Et si certains jeux allaient trop loin ?Opinion

Et si certains jeux allaient trop loin ?

Je joue depuis que j’ai six ans. J’en ai trente-six aujourd’hui. En près de trente ans de jeu, dont plus de quatorze passées au sein de la rédaction d’un grand site web, je pensais avoir à peu près tout vu en matière de violence, de mauvais goût ou tout simplement de niaiserie. Simulateurs de hooligans, gestion de prisons, snuff movies interactifs… avec le temps, j’ai fini par ne même plus prêter attention à ces productions qui tentent ponctuellement de se démarquer en jouant la carte de la provocation. En réalité, ces provocations restent toujours aussi puériles que l’attitude d’un enfant qui lâcherait son premier gros mot à la face de ses parents, juste pour tester les limites de l’acceptable. Il y a deux ans, la sortie de GTA 5 m’a toutefois un peu bousculé. Je suis convaincu que le jeu vidéo, au même titre que la littérature, le cinéma, ou la musique, ne rend pas violent. Cependant, je suis tout aussi convaincu que cette réalité ne doit surtout pas dédouaner les développeurs de leurs responsabilités. Ce serait dangereux de se cacher derrière cette bannière pour justifier tout et n’importe quoi simplement parce qu’il ne s’agit que d’un jeu vidéo, et qu’un jeu vidéo ne fait de mal à personne.

gta5_los_santos

Grand Theft Auto 5 (Rockstar, 2013)

Dans le cas de GTA 5, c’est le personnage de Trevor qui m’a dérangé. Incarner un héros dénué de toute morale, simplement guidé par ses instincts les plus primaires, soulève un énorme problème d’implication et d’identification. C’est peut-être très personnel, mais il me faut quelque chose sur lequel m’appuyer et qui saura me porter durant le jeu. Un trait de caractère, une motivation scénaristique… Je ne demande pas beaucoup. Juste une justification quelconque capable d’expliquer pourquoi le personnage que l’on me propose d’incarner agit comme il agit – quelque chose qui me fasse comprendre pourquoi moi, le joueur, doit réaliser telle ou telle action. Même si cette motivation va à l’encontre de mes convictions personnelles, il me faut quelque chose. Avec Trevor, j’ai beau avoir été patient au point de terminer l’aventure, je n’ai rien eu de tout cela. Le type est fou. Point barre. Pour en avoir discuté avec d’autres joueurs, je sais que je ne suis pas le seul à avoir été gêné par le personnage mais je sais aussi que ce même Trevor est la raison pour laquelle d’autres adorent le jeu. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas aimé GTA 5 mais Trevor n’est pas le seul responsable. La critique sociale du m’as-tu-vu californien déjà très parodique de base, ne m’a pas convaincu non plus. À vouloir justement dénoncer cette culture de la superficialité, Rockstar semble lui-même être tombé dans le piège d’une caricature facile et dénuée de toute subtilité. Le studio s’est noyé dans son propos, en développant un titre jouant la carte de la surenchère, dans l’unique but… de jouer la carte de la surenchère parce qu’il en a les moyens, pas parce qu’il tente de défendre un propos ou une vision des choses. GTA 5 reste donc pour moi un jeu passé à côté de son sujet, et à mille lieues de la justesse dont faisait preuve l’épisode précédent. En réalité, ce cinquième volet n’a pas seulement été une déception, mais une sorte de révélation. Alors que le titre continue aujourd’hui d’être acclamé, et qu’il reçoit les louanges de la presse et des joueurs, le jeu me fait me sentir en décalage avec ce que les jeux vidéo sont vraisemblablement censés proposer de mieux. En fait, GTA 5 est réellement le premier jeu à me faire me demander si je n’étais pas soudainement devenu un vieux con.

