La profusion de vidéos dites “Let’s play” sur Youtube a déjà posé questions à de multiples reprises, car de l’analyse avec commentaires et plus-value au simple streaming intégral, il y a un large fossé, qui dans tous les cas, profite plus à celui qui a posté la vidéo qu’à celui qui a produit son matériel de base. Le développeur de That Dragon, Cancer aborde la question dans un post sur son blog. Pour Ryan Green et toute l’équipe de Numinous Games, la diffusion intégrale d’un jeu linéaire et narratif est une petite mort, financière et artistique.
La question abordée par Ryan Green est assez simple : que penser des “let’s players” qui, pour dire les choses crûment, se font du blé sur leur dos ? Loin de condamner la pratique, Ryan Green apprécie même les vidéos commentées, qui permettent à certains de partager leurs expériences personnelles ou leurs ressentis et reconnaît l’impact qu’elles peuvent avoir sur la médiatisation du titre. Il apprécie en revanche nettement moins l’existence de vidéos dénuées de commentaires permettant de découvrir l’intégralité de son titre qui, comme tout jeu à forte teneur narrative, peut en effet se regarder plutôt que se jouer et ne présente ensuite plus vraiment d’intérêt, contrairement à un Triple A ou un jeu ouvert. Sans blâmer directement et uniquement les let’s plays, Green dévoile dans ce post que That Dragon Cancer, en dépit de sa notoriété ayant largement dépassée le cadre du petit monde ludique, n’a à ce jour pas rapporté un dollar à l’équipe de développement qui a travaillé à temps plein sur le titre pendant 3 ans. Et il n’est pas ici question de bénéfices, mais de paiements de dettes ou du défraiement du compositeur de la bande-son, payé d’avance par le studio. C’est d’ailleurs la réaction de certains Youtubers au Content ID de la bande-son qui a provoquée cette prise de parole, Content ID qui a depuis été supprimé. Cette absence de bénéfices, toujours selon Ryan Green, empêche Numinous d’envisager la localisation du titre ou son portage sur d’autres supports, des ambitions qui nécessiteraient par conséquent de nouveaux investissements personnels de la part de l’équipe.
Si une fraction de ceux qui ont regardé un let’s play ou un stream Twitch nous avait laissé un pourboire de $1 sur notre site web […] nous aurions suffisamment de fonds pour continuer à travailler et à créer au bénéfice de la communauté des joueurs et du Let’s Play
Mais l’aspect pécuniaire n’est pas le seul regret de Numinous qui souligne également que regarder That Dragon Cancer et interagir avec lui sont deux choses bien différentes, comme si les Let’s play, sans commentaires ou analyse une fois de plus, étaient une forme de trahison de l’intention originelle du studio. S’il va de soit que le message de Numinous prend une saveur particulière en raison du propos de son bébé (le récit autobiographique de la lutte d’un enfant contre le cancer), il ne fait guère de doute que quantité de développeurs indépendants doivent avoir envie de co-signer cette lettre ouverte aux amateurs de stream qui négligent jusqu’à l’ajout d’un simple lien vers leur site officiel.
Pour des millions de viewers, les Let’s Play de notre contenus suffisent à satisfaire leur intérêt et il n’interagit jamais avec le jeu d’une façon personnelle, telle que nous voulions qu’il le vive.
S’il est aisé de comprendre le point de vue des créateurs qui vivent assez mal de voir leur travail profiter à d’autres, ce post est une nouvelle occasion de s’interroger sur certains titres au sein desquels la narration l’emporte plus que largement sur l’interactivité et la frontière qui existe entre un “récit animé” et un “récit interactif”, communément nommé “jeu vidéo”, ce que beaucoup ne manquent pas de signaler à Numinous. Un sujet que nous abordions justement dans l’un de nos derniers podcasts. Sans vraiment trouver de réponse…
5 commentaires
Alouxator
25 mars 2016 à 19 h 21 minJ’ai jamais aimé regarder des Let’s Play. Regarder quelqu’un jouer, je ne vois pas l’intérêt. C’est se gâcher des grands jeux et des expériences vidéoludique (dans le cas That Dragon Cancer).
SilentSib
26 mars 2016 à 13 h 21 minJe suis personnellement consommateur de certains Let’s Play. Le plus souvent, ce sera pour des jeux que je trouve intéressants (jeux d’infiltration, jeu d’horreur) mais que je ne me sens pas de jouer.
Par exemple, j’ai déjà essayé de jouer à des Hitman et malgré le fait que je les apprécie, je ne sais pas m’y prendre correctement et ça finit par me frustrer plus qu’autre chose. C’est là que je vois l’intérêt d’un Let’s Play : la possibilité de connaître le contenu d’un jeu (en plus du commentaire de celui qui y joue) sans pour autant perdre mes nerfs et ma patience.
La même chose pour les jeux de la série Silent Hill par exemple. J’adore l’atmosphère, mais je ne peux pas me résoudre à y jouer moi-même. Ca me rend bien trop mal à l’aise (oui, c’est le but, je sais) et stressé.
GardeSage
28 mars 2016 à 16 h 01 minIl est vrai que regarder jouer semble parfois étrange et sans intérêt mais l’expérience de “regarder” et celle de “jouer” sont aussi différentes que le jeu-vidéo et le cinéma avec tout ce que ces media culturels possèdent en commun. Plus précisément, la meilleure comparaison serait donc “jouer sur le terrain” et “regarder un match commenté”, puisqu’il apparait qu’un match (ou un jeu en l’occurrence) sera plus ou moins intéressant selon l’identité du commentateur et la qualité de ses interventions.
