmante ? On est pas encore au niveau de la Chine, bien entendu, mais moi, ça me préoccupe quand même. J’ai l’impression que dans quelques années, si on ne se plie pas à la volonté des “hauts penseurs”, on ne pourra plus rien faire de créatif.
Alors attention, je ne cautionne pas certains titre comme haitred pour autant, mais au bout d’un moment, est-ce qu’on ne peut pas laisser les gens créer sans leur imposer des règles tout le temps en les obligeant à revoir leur copie ? Ça plaira, ou ça ne plaira pas, mais je trouve qu’il faudrait laisser parler la vision des développeurs (et ça vaut également pour les autres milieux créatifs comme le cinéma, etc…).
The Witcher sans ses côtés “matures” (géopolitique, guerre, horreurs en tout genre, sexe, ses personnages, etc), paraîtrait réellement moins convaincant et peut-être même moins prenant (moins intéressant, c’est sûr). Car ces éléments participent grandement à la complexité de son univers. Il en va de même pour la série GoT, par exemple (pour ne pas que parler de JV).
Enfin, je pense que c’est un sujet sans fin, il y aura toujours de l’excès que ce soit d’un côté comme de l’autre.
cKei
13 janvier 2016 à 14 h 32 minD’un côté je suis toujours pour limiter le “sexisme” au max dans la production de JV (ce qui ne m’empêche pas de consommer allégrement certains jeux qui pourraient être jugés comme tels), d’un autre je ne pense pas que ce soit la bonne solution de leur couper les vivres.
D’abord, qu’est-ce que ça va concerner ? Comme le faisait implicitement remarquer William Audureau sur Twitter, les JV français contenant suffisamment de représentations dégradantes de la femme, ça court pas les rues. Alors même si on se prémunit de financer ça dans le futur, ça me parait un peu inutile.
Et ensuite, le côté arbitraire de la chose me fait peur. Qui va décider et comment ? Seront-ils objectifs ? Tout ça, ce barème, ça me fait beaucoup penser à la situation du marché du manga au japon décrite (en accentuée) dans Poison City : des bienpensants qui s’arrogent un droit de vie ou de mort des œuvres sans rien en connaitre. Et au final la disparition de production “subversives” ou juste un peu moins fines que les autres. Sans que ça ait vraiment un bon impact sur les joueurs.
Demystificator
13 janvier 2016 à 15 h 39 minJe ne pense pas que ce soit une bonne idée.
Je fais partie des gens qui a l’impression que les jeux sont “trop” violents. Je veux dire qu’il y a beaucoup de violence pour pas grand chose. On est passé de donner un bête coup de couteau pour tuer un soldat à une mise en scène où on le retourne, on lui tranche la gorge avec un peu de sang qui te gicle dessus…
Mais le sexisme est un problème bien secondaire. Déjà, l’image de la femme du jeu vidéo, on en parle mais les femmes qui twerkent dans les clips musicaux en bikinis, ça, non ?
Et, c’est quoi le sexisme ? Il y a toujours quelqu’un pour penser qu’une histoire est sexiste. Lara Croft a toujours été critiquée pour ses seins en oubliant que c’est une femme seule, qui tue des hommes, qui est très intelligente et plus agile et endurante qu’un être humain normal… Même dans le reboot, j’ai entendu des gens dire que toute l’intro où on la voit souffrir était sexiste, que si c’était un homme, il aurait pris les armes beaucoup plus tôt et aurait conservé un côté bad ass…
Et puis, on a l’impression que d’autres sujets comme le racisme et la drogue sont complétement absentes de ce débat.
Et agiter une carotte pour obéir à des soi disant principes moraux… C’est ni plus ni moins que de la censure déguisée et on risque de se retrouver au cas que le cinéma connaît.
Pas question de faire des films d’action ou d’en dire du bien en France, à tel point que Besson a fini par partir, voire mépriser ce qu’on pouvait penser de lui en France.
Et on risque donc de se retrouver avec des jeux féministes, très pacifiques, randonnées simulators juste pour gagner de l’argent et se faire mousser… Car ça va devenir un bête argument de pub d’avoir une héroïne sans que le jeu ne suive derrière…
Je crois que finalement, celui qui veut faire un jeu non violent, non sexiste, il le fera sans ce crédit d’impôt. Souvenons nous qu’à la base, Tomb Raider contient très peu de combats entre humains car le créateur voulait justement se démarquer des jeux violents. Et il a fait une femme pour les mêmes soucis d’originalité. Et on sait aujourd’hui que Lara Croft est considéré comme un énorme cliché de violence et de sexisme…
SiZZiGY
13 janvier 2016 à 18 h 22 minC’est encore de la connerie de politicien, la violence, le sexe, et bientôt ce sera quoi, les injures et les jeux qui font peur? Il faut revenir à la réalité, le jeu vidéo est un royaume où le fantasme est roi, ne pas lui laisser son champ d’action c’est pire que de la censure, c’est dénaturer le jeu lui même.