Moonstone de Mindscape (1991)

Moonstone (Mindscape, 1991)

Je joue pourtant depuis ma plus tendre enfance. J’ai connu BurgerTime sur Intellivision, gagné des médailles d’or aux Jeux Olympiques sur Apple II, et bien sûr suivi la glorieuse ascension du charpentier devenu plombier en jetant un œil discret mais peu intéressé à son concurrent le hérisson en baskets. J’ai trainé mes clics sur Amiga dans l’ombre de la bête et baigné dans le sang de Moonstone, avant de me prendre la tête sur la meilleure configuration PC, celle qui permettrait de faire tourner sans problèmes Doom 2 – jeu que je n’aurai finalement pratiqué qu’une seule après-midi, faute de motivation. J’ai traversé Sanitarium, parcouru les premiers Resident Evil, survécu aux horreurs de la plupart des Silent Hill et même flâné dans les rues de Liberty City sans but précis que celui de semer la zizanie derrière moi. La violence ou le malsain ne m’ont jamais offusqué et pourtant je ne me suis jamais tant senti en décalage par rapport au média que j’aime tant qu’avec le cas GTA 5. Donc oui, suis-je réellement devenu un vieux con prompt à condamner un jeu pour son propos ?

Cette question, je me la suis récemment posée de nouveau en découvrant, avec stupeur, la bande-annonce d’un autre titre nous faisant incarner un psychopathe prêt à descendre dans la rue pour tuer le plus d’innocents possible. Et là, on touche un point sensible. Non, le jeu vidéo ne rend pas violent, mais encore une fois, cela peut-il justifier toutes les dérives ? Alors qu’il ne se passe pas une semaine sans que les journaux américains ne rapportent un nouveau shooting, alors même que le mot shooting est devenu un nom commun directement associé à la folie meurtrière d’un fou dans la rue, dans une école ou dans un cinéma, un studio ne trouve-t-il rien de mieux à faire que de développer un titre pour nous faire contrôler l’auteur du massacre ? Vraiment ? Un tour sur le site officiel dudit studio précise avec un smiley qu’il ne s’agit que d’un jeu, et qu’il ne faut bien entendu pas reproduire cela à la maison… Oui, c’est pathétique, et même flippant si vous voulez tout savoir.

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Alors que faire ? Dénoncer la pratique et donc passer pour un censeur en colère dès qu’un jeu vidéo sort des clous ? Ou ne rien dire et laisser couler en tentant de se convaincre qu’après tout, le jeu concerné sera certainement très mauvais et que les joueurs l’oublieront bien vite ? Jusqu’à présent, mon radar interne prenait généralement le contrôle pour me mettre en mode veille et me permettre de passer outre le politiquement incorrect. Et puis, il y avait toujours une part de justification, même cachée dans les jeux qui ont défrayé la chronique. Prenez Manhunt, par exemple. Oui, c’est un jeu violent. Mais nous sommes ici entre crapules. Le héros est une ordure qui tue d’autres ordures. Ce n’est pas bien malin, mais j’arrive à comprendre la “logique”. Même chose dans Hotline Miami ou même dans Hitman. L’agent 47 est un tueur à gages qui ne s’en prend finalement qu’à des cibles baignant déjà dans le crime. Dans un sens, cela devient acceptable. Surtout qu’à aucun moment, il n’est demandé à l’assassin de briser la nuque d’un parfait innocent. Et à sa défense, c’est la même chose dans un GTA. S’il est possible d’écraser les piétons, ce n’est pas le but du jeu. Il ne s’agit pas d’une fin en soi, “juste” d’un à côté – crétin, mais non obligatoire. Et c’est exactement ce qui coince avec le simulateur de shooting où l’entièreté de l’expérience repose justement sur le massacre d’innocents. Comment peut-on sincèrement penser que le meurtre de masse puisse se prêter à un jeu vidéo ? Et par extension, peut-on réellement adapter n’importe quel sujet en jeu vidéo ? Car c’est plutôt cela la vraie question. Les développeurs jouissent-ils d’une liberté totale ou sont-ils au contraire soumis à une limite à ne surtout pas franchir ? Dans ma jeunesse, j’aurai certainement penché pour la première option, justifiant mes propos par la sacro-sainte liberté d’expression. Mais le vieux con que je suis devenu semble moins catégorique.

do_not_crossCar si tout est réellement permis, pourquoi n’a-t-on jamais eu droit à un simulateur de camp de concentration ? Et faut-il un jour s’attendre à un jeu où il s’agira d’abord de capturer puis de décapiter le plus de journalistes possible ? J’espère sincèrement ne pas me tromper en déclarant que jamais aucun de ces titres ne verra le jour. Mais je me pose la question. Qu’est-ce qui distingue ces deux concepts de celui du “simple shooting” ? Si ces deux exemples sont proscrits, c’est qu’il existe bien une limite à ne pas franchir. Où se situe donc cette limite ? Avant ou après le simulateur de meurtres en masse ? Combien d’autres provocations faudra-t-il subir avant qu’une loi ne vienne clairement définir la limite ? Et surtout, souhaite-t-on réellement en arriver là ?