Lorsque j’étais jeune, regarder jouer ne m’intéressait pas du tout et j’aurais sûrement été de ton avis si l’on m’avait interrogé à l’époque mais avec du recul je n’ai plus forcément envie de jouer au jeu et je préfère parfois profiter d’une expérience par l’intermédiaire d’un joueur auquel je m’identifie ou qui m’apporte une toute nouvelle approche du medium. Si ce joueur n’apporte rien de plus ou joue très mal au point que l’on aurait envie de lui prendre la “manette” des mains, cela revient effectivement à la problématique citée dans l’article : quid des let’s play fades et impersonnels ?
Demystificator
25 mars 2016 à 20 h 38 minAutant, faire un jeu sur son histoire ne me semblait pas foncièrement mercantile ; autant j’ai l’impression que ce coup de gueule a quelque chose de très vénal.
Mais franchement… Demander 15€ pour un jeu solo, sans aucune rejouabilité avec un gameplay aussi limité… Le problème ne viendrait il pas de là ?
C’est sûr qu’interagir avec un jeu et regarder quelqu’un d’autre y jouer ne sont pas la même chose. Mais quand on vend un jeu surtout sur son histoire monolithique et inébranlable ; les gens voudront l’histoire et pas le jeu.
C’est finalement un peu le deal dans toute industrie. Si on veut gagner de l’argent, soit on fait la chasse aux violations de copyright comme le cinéma ou la musique ; soit on offre quelque chose d’impossible à partager : un jeu riche et bien réalisé et souvent multijoueur qui ne se repose absolument pas sur l’histoire.
Je n’ai pas vu de Let’s Play et pourtant je ne veux pas payer leur jeu. Car je connais déjà l’histoire (malheureusement, il n’y pas de twist) et qu’en tant que joueur, je ne vois rien d’intéressant.
S’il voulait gagner de l’argent en vendant son histoire, il aurait mieux fait d’écrire un bouquin qui aurait pu finir adapté en film. Au moins, il aurait été plus légitime que tout le monde paie.
Je crois que de nombreux jeux souffrent des let’s plays, surtout dans les jeux du genre horreur. Il fallait faire le nécessaire pour contrôler la diffusion de son jeu.
Je trouve ça paradoxal qu’il vienne se plaindre alors que son jeu ; rien que par son titre et son image gâte toute l’histoire… Alors qu’un jeu comme Arkham Knight qui est attendu sur son scénario n’est toujours pas spoilé honteuseument sur le net (sauf si on regarde délibérément un let’s play). Il y a pas mal de jeux qui limitent les temps vidéos ou qui posent des contraintes aux journalistes pour conserver l’intérêt de leur jeu et surtout du scénario. Je ne comprends pas pourquoi il ne l’a pas fait.
C’est sûr que ça salirait leur image d’aller voir des vidéastes et leur interdire… Mais au bout d’un moment, quand ton emploi est menacé, il faut faire des concessions.
Plus largement, c’est un problème qui touche en effet tous ces films interactifs. Mais même The Path avait mis l’astuce de mettre plusieurs filles, plusieurs objets facultatifs à trouver. Du coup, on pouvait en parler, en montrer sans gâter 100% du jeu… Et il y avait des choses à faire parce que faire tout un jeu remplis de QTE obligatoires, sans enjeu, à 15€ dans un style graphique minimaliste… Ca ne me tente pas du tout, désolé.
AureumDraconis
8 avril 2016 à 11 h 10 minEn tant que spectateur de vidéos non commentés, je peux apporter un témoignage :
Les intrigues et les histoires que racontent les jeux vidéos sont de plus en plus poussées et méritent qu’on leur porte intérêt. On est certes pas au niveau d’un film à scénario (quoi que), mais ce n’est souvent pas pire qu’un block buster hollywoodien bien bourrin. Quand à la qualité visuelle, cela n’a jamais été un problème : je sais à quoi m’attendre et mon exigence n’est pas la même que pour un véritable film.
A titre personnel, je n’ai pas le temps et généralement pas l’envie de jouer à ces jeux (souvent d’action). Par le passé, les JV ont failli me mener sur une voie de garage professionnel tellement j’y consacrait de temps. Et je n’ai pas envie de prendre ce risque à nouveau. Consacrer 10 ou 15 heure (ou plus) à un jeu, ne m’intéresse plus. Par contre, visionner un “film” original d’une à trois heures le soir c’est parfaitement dans mes cordes.
C’est ainsi que Uncharted, L’Ombre du Mordor ou The Witcher font des “VOD” d’un soir tout à fait valables.
Et même des jeux comme Limbo ou Runaway m’ont fait passé des soirées collé à l’écran absorbé par le destin et le parcours des personnages.
Je comprends parfaitement les interrogations de Ryan Green. Je trouverais parfaitement normal que les revenus générés sur Youtube ou d’autres plateformes de streaming soient partagés avec les studios éditeurs qui au final sont les véritables auteurs.
Par contre, si ces vidéos venaient à être bloquées pour droits d’auteurs, par les “ayants droits”, je trouverais ça parfaitement injustifié : les personnes qui produisent ces films fournissent eux aussi un travail : faire le jeu, sélection des scènes, montage, etc. Par ailleurs, le “produit” qu’ils proposent est original. Les éditeurs de jeux eux même ne proposent (que je sache) jamais leurs productions sous une autre forme qu’un jeu. Alors qu’il existe un public pour la version film de leurs créations.
Pour moi, il y a trois solutions :
– Youtube met en place les revenus partagés (peu probable),
– Les éditeurs de jeux mettent en place des comptes de dons spontanées et les vidéastes intègrent un lien dans leurs vidéos (charge aux éditeurs de rappeler aux vidéastes qu’il serait bien de penser à faire figurer ce lien dans les commentaires ou au générique de fin.)
– Les éditeurs de jeux, proposent eux même des versions scénarisées de leurs jeux.