Ethalis
14 janvier 2016 à 8 h 30 minAvant de crier à la censure, il faut quand même pas perdre de vue qu’on ne parle pas d’interdire le sexisme dans les jeux vidéo français, mais bien de ne pas accorder de crédit d’impôt aux développeurs ne respectant pas certains critères. Ca me paraît complètement légitime, dans le sens où je trouverais très bizarre que l’Etat finance (indirectement certes mais tout de même) des oeuvres considérées comme sexistes tout en combattant par ailleurs ce genre de représentations et de préjugés. Imaginez seulement qu’un jeu du genre DoD Xtrem Volleyball sorte en France, est-ce que vous avez vraiment envie qu’il soit financé par le budget de l’Etat ?
Ceux qui veulent s’amuser à perpétuer ce vieux cliché du jeu vidéo pourront toujours le faire, mais devront simplement se passer de crédit d’impôt, ce qui ne me paraît pas exagéré.
TheElkantor
14 janvier 2016 à 11 h 14 minJe comprends ton point de vue Ethalis, mais il y a quand même un monde entre DoD Xtrem Volleyball et Tomb Raider par exemple. Et sans aide, même infime, beaucoup de projets ne peuvent pas aboutir. Quand tu vois qu’au Canada, l’aide de l’état s’élève à 30% du budget total du jeu (jusqu’à une limite de 3 millions de dollars canadien il me semble), c’est vraiment un plus non négligeable. Alors en France, on est d’accord qu’on est pas du tout à ce niveau là, et que l’aide est bien souvent accordée avant tout aux principaux acteurs du S.E.L.L (n’est-ce pas monsieur Cage ?), mais c’est tout de même un bon moteur pour commencer des projets.
La France est un pays un peu à la ramasse dans ce domaine, si les développeurs doivent brider leur liberté d’expression pour sortir leur jeu, sous prétexte qu’on voit par exemple le fessier de l’héroïne, alors même que c’est un TPS, ça demande de recommencer énormément d’étape de conception, d’animation…
Et imaginons maintenant que l’état ajoute des restrictions, comme un système de parité, cela voudrait dire que les studios souhaitant faire un jeu avec un héros masculin à forte personnalité (par exemple), passerons en dernière position pour recevoir ces aides, même avec un projet en béton et une réelle volonté de percer dans le milieu ? Je ne trouve pas ça très juste.
On est d’accord que le sexisme pur et dur, sans réelle vocation derrière n’est pas un fait que l’état doit encourager, mais ce qui me fait peur, c’est surtout cette prise de position de personnes n’y connaissant pas grand chose au milieu, doté d’une vision bien précise, qui pourraient ajouter d’autres règles. Une sorte entonnoir très fin en quelque sorte, pour trier les projets selon ce qu’ils souhaitent voir.
Ethalis
14 janvier 2016 à 11 h 40 minJe comprends bien, et je suis même plutôt d’accord sur le fait que ça peut mener à des abus, mais sur le principe je vois pas de gros problème : l’Etat doit donner l’exemple, et subventionner des projets profondément sexistes avec son budget ça serait assez choquant. Ceci étant tout, tout va en fait dépendre de la vraie portée de cet amendement : si il se contente de viser les jeux particulièrement sexistes (je parlais de DoD mais pourrais aussi parler de Smite par exemple, qui est peut-être pire parce qu’il fait passer ça pour un choix esthétique) ça ne posera pas de gros problèmes, mais si il s’agit effectivement d’une censure déguisée ça peut être dangereux.
Il faudrait en fait voir la composition du comité chargé d’étudier les demandes, parce qu’il faudrait effectivement qu’il s’agisse de personnes ayant un lien avec le milieu, un minimum d’indépendance et une liberté de mouvement.