Jihem

La découverte de BurgerTime aux débuts des années 80 aura clairement affecté la vie de ce grand bonhomme. Non seulement, Jihem a développé une passion pour les jeux vidéo, mais il a également choisi de s'installer au pays du hamburger. Sa mère est plutôt heureuse qu'il n'ait pas découvert les jeux avec Boogerman.

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101 commentaires

  1. Elvis
    Elvis
    22 septembre 2015 à 9 h 37 min

    Et si notre représentation de la société allait trop loin ?
    Car je trouve cela bien trop simpliste de la part de certains médias ou bien pensants de tout mettre sur le dos des jeux vidéos (ce qui n’est pas le sujet de l’article, je le conçois bien).
    Le regard que je peux porter sur un média quel qu’il soit (littérature, cinéma, séries, BD, JV, …) avec le recul de ma quarantaine n’est certainement pas celui que j’avais il y a plus de 20 ans.
    La violence, l’horreur voire la torture sont tellement mis en avant depuis une bonne quinzaine d’années, que ce soit au cinéma (les hostels et autres saw….), en BD (deadpool, punisher), les séries (WD, GoT, que j’adore soit dit en passant) et même en littérature (j’ai souvenir de certains passages écrits par Chattam qui m’ont donné de bons frissons).
    Et finalement le jeu vidéo a suivi la tendance.
    Sommes-nous un génération de monstres (je parle pour ceux de mon âge évidemment) parce que nous avions comme référence de dessin animé les cobra, albator, et comble du scandale, ken le survivant ?
    J’ai plutôt le sentiment que l’éducation que l’on apporte à la jeunesse manque aujourd’hui de repères, d’explications et de prises de conscience.
    J’ai le souvenir de mes parents qui s’intéresser un tant soit peu à ce que je jouais, quel que soit le support d’ailleurs.
    Désormais voir des parents acheter un CoD à leur “bambin” de 12 ans est devenue monnaie courante. Qu’est-ce qu’il va en être demain ?

  2. MarlBourreau
    MarlBourreau
    22 septembre 2015 à 9 h 52 min

    Vieux con, vieux con, vieux con…
    Tu n’as que 36ans Jihem, tu n’es pas si vieux que ça ^^

    Sympa ton billet.
    Personnellement je ne partage pas ta sensibilité même si j’ai parfaitement cerné ce qui te dérange. En ce qui me concerne, je pense que je prends trop de recul quand je joue à un jeu, lis un livre ou visionne un film un peu boarderline. Pour moi ça reste du divertissement. Certes j’ai également besoin que ma fibre empathique soit titillée pour que je m’immerge dans le scénario/background mais dans le cas d’un jeu, si le gameplay est excellent je peux fermer les yeux sur ces manques.

    A titre d’exemple, je déteste l’univers de Bayonetta, je n’ai pas accroché au charadesign général, hormis celui de la Belle et je trouve la bande son horripilante. Pourtant j’ai crevé le jeu. Je lui ai consacré facilement plus d’une centaine d’heures car manette en mains je m’éclatais. Pour moi, dans le JV, le plaisir de jeu l’emporte sur tout le reste.

    Pour mettre fin au HS et recadrer un peu avec ton propos, je vais revenir sur le simulateur de camps de concentration. Honnêtement, je n’y avais jamais pensé. Mais tu sais dans quel contexte je verrai bien cela maintenant que tu (m’)en as fait mention ? Dans un jeu de gestion à la Total War. Un jeu où tu te construis un empire et où, si le coeur (de pierre) t’en dit, tu peux être despote sans foi ni loi. C’est peut-être ignoble à écrire, mais un génocide c’est un excellent moyen pour retrouver un équilibre en termes d’effectif et de nourriture. “Mieux”, de telles pratiques pourraient engendrer la peur chez les voisins et nous forger une réputation force pour l’aspect diplomatique du soft. Cela pourrait également avoir des répercussions sur le moral de notre population, la loyauté de nos troupes etc, etc,…

    Bref, tout ça pour dire que bien intégré dans un jeu, je serais (on va tout de même mettre ça au conditionnel, hein) prêt à fermer les yeux sur une thématique aussi lourde de sens. Et je parle en connaissance de cause puisque mon grand-père a été déporté durant 19mois. J’ai d’ailleurs eu la “”chance”” de visiter en sa compagnie deux camps lors de la commémoration des 50ans et, durant ses dernières années, il lui arrivait de parler de ces(/ses) douloureux souvenirs. Donc non, je ne prends pas ce sordide pan de l’histoire à la légère mais je suis capable de faire la part des choses. Dans le cas de l’exemple que j’ai donné dans un Total War, ça resterait pour moi un jeu vidéo de gestion. Certes boarderline mais un jeu vidéo malgré.

    Au fond, tout est question de sensibilité.

  3. BastonBast
    BastonBast
    22 septembre 2015 à 9 h 54 min

    Il ne faut pas accabler le pauvre Trevor, je pense que le pauvre petit poussin souffre d’une maladie mentale sans doute causé par sa mère. Je le diagnostiquerai borderline, … Ou schizophrène paranoïaque. ;-) Par contre je suis d’accord pour dire que le scénario de GTA5 est inexistant. Alors que j’avais simplement adoré l’histoire de Niko Bellic.

  4. nostar
    nostar
    22 septembre 2015 à 10 h 43 min

    Très bon article sur un sujet qui fait bondir la plupart des gamers car s’il y a censure où en sera les limites ?? Depuis que je joue j’ai toujours était attiré par des jeux violent et bourrin où on dégomme tout ce qui passe et j’ai connu pas mal de jeux qui m’ont ” bousculé ” mais souvent en déclenchant un rictus de rire et un pfff en me disant ” y’a vraiment des dingos pour faire des jeux comme ça ” je pense par exemple à thrill kill qui a fait scandale en 1998.
    Gta est vraiment particulier et surtout dans sa dernière version, pouvoir s’introduire chez des personnes et dégommer toute une famille ça met vraiment mal à l’aise et c’est surtout le réalisme qui fait peur déjà que nos pc et console atteignent des graphisme photo-réaliste le jour où la VR atteindra une qualité optimal on pourrais très vite se retrouver dans un univers proche de ” strange days ” ( http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=13969.html ) où toute les limites pourront être dépassé…Je suis personnellement opposé à toute censure mais un système plus sécurisé dans la vente de ces jeux au mineurs me semble incontournable.

  5. Baladas
    Baladas
    22 septembre 2015 à 12 h 38 min

    Salut Jihem, je trouve que ton billet emmène un débat très intéressant.
    Pour ma part, j’ai 28 ans et je ne partage pas vraiment ton point de vue général sur le monde vidéoludique actuel.

    Tout d’abord j’ai adoré GTA 5.
    Je n’ai pas adoré le personnage de Trevor, préférant celui de Michael, mais j’ai trouvé le jeu excellent niveau scénario.
    Ça c’est mon avis, passons.

    La ou ton billet m’a un poil dérangé, c’est quand tu ne cites pas le jeu auquel tu consacres un paragraphe entier, on l’aura reconnu pour quelques uns, j’ai nommé “Hatred”.
    Ton point de vue est respectable, mais le fait de pas nommer ce jeu m’a fait tilté.
    J’ai une question Jihem, y as tu seulement joué, même par curiosité ?

    Car en te lisant j’ai l’impression que le jeu ne mérite même pas d’être cité, comme s’il ne méritai tout bonnement pas cet honneur.
    Alors je comprend que le jeu puisse choquer, c’est même sur cela que les devs ont basé leur promo.
    Mais pour avoir acheté le jeu quelque jour après sa sortie, je peux t’assurer que le jeu possède un gameplay très sympa, avec des graphismes et des effets de lumières bluffant.
    De plus on comprend très vite pad en main, que le jeu n’est pas simplement un “simulateur” de “shooting”, mais un gros défouloir un peu trollesque, ou par exemple les missions sont “abattre les chasseurs”, “abattre les clients d’un Apple Store” ” abattre les client d’une foire aux armes” et j’en passe des meilleures…
    Je trouve dommage de simplement le “basher” car c’est dans l’air du temps.