TheElkantor
14 janvier 2016 à 12 h 11 minje vais citer une député PS de la Vienne (Catherine Coutelle), à l’origine de cet amendement concernant le crédit d’impôt pour dépense de créations jeux vidéo (CIJV) :
« Il y a souvent soit une absence complète de personnage féminin, comme dans “Assassin’s Creed”, ce qui est une négation de l’existence de la femme ; soit des héroïnes très érotisées, identifiées par leur physique, avec de grosses fesses et de gros seins pour le dire crûment, alors que les héros masculins sont tout à fait habillés. Pourtant, il y a autant de femmes que d’hommes qui jouent, selon les études. On voudrait que les femmes ne soient pas toujours des princesses ou des call-girls. » (source : Le Monde)
En gros, ce que je retiens personnellement, c’est que selon ces “penseurs”, il n’y aurait pas assez de femmes représentées (première partie du texte). On est bien d’accord que, dans ce cas, ça bride entièrement la liberté des créateurs, puisqu’il leur serait pratiquement imposé de créer des jeux mettant en avant des femmes (dans des proportions comme un life is strange de dontnod par exemple). Celui/celle qui veut faire un jeu retraçant l’aventure d’un homme pourra donc se voir amputé de cette aide. Et pour moi, ce n’est pas juste, c’est liberticide.
Surtout que je vais revenir aux dires de Catherine Coutelle : “les héros masculins sont tout à fait habillés”. Il faut bien comprendre que des clichés, il y en a des deux côtés. Personne ne s’insurge contre le fait de voir des combattants d’un SF torse nu, avec des muscles en dehors du raisonnable (et il n’y aurait aucune raison apparente d’ailleurs de protester contre ça, selon moi).
Laissons donc les développeurs fournir les expériences qu’ils souhaitent proposer, c’est vraiment ce que je souhaite véhiculer.
SiZZiGY
14 janvier 2016 à 13 h 46 minLe problème ici c’est l’intention de l’état de dicter les règles du jeu par la restriction comme ils le disent, on va sanctionner par un stupide système de points des projets qui je pense devraient être analysés dans leurs ensemble, les privant d’une aide parfois essentielle. Puis clairement, ubisoft n’a pas besoin d’aides financières, là ou la scène indépendante souffre d’un manque de moyens. C’est un faux débat comme toujours qui le cerne pas la totalité du problème.
Cette volonté de vouloir mettre une grille de cotation est absolument débile surtout dans les domaines de la création et qui de plus est nous est imposée par des politiciens qui n’ont certainement pas joué dans leur intégralité les jeux sur lesquels ils basent leur raisonnement, qui à pour but tout autre chose que de se préoccuper du sort des jeux vidéos, leur intérêt c’est la société et son contrôle.
Puis soyons clairs, les dérives dans les jeux ce n’est certainement pas les studios français qui en ont faites, on peut mettre des règles à la con là où il n’y a actuellement aucun problème récurrent, au mieux une sensibilisation auprès des éditeurs serait amplement suffisante pour ne pas dériver. Mais imaginer des systèmes de privation car on peut cocher telle ou telle case vis à vis d’un projet créatif, c’est de la niaiserie.
Anozer
14 janvier 2016 à 19 h 30 minJ’ai l’impression que bon nombre de commentaire part du principe que c’est une lois pour tous les jeux vidéos créés en France. Mais cela ne représente que les titres demandant un crédit d’impôt. Une subvention étatique conditionnée par une expression politique.
Si l’idée que tu te fais du JV va à l’encontre des conditions édictées dans cet amendement, tu ne voudrais de toute façon pas que l’Etat le finance. Ou alors tu as des barrière bien floues…
Alors que des oeuvres favorisées financièrement par un gouvernement aient à être en accord avec la politique de ce même me gouvernement me parait plutôt… normal. Mais bien entendu tout dépendra de la légèreté ou non de l’analyse qui sera faite des oeuvres concernées.
C’est plutôt une marque forte du gouvernement qui s’intéresse à la question du sexisme dans le JV. Et c’pas un mal parce qu’il y a franchement du travail à faire…
BurningWolf
14 janvier 2016 à 22 h 40 minPourquoi au lieu d’appliquer une logique négative on appliquerait pas une logique positive? On fixerait un crédit plancher pour tout les jeux crées et développés en France et on mettrait des bonus significatifs quand les jeux sont un peu plus “malins” qu’un jeu débilement violent ou qui exposent une image positive de la femme? Pourquoi toujours vouloir restreindre quand on pourrait pas au moins essayer d’encourager?
SiZZiGY
15 janvier 2016 à 2 h 20 minA 100% d’accord avec toi BurningWolf :) Mais trop de gens n’ont toujours pas compris que “restreindre” en prétendant “améliorer” les choses est juste une pensée caduc. Ce n’est pas dans l’ablation et l’amoindrissement qu’on s’élève…