    Alors certes, le jeu n’est surement pas a mettre entre toutes les mains, en particulier quand il y a un Pegi 18, mais sincèrement, quelle est la différence entre ce jeu, et un fps comme il en existe tant, ou l’on défouraille a la chaine, des Russes, des Nord Coréens ou des Moyen Orientaux, simplement parce que se sont des “méchants” ?
    Le questionnement peu paraitre simpliste, mais je t’invite à te questionner la dessus.

    Pour revenir au débat principal, Manhunt, Kingpin, Carmageddon, Postal, le Punisher, Duke Nukem, GTA ( et j’en passe ) ont choqué l’opinion publique quand ils sont sorti, mais je me suis éclaté sur tous ces softs !
    Ma seule limite pour ma part, ce sont certains titres nippons, hautement sexuel, sur lequel je ne m’attarderai pas car la différence de culture ne me rendrai pas objectif.

    Bref, comme j’ai pu le lire dans les commentaires, je pense que le jeu vidéo est un art, que certaines œuvres peuvent choquer, d’autres émerveiller, d’autres nous faire rire, nous faire peur etc…
    Le débat sur “est ce que certain jeux vont trop loin” peut exister, mais pour ma part, tu l’auras compris, je trouve qu’avec de la réflexion et un peu de jugeote, on peut jouer à n’importe quel jeu.

    David

  6. kati_vercetti
    kati_vercetti
    22 septembre 2015 à 13 h 04 min

    Article très bien argumenté, bravo. Concernant GTA5, étant moi-même un personnage de cet univers, je suis d’accord avec toi, Trévor est un psychopathe, et comme tout psychopathe (dans le cinéma comme dans le jeu vidéo), il est extrème, il est too much et les auteurs l’assument totalement. Mais comme dans un jeu vidéo, le joueur prend en main le destin de ce psychopathe, il se projette, il assume les choix, et dans la scène évoquée, le souci est que le joueur ne peut pas faire autre chose que “subir” la scène et faire ce qu’il ne souhaite éventuellement pas faire…

    Je suis pas sûre d’être claire…

  7. Kientz
    Kientz
    22 septembre 2015 à 13 h 17 min

    Je trouve assez hypocrite (envers soi-même) de mettre une barrière entre les jeux cités comme Hitman (et autres jeux de crapules) et ceux où la violence est dite gratuite (GTA). Derrière cet article je vois un principe moral qui me répugne un peu et qui sous-entend que la violence peut ne pas être gratuite, qu’elle peut être légitime, que certaines vies sont moins précieuses que d’autres.

    Pour moi placer une telle barrière c’est la porte ouverte à ces principes moraux discutables. Il ne reste donc que le tout ou rien. Le rien c’est la censure. Le tout c’est choquer, indigner, dégoûter, offenser, mais ça reste simplement susciter des émotions, potentiellement extrêmes, mais à mon sens un bilan plus positif que la censure ou le sous-entendu d’une morale décrite dans le paragraphe précédent et présentée indirectement dans l’article.

    1. Jihem
      Jihem
      23 septembre 2015 à 3 h 14 min

      Nous sommes bien d’accord qu’une vie est une vie et je ne souhaite pas mettre d’échelle de valeur sur la vie d’un criminel par rapport à celle d’un civil.

      En revanche, lorsqu’un individu se lance dans des activités criminelles, il accepte implicitement les dangers qui vont avec, dont celui de perdre la vie. Cela le différencie du coup d’une innocente victime qui n’a rien demandé à personne et qui se voit abattre dans la rue par un fou dangereux.

      Je n’ai peut-être pas suffisamment appuyé ce point qui semble évident dans ma tête.

    2. Kientz
      Kientz
      23 septembre 2015 à 19 h 51 min

      Je comprends très bien ce point de vue mais il relève pour moi de l’émotionnel et je trouve dangereux de prôner un contrôle ou l’application de filtres basés sur ce genre de ressentis. Tout aussi dangereux qu’une justice qui condamne sur la base de l’impact émotionnel. Heureusement on ne fonctionne pas trop comme cela (en France du moins où la loi laisse moins de latitude à la réinterprétation que dans les pays anglosaxons me semble-t-il) et je pense qu’on défend tous les deux cette conception en acceptant les dommages collatéraux : le sentiment d’injustice, la colère, ou l’offense ressentie par victimes ou familles. Commencer à faire intervenir l’émotionnel dans la liberté d’expression c’est perdre en liberté, éviter que certains soient offensés certes, mais en offenser d’autres qui seront en désaccord avec la position choisie pour le curseur. En définitive on n’a rien gagné, on a juste perdu en liberté.

      En lisant cet article j’ai eu le sentiment que, même pour toi, le propos de fond défendu reste très flou. Il y a une sorte de jugement intuitif au cas par cas à base de “ça dépend mais là oui mais non parce que peut-être”. Avec tout le respect que j’ai pour tes opinions que je partage même partiellement, je n’ai pas envie qu’elles (ou celles de quelque personne physique ou morale que ce soit) définissent mes libertés. L’expérience artistique de la violence n’est pas imposée. Des systèmes de classification des jeux permettent de savoir à quoi s’en tenir. À partir de là pourquoi vouloir imposer l’inverse ?

      Je terminerai sur un point Godwin parce que tu ne t’en es pas privé et que tu as eu amplement raison (ça permet de comparer des raisonnements logiques, pas des situations, et l’exagération est voulue) : le meilleur réquisitoire face à la pensée d’Hitler n’est-il pas finalement son bouquin ? Si en jouant à un jeu comme GTA on se trouve profondément choqué par les actes d’un personnage ou ce que les mécaniques de jeu nous amènent à faire c’est peut-être finalement bon signe.

  8. Greg
    Greg
    22 septembre 2015 à 13 h 58 min

    La problématique posée est intéressante, et je peux concevoir que cet aspect sombre des jeux vidéo puisse en choquer quelques-uns, mais ça n’est personnellement pas mon cas.

    Je n’arrive pas à ressentir de l’empathie pour ce qui n’est au final que quelques tas de polygones et autres lignes de codes électroniques. Je ne vois pas pourquoi l’on devrait être mal à l’aise car un jeu nous “oblige” à tuer des innocents, là où quand nous étions petits nous n’hésitions pas à faire mourir nos plus fidèles G.I. Joe et autres Action Man lorsque l’on jouait dans notre chambre, sans une quelconque influence extérieure.

    Tout est question de savoir faire la part des choses, le jeu vidéo (et tous médias culturels en général) n’ira jamais “trop loin”. Toute expérience est bonne à vivre, à condition que l’on sache soi-même l’aborder de la plus saine des manières.

  9. Vulcam
    Vulcam
    22 septembre 2015 à 14 h 08 min

    Bien que je ne cautionne et n’apprécie pas les jeux ultra violents, je suis totalement contre brider la création, même si c’est pour créer quelque d’ignoble, mauvais ou inutile. Je considère le jeu vidéo comme de l’art au même titre que la peinture ou le cinéma, mon propos s’adapte donc à tous les médias.
    Comme tu le soulèves, tu ne penses pas que le jeu vidéo peut-être dangereux. Donc quelque soit le jeu, violent ou pas, cela n’a aucun impact sur le joueur. Alors quel est le réel argument pour justifier de censurer des jeux ? Au final c’est juste parce que ça te dérange, comme si je mangeais des bonbons acidulés, que je détestais et que par conséquent j’essaye de les interdire parce que je ne trouve pas ça bien.

    En vérité ce qui me dérange le plus c’est que si on commence à vouloir censurer des médias sous le simple prétexte que ça dérange certaines personnes cela pourra à l’avenir ouvrir une brèche pour que d’autres personnes essayent de censurer des choses qui sont acceptables, et ainsi de suite jusqu’à un contrôle similaire à celui des chinois. Je ne dis pas que ça va arriver, mais que ça peut arriver. Pourquoi prendre le risque d’interdire quelque chose qui finalement n’est pas dangereux ou ne porte pas atteinte à quelqu’un, ect… ? En plus ce n’est pas comme si les jeux “trop” violents pullulaient sur le marché. Il sort plus d’un millier de jeux par an et sur toute l’histoire du jeu vidéo on ne peut citer que quelques dizaines de cas ayant affolé la critique, ça reste respectable…

    A mon sens il faut juste protéger les enfants de ce genre de contenus. On a système PEGI qui me semble très bien, c’est aussi aux parents d’être responsable et de ne pas fournir de tels contenus à leur(s) enfant(s). Les adultes sont, pour la plupart, assez matures pour ne pas s’exposer à ça et à faire la part des choses. A la limite on peut effectivement demander un meilleure encadrement. Sur Steam par exemple, il est extrêmement simple d’accéder à Hatred, voir les vidéos/photos et même acheter le jeu ce qui me semble trop juste pour protéger les jeunes. De même, il faut interdire la vente de jeux PEGI 18 aux enfants de -18 ans. Je ne sais pas si une telle mesure existe déjà mais dans tous les cas, elle est très rarement respectée…

    Sinon je suis presque certains avoir déjà entendu parler d’un jeu de décapitation de journalistes et surtout un jeu de gestion de camps de concentration en flash, qui ont buzzé quelques jours avant de retomber dans l’oubli. J’aimerais bien retrouver des liens mais je vais éviter de faire ce genre de recherche depuis mon poste de travail…

  10. Openyourmind
    Openyourmind
    22 septembre 2015 à 15 h 27 min

    Article très intéressant avec lequel je suis souvent mais pas toujours d’accord. Je me permets d’apporter quelques éléments de réflexion pour que son auteur puisse aller encore plus en profondeur sur la question ô combien d’actualité du rapport entre la violence et les jeux vidéo. Je vais citer certains passages de l’article et les commenter :

    1) ” Je ne demande pas beaucoup. Juste une justification quelconque capable d’expliquer pourquoi le personnage que l’on me propose d’incarner agit comme il agit – quelque chose qui me fasse comprendre pourquoi moi, le joueur, doit réaliser telle ou telle action. Même si cette motivation va à l’encontre de mes convictions personnelles, il me faut quelque chose. Avec Trevor, j’ai beau avoir été patient au point de terminer l’aventure, je n’ai rien eu de tout cela. Le type est fou. Point barre. ”

    Réaction : Tu considères qu’une violence justifiée est plus acceptable qu’une violence sortie de nulle part, soit. Mais est-ce qu’il n’y a pas justement un plus grand danger encore à vouloir rationaliser la violence?

    Lorsqu’une violence est présentée à son état le plus brut, les gens sont choqués car ils arrivent à percevoir la violence pour ce qu’elle est, soit un danger pour tous, un bain de sang répugnant et indésirable lorsqu’elle est décuplée, et notre moralité nous empêche alors de la considérer comme quelque chose d’acceptable. C’est spécifiquement la violence gratuite qui entraîne les condamnations les plus fortes et unanimes. Le fait que la violence gratuite soit quelque chose d’insupportable se range pratiquement au rang de vérité universelle, et c’est un bien précieux pour la société qu’il ne faut surtout, surtout pas négliger.

    En revanche, lorsque nous commençons à rechercher des justifications pour cette même violence, que nous scénarisons des intérêts légitimes ou des circonstances atténuantes pour justifier l’horreur, notre moralité repasse au second plan et nous commençons à accepter les mêmes horreurs qui cinq minutes auparavant étaient pourtant inacceptables, parce qu’elles étaient gratuites.

    Par conséquent, je crois qu’il n’y a en réalité rien de plus vicieux et dangereux que de cultiver la justification de la violence, car cela change au fil du temps les consciences jusqu’à les désensibiliser et surtout jusqu’à reléguer la conscience morale qui fait que nous sommes choqués au second plan, derrière un certain relativisme parfaitement toxique qui se manifeste comme suivant :

    ” oui, bon, il est violent, c’est un meurtrier, mais ça se comprend, je ne veux pas lui en vouloir…” ( Ex: Dexter )

    ou encore

    “Ok, je sais que je tue pour une raison, donc ça va, je peux tuer” ( Toi-même, dans ton article ) etc etc..

    ou encore

    “Oui, c’est vraiment un traitement dur, mais ce sont des sous-êtres, des dégénérés, alors ça passe..” ( Guerre ethnique, nazisme etc.. )

    C’est en rationalisant la violence que nous allons lui permettre de se développer et devenir acceptable dans notre société, non pas en l’affichant comme telle de la manière la plus grossière qui soit, voilà pourquoi, contrairement à ce que tu racontes, j’estime que Trevor est un EXCELLENT personnage, car tu l’as très bien dit, il est fou, taré, ce qu’il fait est intolérable, et tout le monde est d’accord là-dessus.

    Dans l’absolu, je préférais qu’il n’y ait aucune violence, mais à choisir, je préfère voir de la violence gratuite qui entraînera un mélange de plaisir parce que c’est du virtuel et de condamnation voire de culpabilité pour qu’on ne puisse jamais tolérer véritablement cette même violence lorsqu’elle arrive en vrai, et ce sont les seules conditions qui justifient pour moi la présence de violence dans les jeux vidéo.

    Voilà ce qu’est un réflexe sain selon moi, et surtout voilà où sont les limites morales que tu cherches ensuite parce que tu t’es laissé prendre par des justifications qui te font baigner dans un relativisme amoral sans frontières ni limites. En effet, lorsque la violence est présentée de manière brute, gratuite, les limites viennent d’elles-mêmes, elles coulent de source, j’irais même jusqu’à dire qu’elles sont humaines ou du moins massivement partagée dans une société un minimum soudée comme la notre, et les questions que tu te poses ensuite n’ont plus lieu d’être car l’évidence même y répond!

    Toutes tes autres conclusions sur le fait que GTA V est passé à côté de son sujet sont dès lors potentiellement remises en cause, à toi de voir si tu trouves du sens dans ce que je viens d’expliquer.

    2) Enfin, tu affirmes que le jeu vidéo ne rend pas violent.

    Premièrement, je pars pour ma part du principe que même lorsque la violence est présentée de manière brute, elle participe à une certaine désensibilisation, mais ce n’est pas la plus grave et à choisir je préfère l’expression de la violence brute à l’expression de la violence qu’on essaye de justifier comme on l’a fait pour la nazisme ( oui, point Godwin tout ça tout ça.. ) parce qu’elle est amplement moins dangereuse.

    En ce sens, le jeu vidéo peut apporter ou légitimer, introduire dans notre conscience de manière durable des justifications qui font taire notre moralité ou conscience morale qui est le seul véritable rempart face à la violence, et donc, par voie de conséquence, le jeu vidéo PEUT rendre violent.

    Voilà voilà.

    En espérant que ces quelques éléments de réflexion te plaisent. Je ne m’attends pas et je ne souhaite pas forcément que tu changes d’avis, c’est l’échange qui est intéressant.

    Un lecteur attentif d’ExtraLife.

    Amicalement.

    1. Jihem
      Jihem
      23 septembre 2015 à 3 h 35 min

      Intéressant.

      Lorsque j’écris que j’ai besoin d’une justification, je ne souhaite pas justifier la violence mais la contextualiser. Un fou qui tue n’importe qui, sans logique est tout aussi flippant qu’un fou qui tue en suivant une certaine logique. Réalistiquement, je ne souhaite incarner ni l’un ni l’autre dans un jeu vidéo. En fait, je ne souhaite tout simplement pas incarner de tueur qui s’en prend à des innocents. Je suppose donc que tout se résume à la victime, et non pas au tueur. Comme je l’explique dans ma réponse précédente, un criminel accepte implicitement les risques de son métier, dont celui de se faire abattre. Ce n’est pas le cas d’une victime innocente qui n’a rien demandé à personne.

      La question de la désensibilisation est effectivement un point très intéressant. J’y ai beaucoup réfléchi en fin d’année dernière lorsque j’ai commencé à écrire cet article. J’avoue honteusement que cet élément m’a totalement échappé lorsque j’ai repris l’écriture il y a quelques jours pour finaliser le texte. Cette désensibilisation semble s’accélérer au fil des années avec des émissions de télé, des livres, des films et des jeux de plus en plus violents et/ou explicites. Les enfants d’aujourd’hui sont exposés à bien plus d’horreur que les enfants d’hier, et c’est un point qui m’inquiète. Je pense toutefois qu’il est possible de faire la distinction entre le réel et l’imaginaire. Et si ce n’est pas le cas, alors la faute n’est pas à imputer au média. Il faut, je pense, plutôt chercher du côté de l’environnement familial, ou d’un déséquilibre psychologique quelconque.

      Merci pour ton commentaire :)

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